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Sarkozy jette un pavé dans la mare ...
Publié dans La Gazette du Maroc le 21 - 04 - 2003

Vers un contentieux franco-marocain sur le statut personnel ?
Le ministre français de l'Intérieur vient de faire des déclarations qui ont soulevé des interrogations aussi bien au sein de la communauté marocaine résidant en France qu'au niveau des responsables gouvernementaux marocains et français. Nicolas Sarkozy a ainsi laissé entendre que Paris pourrait remettre en cause la convention franco-marocaine de 1981 qui permet l'application du code de statut personnel marocain à nos nationaux vivant en France.
“La loi islamique ne s'appliquera nulle part (en France ) parce que ce n'est pas la loi de la République !”. Cette déclaration a été faite mardi 15 avril, par le ministre français de l'Intérieur, à la radio Europe 1, au lendemain de l'annonce des résultats des élections du Conseil français du culte musulman (CFCM). Interrogé sur la convention franco-marocaine de 1981, qui permet l'application du Code de statut personnel aux Marocains résidant en France (mariage, répudiation ...), Nicolas Sarkozy a été on ne peut plus direct en répondant : “ pour moi c'est parfaitement clair, il n'y a qu'une seule loi qui prévaut, c'est la loi de la République, et elle vaut sur tout le territoire français. Pour tout le monde. Et nous n'acceptons aucun système de domination, y compris familial ”.
Rappelons que la convention franco-marocaine du 10 août 1981 prévoit que les conditions permettant le mariage (âge minimum, consentement, liens de parenté...) ou sa dissolution ainsi que le régime matrimonial relèvent, pour les couples dont les deux conjoints sont Marocains, de la loi marocaine (la Moudawana). L'objectif inscrit en préambule étant de “ conserver aux personnes les principes fondamentaux de leur identité nationale ”.
Les déclarations du ministre français remettant en cause une convention liant la France et le Maroc ont surpris les responsables des deux pays. Côté marocain, on préfère adopter le profil bas et faire comme si on n'a rien entendu ni lu les journaux, précisant que “ la dénonciation d'une convention bilatérale par l'une des parties ” est soumise à des dispositions particulières et qu'à ce jour, les autorités françaises concernées n'ont pas entamé la procédure de révision requise dans ce sens. Côté français, le cabinet de Sarkozy nous a répondu que le ministre est seul habilité à éclairer ses propos mais qu'il “ est absent pour une quinzaine de jours ”, alors que l'ambassadeur de France à Rabat, qui nous a accordé une interview (voir page 8) nous a répondu que “ pour l'heure, il ne souhaitait pas communiquer sur le sujet ”.
Un dossier d'actualité brûlante
Une attitude somme toute compréhensible puisque les responsables gouvernementaux tant à Rabat qu'à Paris sont soumis à l'obligation de réserve, d'autant plus que le dossier en question est chaud. En effet, au-delà des déclarations de Sarkozy, force est de reconnaître que la question du Code du statut personnel soulève depuis des années les passions au Maroc, notamment les volets relatifs à la répudiation, à la garde des enfants, et à la polygamie. Le débat à ce sujet est d'actualité brûlante, illustré par les accrocs que connaît le travail de la Commission royale de réforme de la Moudawana dûs à la difficulté d'aboutir à des compromis entre ses membres.
Si Mohamed Bechari, le président de la Fédération nationale des Musulmans de France (FNMF), qui représente l'Islam d'origine marocaine en France et qui vient de se classer en tête des élections en France (voir page 6), tente de minimiser les propos de Sarkozy en les imputant au fait qu' “ il aurait été bousculé par les journalistes et qu'il n'a certainement pas obtenu l'aval de son collègue du ministère des Affaires étrangères ” (voir entretien ci-dessous), ce n'est pas l'avis de plusieurs experts marocains que nous avons interrogés. Ces derniers estiment, en effet, que la prise de position du ministre français de l'Intérieur et des Cultes ne manquera pas d'avoir des répercussions sur le travail entrepris actuellement par cette Commission présidée par M'hamed Boucetta, qui a succédé à Driss Dahak, lequel a été débarqué de cette fonction pour n'avoir pas pu respecter les délais pour la remise des conclusions. Le prolongement d'un débat national au-delà des frontières du Royaume devrait donc apporter de l'eau au moulin des défenseurs d'une révision drastique des articles de la Moudawana qui maintiennent la femme marocaine dans une situation d'infériorité préjudiciable qui se répercute sur la société dans son ensemble. Pour le Pr Saïd Saâdi, l'intention affichée par le ministre Sarkozy devrait “ attirer notre attention sur les injustices et les problèmes auxquels sont confrontées des milliers de femmes marocaines vivant à l'étranger du fait de l'application d'un Code de statut personnel rétrograde et totalement inadapté au contexte socio-culturel européen ”. Ce passage, extrait du point de vue (publié en page suivante) du père du défunt Plan d'intégration de la femme au développement, qui avait mobilisé contre lui le courroux des islamistes et des milieux conservateurs, a le mérite de présenter la problématique telle qu'elle se pose aujourd'hui. Le Maroc est, rappelons-le, signataire de la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes qui a été adoptée par l'assemblée générale de l'ONU en 1979. Bien que Rabat ait exprimé quelques réserves lors de son adhésion à cette Convention en 1993, elle s'est néanmoins engagée à appliquer progressivement ses dispositions. Juridiquement, Sarkozy est en droit de demander une révision de la Convention franco-marocaine de 1981 pour la mettre en conformité avec l'esprit et la lettre de ce pacte international. Ce qui nous amène à conclure que la sortie médiatique de l'homme politique français, au moment où la Commission royale de la réforme de la Moudawana n'a pas encore remis ses conclusions au Souverain, est loin d'être une pure coïncidence. Mais plutôt un message adressé aux autorités marocaines en faveur d'une vision moderniste des questions du statut personnel, plus en conformité avec les valeurs universelles de l'époque.


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