MAROC-UE A compter du 1er mai 2004, l'Union européenne sera élargie à dix nouveaux membres, dont huit font partie de l'Europe de l'Est. L'ampleur de cet élargissement aura des effets économiques sur l'Union elle-même et sur le Maroc. Les répercussions de l'adhésion des pays de l'Europe centrale et orientale comportent des menaces pour certains secteurs marocains. Mais, le Maroc dispose de certains atouts qui lui permettront d'atténuer les retombées négatives et tirer profit des opportunités nées de l'élargissement. Tout ce qui touche à l'Union européenne (UE) ne peut laisser le Maroc indifférent, pour les raisons que tout le monde connaît. Il en va ainsi de l'élargissement de l'UE à dix nouveaux membres. Le traité instituant l'Europe à 25, décidé lors du Sommet de Copenhague en décembre 2002, a été officiellement signé le 19 avril dernier lors du Sommet d'Athènes. Les nouveaux membres rejoindront l'Union à partir du 1er mai 2004. Sur les dixpays d'Europe centrale, orientale et méditerranéenne, six ont déjà approuvé l'entrée dans la Communauté, le poids économique de Malte et de Chypre étant négligeable, c'est l'élargissement aux PECO (Pays d'Europe centrale et orientale) qui retient l'attention. Deux questions majeures se posent. La première concerne directement l'Europe et donc indirectement le Maroc : quels sont les effets économiques à moyen terme de l'élargissement pour les quinze Etats membres actuels et pour les dix futurs adhérents à l'Union ? La deuxième question touche directement notre pays : quelles sont les répercussions de l'élargissement de l'UE à l'Est sur l'économie marocaine ? Pour ce qui est de l'Europe, dans un contexte marqué par un fort ralentissement économique, les performances passées des PECO et celles prévues pour cette année en termes de croissance sont encourageantes. Selon le FMI, la Commission européenne, l'OCDE et la BERD, le taux de croissance attendu en 2003 pour cette zone serait compris entre 3 % et 5% selon les pays, alors qu'on ne table au mieux que sur 0,8 % pour l'UE dans sa configuration actuelle. Impact positif sur les PECO A en croire les différentes études menées à ce sujet, l'élargissement n'aurait qu'un impact mineur sur les pays actuels de l'UE. Le supplément de croissance prévu pour ces pays ne dépasserait pas 0,1 point, étant donné que les PECO ne représentent que 5 % du PIB de l'Union. En contrepartie, le coût de l'élargissement serait supportable pour le budget de Bruxelles, à condition de procéder à la réforme de la PAC (politique agricole commune), qui fait aujourd'hui l'objet de débats intenses au sein de la Commission. Quant au solde du compte courant, il baisserait de 1 % à 0,8 % du PIB, les pays de l'Est étant globalement déficitaires. En revanche, pour les huit PECO candidats, l'effet serait plus significatif. On estime que leur entrée dans l'Union pourrait générer un potentiel de croissance de 7 %, même si, au départ, les coûts d'ajustement s'avèrent plus élevés que les bénéfices engrangés. En effet, un tel potentiel ne peut se réaliser sans réformes structurelles coûteuses. Les nouveaux entrants n'ont pas totalement achevé leur transition d'une économie administrée vers une économie de marché. De larges sphères de production demeurent non formellement capitalistes et leur mise à niveau nécessite de lourdes dépenses. Au final, même en tenant compte de leur participation à la PAC, les PECO seront bénéficiaires puisqu'ils recevront plus qu'ils ne vont débourser. D'autant plus que le vaste marché unique qui s'ouvre à eux confortera leur compétitivité liée à la taille du marché et aux flux financiers qu'ils vont drainer. On estime que les revenus supplémentaires qu'ils vont engranger représenteraient 7 % de leur PIB. En ce qui concerne les répercussions sur le Maroc, l'élargissement à l'Est présente certains avantages mais constitue en même temps une menace sérieuse pour certains secteurs économiques. Compte tenu de ses effets positifs sur la croissance du PIB des quinze, l'élargissement devrait provoquer une augmentation de la demande européenne adressée au Maroc, estimée à 0,3 % en rythme annuel, d'après les évaluations de la DPEG (Direction de la politique économique générale). Il existe en effet un potentiel d'échange entre le Maroc et les PECO qui devrait améliorer les débouchés extérieurs des produits nationaux. Si l'intensité des échanges devait atteindre un niveau comparable à celui de l'UE actuelle, le flux supplémentaire des exportations du Maroc à destination des PECO approcherait les 200 million de $. Les chances de concrétiser ce potentiel sont d'autant plus fortes que le risque de détournement de ce flux commercial additionnel au profit de l'Europe des quinze est limité pour deux raisons. D'une part, hormis quelques rares produits, les exportations marocaines et européennes ne sont pas en compétition sur les marchés des PECO. D'autre part, le niveau des échanges commerciaux du Maroc avec ces pays demeure très modeste (1,4 % des exportations marocaines et 1,5 % des importations). Menaces pour l'économie marocaine Au total, le supplément de croissance dû à l'élargissement serait de 0,1 point en rythme annuel à moyen terme et de 1,6 point à l'horizon 2012. Mais le gain macroéconomique ne doit pas occulter le fait que le redéploiement des activités au sein de l'Union à 25, tout en créant des opportunités pour certains secteurs marocains, susciterait de graves menaces pour d'autres. Les opportunités qui pourraient s'offrir au Maroc se situent à deux niveaux. D'abord, l'adoption des normes européennes en matières sociale, sanitaire et environnementale ainsi que l'adhésion à terme à la zone euro, pèserait indéniablement sur la compétitivité des PECO. Ce qui devrait les obliger à modifier le profil de leur spécialisation et à abandonner progressivement les activités exigeant une main-d'œuvre nombreuse. Le Maroc pourrait alors s'insérer dans les segments libérés. Ensuite, l'amélioration des revenus des populations des nouveaux membres se traduirait par un accroissement de leur demande, en matière de tourisme notamment, à condition toutefois que le Maroc déploie les efforts de promotion sur ces marchés potentiels. Néanmoins, en dépit de ces opportunités, des menaces réelles existent pour certains secteurs, en particulier les produits agroalimentaires et le textile-habillement. L'enjeu est de taille pour les produits agricoles. L'élargissement implique nécessairement l'adoption des règles de la PAC. Or, celle-ci comporte une protection tarifaire et non tarifaire de l'Union. C'est l'absence de ce dispositif protectionniste qui a permis au Maroc de développer ses exportations agricoles (agrumes notamment) vers les PECO. L'adhésion de ces derniers à l'Union les conduira à adopter les normes européennes, menaçant ainsi les exportations marocaines, en l'absence d'une suppression des obstacles non tarifaires tels que les quotas et les prix d'entrée. Mais, c'est sur le secteur textile-habillement que pèse la principale menace. L'accélération des délocalisations, déjà en cours, permettra aux PECO du fait de la proximité d'être plus réactifs en matière de délais. Simultanément, les gains de productivité renforceront leur compétitivité sur les moyen et haut de gamme. Il en résulterait un repli de l'industrie marocaine du textile-habillement sur la sous-traitance. Or, sortir de la bulle de la sous-traitance est une condition nécessaire pour donner un nouveau souffle à cette activité et conforter la position sur le marché mondial de ce secteur-clé de l'économie nationale. Enfin, l'élargissement comporte un volet qui risque d'être fort dommageable pour le Maroc. L'intégration des PECO dans l'Union renforcerait leur attractivité pour les investissements directs étrangers (IDE), comme le montre l'expérience de l'Espagne, du Portugal et de l'Irlande par exemple. Ce qui entraînerait un effet d'éviction pour les pays tiers méditerranéens (PTM) comme le Maroc. Or, comme les flux des IDE sont un élément fondamental de l'approfondissement du partenariat euro-méditerranéen, il devient capital de procéder à un rééquilibrage entre les PECO et les PTM. Et ce d'autant plus que les flux de l'aide au développement en faveur des premiers sont sans commune mesure avec ceux accordés aux seconds : 45 milliards d'euros contre 5,35 milliards (dans le cadre de MEDA II) sur la période 2002-2006. Cependant, en dépit de ces menaces suscitées par l'élargissement, le Maroc dispose d'atouts non négligeables susceptibles d'atténuer les répercussions négatives et même de tirer le meilleur profit des opportunités créées par cet élargissement. “Son ancrage démocratique, son engagement dans l'économie de marché, son cadre macroéconomique stable depuis le début de la décennie 90 et la mise en œuvre de réformes structurelles visant la modernisation de l'environnement des affaires et la valorisation du capital humain, constituent autant de clés de succès devant permettre au Maroc de réussir son intégration à l'espace européen élargi”, souligne la DPEG.