L'Algérie ou le complexe de la puissance régionale Après quatre décennies d'indépendance et après plus d'une dizaine d'années de guerre civile qui a détruit les infrastructures de l'Algérie et réduit à néant l'avenir de toute une génération, la classe politique algérienne demeure prisonnière de l'illusion d'hégémonie vis-à-vis de ses voisins maghrébins sous prétexte que l'Algérie est le pays le plus riche et le plus puissant en Afrique du nord. Ainsi, les leaders algériens et à leur tête l'actuel président Abdelaziz Bouteflika demeurent attachés, plus que jamais, à cette logique qu'ils expriment à toutes les occasions notamment par rapport à la question du Sahara. C'est pour cela, d'ailleurs, que le Roi Mohammed VI a tenu à mettre les points sur les "I" à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la Révolution du Roi et du peuple. A chaque fois que l'Algérie entame un processus d'élections présidentielles, qui est souvent accompagné de scandales politiques, les leaders algériens choisissent la fuite en avant, dans une tentative de transposer leurs querelles, parfois sanglantes, vers l'extérieur. Mais, aujourd'hui, il ne leur reste plus qu'une seule carte à jouer, celle du Sahara, après la chute du mur de Berlin et le démantèlement des Etats totalitaires. A partir de là, il est aisé de comprendre pourquoi le Roi Mohammed VI a affirmé dans son dernier discours que la sauvegarde de l'intégrité territoriale du Maroc est un devoir que doivent assumer tous les Marocains. En insistant sur ce sujet, le Souverain marocain connaît mieux que quiconque les soubassements de la question, les dangers qui se profilent à l'horizon et ne peut plus cacher les données qui concernent ce dossier. Il était donc important qu'il en parle à son peuple pour que tout le monde puisse prendre ses responsabilités. En effet, S.M Mohammed VI n'aurait pu dire : "la préservation de notre intégrité territoriale demeure pour nous un devoir impérieux qui impose une mobilisation totale et une vigilance de tous les instants, et des actions efficientes afin de clore définitivement le dossier d'un conflit créé de toutes pièces par les adversaires de la marocanité du Sahara, qui persistent à contrarier ce droit avec hargne et animosité. En effet, ils ont fini par laisser tomber le masque pour se dévoiler comme le véritable adversaire. L'ambition qui les anime d'établir, par le biais de pions séparatistes, une hégémonie totale sur toutes nos provinces du Sud…", s'il n'avait pas des données susceptibles de franchir les lignes rouges. En parlant pour la première fois de "la partition qui conduirait inéluctablement à la balkanisation de la région toute entière" le Souverain a signifié clairement que le pouvoir algérien a de mauvaises intentions et est déterminé à envenimer davantage les rapports entre les deux pays frères, au lieu de contribuer à édifier un espace maghrébin sur des bases saines. Par conséquent, en persévérant à faire un retour à la case départ, l'Algérie n'a laissé au jeune Roi aucune marge pour la réconciliation. Mais ceci ne veut nullement dire que le Maroc opte pour le pire, lui qui a de tout temps démontré son attachement à des solutions qui préservent la paix, restituent les droits et prennent en considération les conditions historiques et les intérêts vitaux de toutes les parties concernées. Histoire et réalités Au tout début de la guerre civile libanaise et spécialement en juillet 1976, une délégation du "Front arabe", composé alors de forces libanaises et palestiniennes, a entamé une visite en Algérie pour expliquer l'évolution de la situation au Liban. Mais avant la rencontre avec feu Houari Boumediene qui devait être l'ultime étape suivant le protocole, la délégation s'était entretenue avec les responsables du FLN et quelques ministres chargés des affaires étrangères et des mouvements de libération nationale. Dans ce cadre, la délégation a rencontré le ministre algérien des affaires étrangères de l'époque, Abdelaziz Bouteflika qui était accompagné de Mohamed Chérif Messaâdiya, de Mohamed Saleh El Yahyaoui et du colonel Slimane Hofman. Après avoir discuté de l'évolution de la situation au Liban, un membre de la délégation avait exprimé aux interlocuteurs algériens l'espoir d'une solution définitive de la question du Sahara dans le cadre de la fraternité maghrébine, d'autant plus que la nation arabe n'a que faire de micro-Etats. Soudain, Bouteflika et ses accompagnateurs ont vite changé d'attitude et furent gagnés par une colère indescriptible qui a ajouté à l'embarras de celui qui a posé la question. Ainsi, Bouteflika est sorti de ses gonds pour crier à la face de la délégation en arabe dialectal algérien "Ecoutez, ce Polisario demeurera pour l'éternité une arête dans la gorge du Maroc". Autrement dit, l'Algérie ne considère ce mouvement que comme un outil dans sa politique de déstabilisation du Maroc. Aujourd'hui et après vingt cinq ans, et alors que toutes les données internationales ont radicalement changé, l'Algérie essaie de ressusciter son vieux rêve de puissance régionale. Mais, même si cette logique appartient à un passé révolu, les responsables algériens feignent d'ignorer que le monde a changé et que les conditions ne sont plus les mêmes. De même que l'Algérie n'est plus cette Algérie du début de l'indépendance après avoir subi les égarements politiques du pouvoir. Bien plus, le peuple algérien n'aspire qu'à vivre en paix et en harmonie avec son environnement, alors que les responsables veulent le précipiter vers une autre voie. Or, la provocation du Maroc est considéré non seulement comme une violation de l'esprit de la charte de l'UMA, mais également comme un crime contre la fraternité arabe. Il faut bien dire à ce propos, que si des limites éthiques ne sont pas instituées, les positions crispées peuvent déboucher sur une guerre dans la région du Maghreb. D'ailleurs, c'est ce qu'a voulu laisser entendre le Roi Mohammed VI en parlant du danger de balkanisation dû à la partition du territoire. Donc, certains jouent avec le feu pour des objectifs électoraux en faisant planer des menaces réelles sur la région où tous les ingrédients sont, désormais, réunis pour provoquer une forte déflagration. En effet, la pauvreté, le chômage, la montée de l'intégrisme religieux, la faiblesse du pouvoir d'achat, la corruption, la contrebande et les difficultés économiques liées à l'économie de marché, sont autant d'éléments qui font de cette partie du monde une véritable poudrière. C'est pour cela qu'il est du devoir des responsables algériens, civils et militaires, de cesser de rêver de faire de l'Algérie une puissance régionale. Il n'est plus permis du point de vue de la Realpolitik de rejeter toutes les initiatives marocaines concernant le dossier épineux du Sahara ni de répéter des mensonges concernant le soutien du Maroc aux groupes terroristes, ce qui justifie la fermeture de la frontière. Il n'est pas, non plus, logique de revendiquer de faire du Sahara une Californie, alors que la solution juridique n'est pas encore arrêtée à cause du jeu sournois de certains membres proches de l'administration américaine. Or, celle-ci ne s'intéresse qu'au pétrole et qu'au gaz oubliant que le Maroc a dû payer un lourd tribut pour que cette région ne tombe pas sous l'influence soviétique. Par conséquent, l'attitude des responsables algériens en alternant l'hypocrisie et le raidissement des positions en cette période préélectorale, n'est que le prélude à l'escalade avec le Maroc. D'ailleurs le Roi Mohammed VI sait parfaitement de quoi il s'agit , car il ne faut pas faire de distinction entre Abdelaziz Bouteflika et ses concurrents dès lors qu'il est question du problème du Sahara. En effet, au moment où culminent les désaccords entre les candidats, toutes les parties commencent à répéter la même litanie dans des termes identiques qui font référence au rôle majeur de l'Algérie dans la région, au soutien inconditionnel au "peuple sahraoui", à l'indépendance et à la fierté algérienne. Ceci, alors que la situation de l'Algérie est désastreuse à plusieurs titres. En effet, comment expliquer que les réserves en devises fortes atteignent 23 milliards de dollars, alors que l'Etat a été incapable de subvenir aux besoins élémentaires des victimes des catastrophes naturelles. Le gouvernement n'a même pas pu allouer le dixième de ces réserves pour alléger les souffrances des sans-abris, victimes des derniers tremblements de terre. Le problème réside donc, dans ce vieux complexe de "folie des grandeurs" ancré malheureusement dans l'esprit des responsables du pays d'un million de martyrs. Or, ces responsables éprouvent un besoin impérieux de garder le statu quo dans leur pays, profiter de ses richesses tout en écrasant toute velléité de démocratisation, d'ouverture sociale et de développement économique. Dans ce contexte, le concept d'indépendance ne signifie pour eux que davantage d'isolement par rapport aux pays voisins du Maghreb. Selon eux, tous les dangers proviennent de l'extérieur. Et si les voisins de l'Algérie vivent dans la paix et la stabilité, alors que l'Algérie souffre, c'est bien la faute aux voisins qui requiert de sa part plus de provocation. Ceci est l'amère réalité. Et par conséquent, pour faire face aux défis économiques, il appartient à Abdelaziz Bouteflika et à ses concurrents d'oublier une bonne fois pour toutes, de parler d'indépendance nationale, de puissance régionale et de soutien aux séparatistes. En effet, les prochaines échéances sont difficiles pour tout le monde et pour l'Algérie en premier lieu. C'est pour cela que les responsables algériens sont appelés à trouver un consensus qui leur permette de survivre politiquement. S'ils n'arrivent pas à restaurer la stabilité et la paix sociale, comme ils l'ont promis, leur régime qui n'a aucune base populaire, sera contraint de puiser sa légitimité à l'extérieur. Mais, si l'Algérie espère obtenir des crédits, le Fonds monétaire international risque de lui opposer des réponses techniques et revendiquer de sa part plus de transparence. La seule et unique solution qui reste, pour le pouvoir algérien, qui ne cesse de faire l'éloge de son armée, est d'ouvrir les yeux devant les nouvelles réalités du monde tout en bannissant toute tendance à l'hégémonie régionale par le biais de l'instrumentalisation des séparatistes. Pour que l'Algérie retrouve sa place et son statut, elle se doit de composer et de coopérer avec ses voisins tant économiquement que politiquement. Mais malheureusement, jusqu'à présent, les responsables algériens n'arrivent pas encore à comprendre cette règle élémentaire.