Un pas en avant, deux pas en arrière. La métamorphose attendue du premier congrès annuel du “Parti national démocrate” au pouvoir a, à la dernière minute, changé de trajectoire. Une évolution imposée suite à la tempête socio-politique qui a soufflé sur le pays, entraînant avec elle les prémices d'une “révolution du pain”. Ce qui a rappelé au président Moubarak le climat précédant l'incendie du Caire début des années 50. Parce que le plus urgent maintenant est de préserver la stabilité de l'Egypte et la continuité du régime ; la question de la succession ou de l'héritage a été ajournée. Cette nouvelle donne a ainsi renvoyé dos-à-dos les deux courants du parti qui, théoriquement, gouvernent l'Egypte. Ce, même s'il y a eu quelques tiraillements entre les jeunes loups du “groupe Jamal Moubarak”, fils cadet du président et les ténors du parti. Ces derniers, ayant toujours le feeling, ont vite compris que la crise du pain pourrait se transformer en révolte contre le régime. De là, il est impératif de réévaluer la politique adoptée jusqu'ici, aussi bien sur le plan interne qu'externe, en fonction de la conjoncture et des changements dans la région, notamment en Palestine et en Irak. Le congrès a fini par faire reculer les jeunes face aux vieux routiers. Car, en fin de compte, il n'y a eu ni vainqueurs ni vaincus. Circonstances obligent. Les troupes de Moubarak fils sont pourtant allées jusqu'à soutenir les choix politiques de ces vieux, malgré les critiques formulées tout au long des trois journées de débats. Force est de souligner que cette marche arrière du “Groupe” est intervenue après qu'on lui ait confié de rédiger un certain nombre de résolutions politiques prises. Des décisions que le président Moubarak a tenu personnellement à annoncer lors de la séance de clôture du congrès. Le temps des concessions Ces mesures n'ont jamais vu le jour, selon les observateurs, même si la tension a été apaisée. Mais le fait qu'elle montait chaque heure d'un cran au niveau de la rue a obligé l'establishment à réagir. En effet, les Cairotes ont assisté la semaine dernière à l'une des plus graves crises économiques vécues depuis plus de trois décennies. En conséquence, le chef de l'Etat a été contraint de céder sur plusieurs tableaux. Il a d'abord annulé les ordres des tribunaux militaires concernant des dizaines de milliers de citoyens qui ont transformé des terrains agricoles en logements. Sans pour autant annuler les lois d'urgence. Ensuite, il a appelé les partis de l'opposition à entamer un dialogue “national” et à jouer leur rôle au sein de la société, à tenir leurs congrès librement et même organiser leurs campagnes électorales. Il a également ouvert les portes devant la modification de la loi portant sur la naturalisation des milliers d'enfants de pères et de mères égyptiens, mariés à des étrangers ou des étrangères. A travers cette série d'initiatives, longuement applaudies par l'assistance, le raïs aurait voulu contourner la grogne populaire due à la chute du “guineh” (monnaie courante) de plus de sa moitié. Le flottement de la livre a causé la perte du pouvoir d'achat d'une population dépassant les 75 millions d'âmes dont la majorité vit au-dessous du seuil de pauvreté. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, le président Moubarak a été contraint de céder en bloc face à des foules en colère, prêtes à tout. En conséquence de ces faits, il a confié à l'armée – seule source de danger par rapport au régime – de distribuer le pain dans les quartiers les plus démunis. La réception du général de corps d'armée, Mohamed Saïd Tantaoui, au palais d'Al Qoubba en est la preuve. Car, quelques heures plus tard, le président égyptien a chargé la sécurité centrale de contrôler de près les contestataires dans les rues de la capitale en donnant des ordres fermes d'éviter toutes confrontations avec eux. Le plus significatif au niveau de ces concessions est l'ouverture totale à l'égard des différentes formations politiques, y compris les islamistes. Des centaines d'entre eux ont été libérées. Mais le geste le plus éloquent reste la mise en liberté du leader de la “Jamaâ islamiya”, l'avocat Karam Zuhdi, suivi moins d'une semaine plus tard par la libération de deux grands dirigeants ayant passé 22 années en prison pour implication dans l'assassinat d'Anouar Sadate. Il s'agit de Fouad Dawaliby et d'Assem Abdelmajid. Peut-on dire que le raïs a ainsi ouvert la boîte de Pandore, commençant à jouer avec le feu, danser avec les loups, comme l'a fait son prédécesseur Sadate, pour consolider son pouvoir ? Les analystes égyptiens les plus avertis affirment que la donne est différente. Surtout que Moubarak tend maintenant la main à tout le monde. Ces multiples concessions se traduiront-elles par l'émergence d'un gouvernement d'Union nationale pour surmonter les crises et éviter le pire ? Ou s'agit-il d'une manœuvre pour faire passer la tempête ? Il est prématuré de se prononcer là-dessus, soulignent ces mêmes analystes. Les conditions sine qua non Si l'arrivée de Bachar Al Assad en Syrie consistait à préserver le système politique, celle de Jamal Moubarak, par contre, est conditionnée par le changement du régime. De ce fait, cette ouverture reste trop risquée. Dans le premier cas, il y avait des courants au sein de l'armée et du parti Baath qui n'acceptaient la continuité qu'avec le fils de Hafed Al Assad. Mais, dans le deuxième cas, le poste de président d'Egypte est difficile à acquérir, sauf si le prétendant a dans ses bagages un projet de changement du système politique. En d'autres termes, intégrer les partis politiques dans le jeu de l'alternance. Ce qui représentera un compromis historique entre l'institution militaire - fabriquant des présidents – et les forces traditionnelles interdites de participer à la vie politique, en tête, l'organisation des Frères musulmans. En tout état de cause, la question est à l'heure actuelle, sérieusement posée en Egypte. Cela consiste à désigner un président issu du régime avec le consentement des militaires, qui aura pour tâche de gérer la transformation du système politique en douceur. Cependant, cette idée demeure un schéma d'essai. Car la condition sine qua non pour sa réussite réside toujours dans la possibilité de changer le régime. Sans cette éventualité, il serait quasi-impossible à Jamal Moubarak de devenir un jour président. Même si celui-ci choisit le chemin des réformes politiques aux côtés des réformes économiques. Son papier présenté au congrès du “Parti national démocrate”, intitulé : “les droits de citoyenneté et la démocratie”, le confirme. En dépit de cette orientation qui va apparemment dans le sens du changement du système politique avec l'appui des Américains, la vieille garde du parti, loyale jusqu'aux bouts des ongles au président Moubarak, a nettement montré son opposition à ce sujet. Ses symboles ne l'ont pas caché : “aucune autorisation ne sera accordée à ces islamistes”, disent-ils, “car ils constituent la véritable source du terrorisme et de la violence”. Et, de poursuivre : “ce sera alors la fin de la démocratie en Egypte”. Ce genre de réaction montre le poids de l'opposition aussi bien au projet de changement du système politique qu'à son homme Jamal Moubarak, même si ce dernier est le fils de leur chef, même si l'élite égyptienne admet l'idée de succession représentant l'unique voie vers la démocratie réelle. Dans son discours devant son parti, le raïs a consolidé les positions de son fils, en adoptant certaines des propositions figurant dans son papier. Mais celles-ci ne touchaient pas, cependant, au fond du système politique. Le seul signal, resté pourtant flou, était son appel aux partis politiques à dialoguer pour arriver à un “pacte d'honneur”. Dans cette foulée, un des proches du “groupe Jamal Moubarak” a indiqué à La Gazette du Maroc, que ce dernier s'apprête à organiser un grand rassemblement auquel participeront les “courants essentiels de la société égyptienne”. Un début de dialogue peut-être, où les Frères musulmans seront présents. La modification des lois régissant les partis et les élections seront en tête de l'ordre du jour, affirme ce proche. Reste à savoir si la surprise de Jamal Moubarak se traduira toutefois par la reconnaissance du régime, des forces politiques interdites. Et de là, l'acceptation du principe de changement des structures politiques rigides, calqué sur le modèle chinois. C'est-à-dire, changer le système économique tout en gardant le système politique archaïque. Un changement qui, selon l'économiste égyptien Ramzi Zaki : “permet aux hommes d'affaires et non à la classe moyenne de devenir les porte-parole du peuple égyptien”. Trop de questions et beaucoup plus de conditions sine qua non auxquelles Jamal Moubarak et ses troupes devront faire face dans les prochains mois. En attendant, la succession est reportée.