C'était il y a quelques semaines , l'Institut Amadeus et le Club Entreprendre organisaient un énième colloque sur la nécessaire émergence souhaitée d'une classe moyenne marocaine. Cette fois, il s'agit d'une enquête conduite par Ahmed Lahlimi, patron du HCP, qui aborde la question. ■ Rude tâche que de partir à la recherche – surtout la trouver – de cette fichue classe moyenne. Il y a quelques mois, Meziane Belfkih constatait : «Il est difficile d'affirmer que ces couches représentent une classe homogène, ayant une conscience d'appartenance commune et un système de valeur et de comportement uniforme, lit-on dans 50 ans de développement humain au Maroc. Il s'agirait plutôt d'une nébuleuse qui regroupe un large spectre de catégories socioprofessionnelles dont les conditions sociales et le mode de vie sont variables : cadres, professions libérales, fonctionnaires et cadres moyens, commerçants, petits et moyens entrepreneurs, agriculteurs, artisans, prestataires de services, etc». Suivait une fine analyse sociologique développée par l'équipe de «50 ans de développement humain». Aujourd'hui, Ahmed Lahlimi aborde la même lancinante question en tant que donnée statistique originale : un entre-deux. Catégorie intermédiaire entre la sociologie et le consumérisme qui se définirait par le niveau de ses revenus et de la structure de ses dépenses de consommation. Critères sur lesquels, par ailleurs, Meziane Belfkih émettait des réserves : les classes moyennes sont «définies principalement par défaut et de manière résiduelle : puisque sont considérées comme couches moyennes de la société toutes celles qui n'appartiennent ni à l'élite supérieure ni aux pauvres et aux vulnérables». Du coup, l'enquête de Lahlimi paraît assez confuse, mélangeant allègrement classes moyennes et couches intermédiaires. Tous les sociologues sont d'accord pour dire que la classe moyenne est une classe tampon dont la fonction est de cimenter la société et de déjouer «le risque de polarisation autour des deux classes qu'un abîme sépare». C'est aussi une catégorie sociale qui a «une conscience collective, un système de valeurs communes et un rôle de locomotive de la société vers le progrès». Le terme de «couches intermédiaires» par contre, est une description qui désigne ce qui se situe dans une sorte de no man's land sociopolitique : des gens qui sans être «aisés» consomment régulièrement, envoient leurs enfants à l'école, mais n'ont pas de conscience collective de leur pouvoir ni de valeurs communes. L'intermédiaire se situant de fait entre l'individu et le collectif. Voilà pour la théorie. Théorie du reste assez facile à cerner et qui s'applique plutôt bien à la société marocaine. Dans le document du Haut commissariat au plan, il n'est pas sans intérêt, en effet, de repérer correctement la structure des répartitions des revenus et des dépenses, en tant que données statistiques. Mais cette connaissance n'est que partiellement utile quant à l'élucidation de la dynamique sociologique dans notre pays. Ainsi, Lahlimi et son équipe ne nous apprennent pas plus que nous ne savions déjà depuis bien longtemps et que le Rapport sur le développement humain de Meziane rapportait déjà avec quelques variations, sans trop s'y attarder. Que nous apprend-t-on ? Les couches intermédiaires représentent 53% de la population contre 13% de nantis et 34% de pauvres. 28% de cette population intermédiaire a un revenu mensuel par ménage supérieur au revenu moyen (5 308 DH) alors que 42% a un revenu mensuel situé entre 3.500 DH et 5.308 DH. Une kyrielle d'autres chiffres concernent la structure des dépenses de consommation, les niveaux d'endettement, etc… Peut-on arguer de l'existence d'une classe moyenne avec de telles informations ? Peut-on classer un ménage avec un revenu autour de 5 000 DH par mois, dans la catégorie de la classe moyenne ? Certainement pas et encore moins un ménage dont le revenu mensuel tourne autour de 3.500 DH. Ces populations sont sans doute des «couches intermédiaires» entre l'extrême misère et l'opulence, mais elles-mêmes se situeraient plutôt entre le dénuement extrême et la pauvreté. En fait, et ce n'est pas si mal, même si ce n'était pas le but recherché ; loin d'éclaircir la problématique de la classe moyenne au Maroc, l'enquête du Haut Commissariat au Plan, a simplement mis le doigt sur l'ampleur de la pauvreté dans notre pays. Dont acte. Et on fait quoi maintenant ? ■