Le pire qui puisse arriver à l'économie mondiale serait de croire que le pire est passé. La lumière est certes diffuse, mais une lueur d'espoir brille bel et bien. Les actions remontent nettement. Deux tiers des 42 places boursières que The Economist suit de près se sont refait une santé ces six dernières semaines avec une hausse de plus de 20 %. Différents indicateurs économiques de diverses parties du monde sont au beau fixe. L'économie de la Chine se rétablit. La récession qui sévissait dans l'industrie mondiale semble s'atténuer. Les marchés de l'immobilier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne montrent des signes de vie : les taux d'emprunt hypothécaire sont en baisse et les logements deviennent plus abordables. La confiance grandit. Un indice du sentiment des investisseurs en Allemagne est redevenu positif pour la première fois en presque deux ans. Tout ceci fait plaisir à entendre, d'autant plus que jusque-là, ce sont des sentiments de panique et de désespoir qui dominaient. Lorsque le système financier se trouvait au bord de l'effondrement en septembre dernier, les investisseurs ont battu en retraite, les consommateurs ont cessé de dépenser et les entreprises ont fermé. Mais cette plongée dans les ténèbres pourrait être suivie d'un cercle vertueux, dans lequel les rouages de la finance se remettent à tourner, les consommateurs plus optimistes mettent à nouveau la main à leur portefeuille et les entreprises ambitieuses se remettent à faire des profits. Mais aussi bienvenue que cette situation puisse être, l'optimisme va de pair avec deux pièges, l'un évident, l'autre plus subtil. Le piège le plus flagrant est que ce regain de confiance est trompeur : ces lueurs d'espoir sont interprétées à tort comme les prémices d'une reprise alors que tout ce qu'elles montrent en réalité, c'est que le taux de récession est en baisse. Le piège plus subtil, en particulier pour les dirigeants politiques, réside dans le fait que la confiance et l'optimisme forgent un contentement qui peut être nuisible. L'optimisme est une chose, mais croire orgueilleusement que l'économie mondiale retourne à la normale peut bloquer tout redressement et toute politique visant à empêcher une plongée plus profonde dans les ténèbres. En règle générale, les marchés boursiers reprennent avant que les économies ne se redressent, parce que les investisseurs guettent les promesses de profits avant que les statisticiens n'enregistrent une reprise. Mais beaucoup ne débouchent sur aucune amélioration. Entre 1929 et 1932, l'indice Dow Jones des valeurs industrielles a augmenté de plus de 20 % quatre fois, avant de chuter à nouveau encore plus bas. C'est le même schéma qui se reproduit aujourd'hui. Les statistiques économiques sont elles aussi difficiles à interpréter. La baisse de la production industrielle est en partie la conséquence d'un immense réajustement mondial des stocks. Dès que les entreprises auront écoulé leurs stocks, elles recommenceront à produire et le pire de la récession sera derrière elles. La dépression la plus importante concerne le secteur bancaire, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. L'histoire montre que de telles récessions sont de longue durée et que la reprise qui les suit est de faible intensité. Une autre dépression concerne les pays émergents. Ces derniers font aujourd'hui face à un monde dans lequel les investisseurs prudents gardent leur argent pour eux. Même si les marchés émergents échappent à une crise de la dette, la confiance des investisseurs prendra certainement plusieurs années avant de revenir. Dans son dernier World Economic Outlook, le FMI s'attend à une baisse de 1,3 % de la production mondiale cette année, sa première baisse en 60 ans. Mais cette chute devra faire face à la stratégie politique la plus ambitieuse de l'histoire. Les banques centrales injectent des milliards de dollars de liquidités et ont recours à un arsenal « non conventionnel » de stratégies pour soutenir les marchés du crédit et le marché monétaire. Les gouvernements luttent pour renflouer leurs banques en engageant des milliards de dollars dans ce processus. Le FMI dispose de nouveaux fonds. Chaque grand pays riche soutient la demande à l'aide de stimuli fiscaux. La Grande dépression a montré à quel point l'immobilisme des gouvernements peut être destructeur lorsque le reste de l'économie s'immobilise. Cependant, les actions entreprises actuellement n'ont jamais été expérimentées auparavant et personne ne sait quand elles pourront avoir un effet et si elles feront vraiment la différence. Quel que soit leur impact, il serait faux de confondre les soubresauts d'une économie sous perfusion avec un redressement durable. Le pire est passé uniquement dans le sens où le taux de récession a atteint son plus haut niveau. Grâce à des transfusions fiscales et monétaires massives, mais non durables, la production finira par se stabiliser. Mais sous des aspects bien différents, des jours plus sombres s'annoncent. Malgré l'ampleur de la récession, aucune reprise conventionnelle n'est en vue. La croissance, à son retour, sera trop faible pour mettre le mors au chômage. Et pendant des années, la majorité des économies mondiales seront dépendantes de leurs gouvernements. Voici ce que cela implique. Une grande partie du monde riche verra ses chiffres du chômage passer au-dessus de 10 % et rester à ce niveau. La déflation a de grandes chances de s'installer durablement. La dette publique montera en flèche en raison d'une croissance faible, de dépenses de stimulus prolongées et de coûts croissants qu'implique la remise en ordre du secteur financier. Les pays membres de l'OCDE sont entrés en crise avec des montants encours de la dette de l'ordre de 75 % de leur PIB ; en 2010, ce taux atteindra 100 %. Un chômage persistant, des années de faiblesse de l'investissement et d'alourdissement de la dette publique vont à leur tour ébranler le potentiel sous-jacent des économies. Bien que rien n'indique que l'économie mondiale reviendra à son taux de croissance habituel de si tôt, il est d'ores et déjà clair que celui-ci ne retournera jamais à son niveau d'avant-crise. Ce week-end, les ministres des Finances et banquiers centraux du monde vont se réunir à Washington, pour les assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Dans ce contexte de regain de confiance, peut-être seront-ils tentés de s'envoyer des fleurs. Pourtant, il n'y a pas une minute à perdre. La pire récession mondiale depuis la Grande dépression est loin d'avoir dit son dernier mot. Beaucoup de travail reste à accomplir.