On n'a jamais compris pourquoi une personne courtoise, pacifique, devient un fauve dès qu'elle est au volant de sa voiture, sans pourtant être passée nécessairement dans un lieu public. Ce n'est pas la règle, mais c'est assez fréquent. Ce n'est pas non plus particulier au Maroc. En Europe sont tenues des statistiques aussi inquiétantes que chez nous, malgré les radars, la répression par les amendes et d'autres sanctions. Cela veut dire sans doute qu'au XXIe siècle l'homme n'a pas encore dominé la machine ou alors que le voisin est considéré comme moins important que le clavier d'un portable. Il y a quelques temps on avait partagé la souffrance d'une haute personnalité gouvernementale –qui ne l'est plus- interpelée par un représentant lors d'une séance consacrée aux questions orales, qui lui avait demandé ce qu'il comptait faire pour mettre fin aux accidents de la route qui généraient des hécatombes. La haute personnalité avait l'air sincèrement peinée et désemparée. Puis, comme si elle se jetait à l'eau, avait conclu : «Il ne nous reste plus qu'à utiliser l'alcotest». On n'avait pas compris et on ne comprend toujours pas pourquoi les quelques représentants présents avaient ri. C'est peut-être parce qu'on n'avait pas ri, qu'il avait été possible de saisir le parti qu'on pouvait tirer de cette proposition tant en ce qui concerne la limitation des accidents que les profits financiers qui s'ensuivraient. L'idée avait été exposée ici-même, en son temps. Peut-être l'avait-on exprimée sous un ton léger, puisqu'aucune proposition n'avait suivi. Devant la progression inquiétante des accidents de la circulation, on croit utile de reprendre l'idée et de l'améliorer, tant il est vrai que le temps n'est jamais perdu. On part du constat que l'alcotest est utilisé en Europe par les forces publiques généralement quand le mal est fait. On peut rapprocher l'utilisation de cet objet des caméras de surveillance. Elles ne sont utiles qu'après les méfaits, et, avec un peu de chance, les malfaiteurs sont identifiés et pourchassés. Or, l'important est de prévenir. C'est dans ce but qu'on avait imaginé que des ingénieurs pourraient travailler à la miniaturisation de l'alcotest pour en faire un objet de la taille d'un téléphone portable. Il est évident que dans cette perspective, il sera fait appel au civisme de chacun. On ne décide pas un matin ou un soir d'aller faire une station dans plusieurs établissements, pour ensuite écraser un passant avec sa voiture. Du reste, une station prolongée dans un seul établissement suffirait. Mais le changement est dans la nature des choses. Privilégié est celui qui n'a jamais entendu dire : tiens on va changer de crémerie. L'alcotest portable permettra à l'usager de mesurer ses limites. Accoudé, il pourra de temps en temps extraire de sa poche le portable de sécurité et y souffler. Lorsqu'il apercevra seulement la silhouette d'un éléphant rose, il saura que l'heure est venue de rentrer chez lui, sans encombre. Le portable de sécurité sera également muni d'un dispositif qui permettra de vivre paisiblement tant en société qu'en ménage. L'ami sourcilleux ou l'épouse méfiante ne seront plus indisposés. Ce portable éliminera l'haleine désagréable qui sera remplacée par des senteurs choisies par l'usager. Ayant le souci de préserver notre authenticité, le parfum du portable à usage interne embaumera la fleur d'orange.