Regain de tension au sein de l'USFP, velléités de regroupement des autres partis de gauche, hésitations de l'Istiqlal, alors que le PJD est pris dans l'œil du cyclone. Les laborieux reclassements politiques de l'après-16 mai mettent à nu le déficit de crédibilité que les partis ont à combler. Quarante jours après les attentats terroristes à Casablanca et alors que les enquêtes et poursuites judiciaires montrent l'étendue des réseaux “jihadistes” actifs ou “dormants”, les événements se précipitent aussi au sein des partis et courants politiques. L'USFP connaît un regain de tension interne dont on ne sait s'il va favoriser une «clarification» introuvable ou retomber dans une ambiguïté et un malaise sans fin. Les autres partis de la gauche sont davantage tiraillés entre forces centrifuges et tendances au regroupement. L'Istiqlal ne sait comment gérer, dans ce contexte, son positionnement habituel dans “l'entre-deux”. Quant au PJD, il est dans l'œil du cyclone et une nette démarcation est en cours opposant les partisans du Dr Abdelkrim Khatib à ceux du Mouvement Unicité et Réforme (MUR) à la tête duquel Mohamed Hamdaoui a succédé à Ahmed Raïssouni. L'après-16 mai a mis en évidence les contradictions et les carences, même si elles sont de nature diverse, qui font que ces partis se trouvent aujourd'hui au pied du mur. Il faut cependant relever que le débat sur le projet de société et sur la nécessité d'un déblocage économique et social a lui aussi gagné en urgence. Cependant va-t-il gagner en vitalité et en profondeur au sein des élites et des différentes couches sociales ? La question reste problématique. La clarification introuvable La publication par le quotidien “Libération”, le 20 juin de la reproduction intégrale en arabe de l'émission “Fil Wajiha” où était invité Mohamed Elyazghi sur 2M le 4 juin, a ravivé les commentaires sur les dissensions au sein de l'USFP. L'initiative prise par Elyazghi “d'aller au créneau” et de mettre en cause nommément le PJD dont il a exigé qu'il “présente des excuses au peuple marocain” pour avoir propagé un discours d'exclusion et de haine, est-elle à l'origine de cette tension au sein de la direction socialiste ? La forme que cette tension a prise est assez inhabituelle puisque le numéro deux du parti aurait été “censuré” par le quotidien “Al Ittihad Al Ichtiraki” qui a refusé de publier son intervention. Y a-t-il différence d'appréciation quant à l'attitude à adopter vis-à-vis du PJD ou bien s'agit-il seulement d'un nouvel épisode du blocage du débat au sommet de l'USFP ? Ce sont, de toute évidence, les mécanismes de débat et de décision qui sont encore soumis à rude épreuve. Avec le 6ème congrès du parti en mars 2001, une option avait été proclamée prônant enfin la transparence et les modalités de ce fonctionnement “démocratique” interne même si le doute était loin d'être dissipé. Les élections de septembre 2002 et la nomination de Driss Jettou à la tête du nouveau gouvernement ont conduit à une crispation dans le parti plutôt qu'à un véritable débat interne. L'expérience de l'alternance, diversement évaluée, a laissé un goût d'échec démobilisateur au lieu de faire l'objet d'un examen critique approfondi. C'est précisément cela qui a fait que les spéculations ou les attaques se sont multipliées à l'encontre de cette expérience et de l'USFP qui y avait joué un rôle “prépondérant”. Le blocage du débat interne favorisait en externe un brouhaha malveillant qui, pour un grand nombre de militants et de sympathisants, a desservi l'image du parti et instauré scepticisme et lassitude. Le contexte actuel rend encore plus cruciales les questions non élucidées. Comment s'effectuera le choix des diverses candidatures aux prochaines échéances électorales ? Les procédures de représentation et de légitimation vont-elles couper court aux tiraillements perçus aujourd'hui entre trois “tendances” : celles de Youssoufi, d'Elyazghi et des “outsiders” critiques à l'égard des deux premiers. “Que les supputations portant sur la trajectoire et le rôle réservé à un Khalid Alioua occupent tellement les esprits et les conversations est déjà un mauvais signe”, remarque un responsable local du parti à Casablanca. D'autres questions, de fond celles-là, se posent avec plus d'acuité. Sur quel programme et avec quelles alliances est envisagée la prise en charge du projet démocratique et moderniste ? Comment y faire réellement adhérer à la fois les couches populaires et celles des franges plus aisées pouvant être sensibilisées au danger mortel du maintien de la société bloquée actuelle ? La dynamisation des structures de base, le renouveau de la militance et de l'action de proximité sont, dans cette perspective, incontournables. En l'absence d'une véritable clarification, l'USFP restera-t-elle vouée à sa propre opacité où les rivalités de “clans” ou d'ambitions plus ou moins “carriéristes” se substituent au libre débat entre courants aux positions distinctement affirmées ? L'appel du pied à la résurgence de la Koutla comme cadre d'alliance ne semble pas plus probant. Le parti de l'Istiqlal s'est empressé de prendre ses distances vis-à-vis de la mouvance islamiste qu'il avait courtisée à défaut de pouvoir la polariser. Sans cependant vouloir apparaître comme “éradicateur”, il met l'accent sur les valeurs nationales (malékisme, commanderie des croyants). Les échéances électorales et l'incertitude quant au sort qui sera réservé au PJD provoquent des appréhensions et une certaine hésitation dans l'attitude du PI : pour la Koutla mais sans trop insister et pour la “modération” vis-à-vis des islamistes “modérés” mais sans s'en faire l'avocat. “L'entre-deux” où ce parti se complait d'habitude est plutôt malaisé dans ce contexte. Identités mal assurées Les autres partenaires au sein de la Koutla ont aussi du mal à se “repositionner”. Tout en dénonçant avec énergie le terrorisme, la responsabilité morale du PJD et toute récupération de la religion à des fins politiques, le PPS est encore traversé par une contestation interne exprimée par le courant “La zilna ala tariq”. Ce dernier considéré comme “minoritaire” exige plus de fidélité à l'identité socialiste du parti et une attitude plus intransigeante vis-à-vis des propagateurs de la haine religieuse et raciale. Cette contestation n'a pas empêché que le PPS accueille l'adhésion assez surprenante du riche homme d'affaires Haj Miloud Chaâbi qui a quitté avec fracas les rangs du groupe istiqlalien au parlement (et qui est un vieil habitué de la transhumance politique). Ceci ne va-t-il pas brouiller un peu plus l'image de ce parti en crise identitaire ?Quant au PSD qui siège avec le PPS et le parti Al Ahd, dans le même groupe parlementaire, il est en proie à une interrogation existentielle : fusionner avec le PPS ou avec l'USFP, selon les sensibilités qui y cohabitent. La Gauche socialiste unifiée est pour sa part au bord de l'éclatement : plusieurs adhérents l'ont quittée pour protester contre la “non-fusion” des organisations membres alors que le noyau formé par l'ex-OADP juge peu probant cet essai “d'union”. Au-delà des difficultés “congénitales” à dépasser leurs querelles byzantines héritées du gauchisme, ces différents groupes expriment à leur manière la nécessité d'avoir plus de prise sur le terrain, de gagner en cohérence et en capacité d'action dans un champ politique désormais polarisé par l'antagonisme avec l'islamisme plus ou moins radical. Faut-il voir la même préoccupation à l'œuvre dans l'appel à la réunification des Mouvements populaires ? Encore, comme le laissent entendre les voix mutines parmi les jeunes cadres de cette mouvance, faut-il que l'unification soit assez spontanée et pas seulement “téléguidée” de l'extérieur pour servir de contrepoids politique et électoral. Tempête au PJD Dans la foulée, c'est le PJD qui vacille sur ses bases. Objet de critiques violentes ou plus feutrées, il a le plus grand mal à concilier profil bas et autodéfense agressive vis-à-vis de ceux qu'il qualifie d'éradicateurs. Il a du mal à assumer son attitude passée pour le moins complaisante envers les partisans de la “salafiya jihadiya” et il n'a jusqu'ici consenti la moindre autocritique pour avoir ouvert les colonnes de sa presse aux propos d'un Zemzami et d'autres extrémistes de l'intolérance. Pris en flagrant délit de remise en cause du principe de la Commanderie des croyants tel qu'énoncé dans la Constitution, le président du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), Ahmed Raïssouni a cédé la place à Mohamed Hamdaoui qui répète sur tous les tons l'attachement de son organisation à la légalité et aux fondements constitutionnels. Courant prédominant au sein du PJD, le MUR est de plus en plus mis en cause et rendu responsable de la coloration intégriste et du rigorisme fermé qui ont prévalu dans le parti du Dr Khatib. Ce dernier qui a été prompt à désavouer Raïssouni exige, à présent, que l'influence du MUR sur les positions, les discours et les candidatures du PJD soit réduite et contrôlée. Le mouvement rival du MUR, l'association “Vigilance et Vertu” dirigée par un proche du Dr Khatib, Mohamed Khalidi, loin de faire baisser la tension lance des attaques extrêmement virulentes contre le MUR. Dans une interview à “Aujourd'hui le Maroc”, vendredi dernier, Khalidi affirme “qu'une séparation définitive entre le PJD et le MUR est en marche”. La “double appartenance” et la “confusion” ne seront plus, selon lui, admises. Il souligne que le PJD n'est pas un parti islamiste et qu'il va désormais pratiquer une ouverture vers les partis de gauche et vers l'Occident et appeler à “défendre les valeurs universelles de tolérance” et un Islam ouvert et “opposé à la violence sous toutes ses formes”. Est-ce l'annonce d'une fracture décisive et du reflux de l'influence des islamistes du MUR sur le PJD ? Dans un champ politique fiévreux et inquiet, il s'en faudra de bien plus pour que la politique soit réhabilitée et prenne en charge les vrais problèmes du pays.