La loi antiterroriste a fait l'effet d'une bombe. Elle structure les discours politiques, les approches médiatiques et juridiques, tout en mobilisant les associations des droits de l'homme. Les opposants, agissant désormais en réseau, occupent les devants de la scène nationale en reprochant au projet de ladite loi tous les maux possibles. Le débat, cependant, requiert sérénité et profondeur. Ce n'est pas (encore) le cas. L'exécutif et certains partis de la majorité donnent l'impression d'acteurs “embarrassés”. Or, dans une démocratie qui se construit, la sécurité des citoyens ou la lutte contre la terreur est l'une des obligations majeures de l'Etat. D'ailleurs, les raisons et les moyens pour convaincre ne manquent pas. D'abord, l'Etat doit impérativement combattre, au mieux prévenir le terrorisme. Il y va des droits mêmes de la personne humaine. Or il n'y a pas d'opposition entre ces droits et la sécurité nationale. Souvent, les attaques des opposants de ladite loi lui reprochent que la “définition des activités terroristes” est “imprécise, vague” et que sa portée est de ce fait “très large”. Il y a lieu, par conséquent, qu'elle s'étende à toutes formes de contestation ou opposition même légales. Mais il y a un fait : le terrorisme n'a pas qu'une seule définition universelle pouvant faire l'unanimité. Chacune, objective ou subjective, des définitions proposées dans le monde peut faire la lumière sur l'une des caractéristiques du terrorisme. Elle sera, néanmoins contestable. Tant par les “perfectionnistes” juridiques que par l'opposition politique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est là un argument qui joue au profit des défenseurs de cette loi. Les critiques, aussi acerbes que fondées parfois, émanant des défenseurs des droits de l'homme de partout dans le monde, n'ont pas empêché les démocraties, du Canada à la France en passant par les autres pays européens, d'adopter une telle loi. Certains de ses articles sont cependant très discriminatoires à l'égard des immigrés. Les démocrates auxquels nul ne peut reprocher un penchant “tout sécuritaire” ou autre qualificatif peu élogieux sont très conscients “qu'en matière de sécurité, il y a un équilibre délicat entre les responsabilités de l'Etat de protéger les droits et les libertés de ses citoyens d'une part et l'augmentation du pouvoir répressif de l'Etat, d'autre part”. Et que seule une démocratie bien assurée peut maintenir cet équilibre. Or, le terrorisme affaiblit la démocratie. Quand il frappe, ou menace de frapper. Le terrorisme pousse l'Etat à réagir. L'Etat ne peut, le cas échéant, se permettre le luxe de chercher la belle formule ou la meilleure des définitions. Il doit réagir. Avant et après la menace. Le Maroc, à ce titre, ne déroge pas à la règle. Doit-il d'abord comprendre, ou vaut-il mieux prévenir sinon combattre ? Certaines inquiétudes exprimées par différentes franges de l'opinion publique s'inscrivent à raison, d'ailleurs, dans la logique des problèmes que soulèvent les lois antiterroristes partout dans le monde. Cette logique a trait à la transformation de l'Etat “de droit” en un Etat omniprésent “par” le droit. L'exemple le plus cité est celui de la liberté de presse. Prévention A ce sujet, un Etat en bute au terrorisme menaçant réagit souvent, le cas par exemple de la France au cours des années noires, avec force. Ce qui passe souvent par l'adoption de mesures restrictives. Il ne peut laisser circuler l'information librement sans prendre le risque de permettre aux extrémistes éradicateurs de faire passer leur message, voire peaufiner leur stratégie médiatique. C'est un risque que les pouvoirs publics ne peuvent courir. C'est pourquoi toutes les démocraties, en temps de crise, ont à cet égard une position ambivalente, voire contradictoire. L'apologie ou l'incitation ne peuvent, en aucun cas, faire partie du simple droit d'opinion ou à l'information. Ce sont là des procédés de fertilisations du terreau de la haine et de la terreur. Les parer ne serait que justice. La démocratie ne doit jamais cesser de se défendre, encore plus quand elle est en période de consolidation. Dans ce même ordre d'idées, la sécurité dans un Etat, aussi bien de vieille tradition démocratique qu'en transition, se fonde essentiellement sur la production des règles et l'utilisation des moyens pour les faire respecter. Si la définition ne fait pas l'unanimité, les effets du terrorisme, eux, sont connus et reconnus par tout le monde. Dans les années à venir, ils ne cesseront pas d'occuper le centre d'intérêt de tous les acteurs concernés. Peut-on donc prétendre que notre pays sera épargné par l'extrémisme terroriste ? D'ailleurs, il y a moins de dix ans, le Maroc a été le théâtre d'actes terroristes sanglants à Asni-Marrakech. Oussama Ben Laden a outre cela, menacé de semer la panique dans nos murs. D'autres groupuscules ont tenté de faire la loi encore, ou planifié de s'en prendre directement au pouvoir en vue de l'affaiblir, kalach en main. La preuve que le terrorisme peut être exogène, un moyen “diplomatique” entre les mains d'un Etat ennemi, ou endogène, venant d'organisation à vocation théologico-totalitaire. Le Maroc de ce fait ne peut faire l'impasse sur la force destructive des actes terroristes. Sa position géostratégique, au cœur d'une zone de turbulence comme la Méditerranée, l'expose à tous les dangers. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte géographique. Taxée d'américaine, la loi fait par ailleurs l'effet d'un opprobre. Certes, à deux ans de la tragédie du World Trade Center, on n'échappe pas aisément à la commémoration. Mais bien avant le 11 septembre, le Maroc avait ratifié en1998 la convention interarabe contre le terrorisme. Faut-il encore souligner qu'il existe 19 conventions internationales sur le terrorisme ? Que plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, de l'AG de l'ONU et de la commission des droits de l'homme du même organisme universel, portent effectivement sur divers aspects du terrorisme. Pour clore, citons le rapport spécial de l'ONU sur “le terrorisme et les droits de l'homme” : “les terroristes menacent les fondations mêmes de la vie civilisée. En cherchant à atteindre leurs buts par la violence, ils révèlent leur refus de soumettre leurs vues à l'épreuve d'un processus politique loyal… En réalité, le terrorisme peut mettre la société démocratique en péril de diverses manières”. A méditer.