Entretien avec Hassan Benabderrazik, secrétaire général du ministère de l'Agriculture Plusieurs chantiers sont ouverts pour réformer le secteur primaire au Maroc. Géré pendant des années d'une manière archaïque, il doit être remodelé pour mieux répondre aux exigences de l'ouverture et intéresser de nouveaux investisseurs. La Gazette du Maroc : un plan de restructuration des sociétés Sodea et Sogeta prévoyant la location des terres au privé est en cours de préparation. Où en êtes-vous actuellement ? H.Benabderrazik : nous travaillons sur la finalisation du cahier des charges des sociétés Sodea et Sogeta pour passer à l'appel à candidature concernant la valorisation des différents projets. Le souci du Premier ministre était de faire du domaine privé agricole un moteur de la mise à niveau du secteur et de la création d'emplois en essayant de promouvoir le maximum d'investissements possibles. Les modalités de jugement accorderont donc une importance capitale aux critères d'investissements réalisés et d'emplois créés. Nous espérons que ce projet voit le jour dès la résolution du volet social relatif au plan de restructuration. L'objectif étant bien évidemment de ne pas surcharger les nouveaux projets avec un personnel pléthorique. Dès la finalisation de ce volet, nous passerons à la phase ultérieure, celle du lancement d'appels d'offres. Cette opération pourra régler en partie le problème du foncier agricole, mais la plus grande contrainte demeure la multiplicité des statuts des terres. Comment comptez-vous la supprimer ? Nous étudions actuellement sur un projet de réforme structurelle du secteur agricole visant résolument à le mettre à niveau. Dans ce cadre, un grand chapitre a été réservé au volet foncier. Il vise à unifier les différents statuts, apurer le contentieux et simplifier les procédures d'immatriculation des terres. Il est aussi question d'étudier la possibilité de supprimer la contrainte imposée aux étrangers ou aux sociétés selon laquelle il leur est interdit de s'approprier des terres, notamment dans le domaine agricole. Quel est le stade d'avancement de ce projet ? Je voudrais d'abord insister sur un point qui me paraît capital. Il faut savoir que le foncier est très fondamentalement lié au social et que l'ensemble des paysans, agriculteurs et Marocains en général, sont très attachés à cette question. Il est donc essentiel de se concerter avec tout le monde dans une situation qui risque d'être interprétée comme une re-colonisation. Il faut que cette démarche soit plutôt perçue comme une simplification des procédures et une modernisation de l'économie agricole de manière à drainer le maximum d'investissements. Le ministère avait clairement affiché sa volonté de minimiser la dépendance du rendement du secteur vis-à-vis de la pluviométrie. Qu'est-ce qui a été fait dans ce sens ? Concrètement, nous avons développé des mécanismes de manière à ce que l'assurance agricole couvre une grande proportion de terres permettant ainsi aux agriculteurs de ne pas perdre tout leur capital. Car le gros problème réside dans le fait qu'après une mauvaise campagne, l'agriculteur perd une bonne partie de son capital, ce qui le met dans une position où il lui est difficile de mobiliser des ressources financières pour travailler la terre même pendant une campagne où la pluviométrie est bonne. D'où le rôle capital de l'assurance. Nous avons en outre accordé une grande importance au secteur de l'élevage. Auparavant, durant des périodes de sécheresse, les éleveurs se trouvaient obligés de vendre leur bétail, du fait du renchérissement des prix des aliments. Nous avons mis en place des politiques permettant d'accompagner les agriculteurs de manière à ce qu'ils ne se retrouvent plus dans une telle situation. Cela s'est fait notamment à travers une réduction drastique du prix des provendes. A titre d'exemple, pendant les trois années de sécheresse qui ont sévi au Maroc, la croissance de la valeur ajoutée du secteur d'élevage a été de 3% par an. C'est un exploit important d'autant plus que l'élevage constitue une activité qui permet de pérenniser le revenu de l'agriculteur. De plus, notre stratégie est axée sur l'utilisation de matériels de haute technologie et l'introduction de l'irrigation. Les résultats ont été probants en la matière : la croissance du secteur a ainsi sur-performé celle de l'économie en général. Comment alors expliquer qu'à chaque fois que la croissance de l'économie n'atteint pas les résultats escomptés, on accuse le secteur primaire d'avoir tiré l'économie vers le bas ? Le secteur agricole ne peut pas avoir une part de responsabilité dans le ralentissement de l'économie étant donné que sa performance est supérieure à celle de l'économie dans sa globalité. Il ne peut par contre que la promouvoir. Votre stratégie reposait aussi sur une volonté d'encourager les agriculteurs à se spécialiser dans des productions adaptées à la nature de leurs terres, au climat de leurs zones d'implantation… Cela se fait plus naturellement qu'avant. Au ministère de l'Agriculture, nous encourageons certes, mais nous sommes moins directifs que par le passé. Nous ne sommes plus tenus par l'impératif d'autosuffisance régionale. Les agriculteurs se spécialisent plutôt dans des productions où la demande est importante et où ils peuvent fructifier leur capital. La bonne combinaison reste celle qui respecte les bonnes orientations technico-économiques.C'est celle qui prend en compte les données du marché, de l'infrastructure, du savoir-faire technologique et des capitaux de valorisation. Quelles sont vos appréhensions par rapport à la campagne qui vient de démarrer ? Le volume et la répartition de la pluviométrie dans un pays comme le Maroc sont des facteurs déterminants. Même avec un système d'assurance performant, le rythme de croissance ne peut égaler les proportions réalisées dans une situation où la pluviométrie est bonne. Pour contrecarrer cette faiblesse, nous avons mis en place un programme très important d'économie de l'eau et d'irrigation. Nous payons 40 % de subventions relatives aux matériels de goutte-à-goutte. Ce système permet de réduire substantiellement les volumes d'eau utilisée pour garantir une productivité plus importante. Par ailleurs, le retard accusé dans le creusage de puits serait-il à l'origine d'un manque à gagner considérable dans la gestion de l'eau ? Nous ne creusons pas de puits, notre rôle est d'aider les agriculteurs dans leur travail. Ce sont justement ces aides qui n'ont pas été débloquées à temps. Les dossiers ont été traités à temps. C'est plutôt le rythme de décaissement de l'argent qui peut parfois être à l'origine du retard pour des raisons relatives au contrôle de l'argent public. Nous avons imposé aux agriculteurs que leurs puits soient autorisés conformément au code de l'eau en vigueur et qui exige que l'exploitation de l'eau soit soumise à l'autorisation des agences de bassins qui dépendent à leur tour du ministère de l'Aménagement du territoire. Cela peut être à l'origine de ce retard dans la mesure où les agriculteurs ne nous remettent pas toujours les autorisations à temps. Revenons au sujet de l'accord avec l'UE. Si certains exportateurs ont été satisfaits de l'aboutissement des négociations, d'autres ne l'ont pas été, les exportateurs de roses et d'œillets notamment. Aboutir à un accord qui satisfasse toutes les composantes n'est pas toujours évident. Pour se limiter au cas des exportateurs de roses et d'œillets, il faut savoir qu'aujourd'hui, nous exportons seulement 1.800 tonnes alors que l'U.E nous autorise à en exporter 3.000. Les préoccupations des exportateurs ne sont donc pas relatives aux quotas, mais sont orientées vers le réaménagement du calendrier. C'est un sujet en cours de négociation.