Je reçois sous forme d'une courtoise et aimable demande, de la part du patron de ce magazine, une injonction de consacrer ma chronique au rituel journalistique qui consiste, non pas comme le commun des mortels à exprimer des vux, mais à faire en quelque sorte la synthèse de l'année écoulée et de mettre en exergue les personnalités qui, orbi et urbi, l'ont d'une manière ou d'une autre marqué les douze mois précédents. Etant d'un naturel plutôt conciliant, j'ai, sur le moment, pensé obtempérer, d'autant qu'il ne me paraissait pas mauvais de faire plaisir, à peu de frais finalement, à l'éditeur de «L'Observateur». Donc, sacrifier à la convention de fin décembre/début janvier à laquelle depuis les quelques décennies que j'exerce le métier de journaliste, je ne me suis pourtant jamais plié. Alors, pourquoi pas un bémol à ma pratique quelque peu rebelle du métier ? Veut-on un héros qui aura attiré notre attention en l'année 2008, celle de la crise mondiale, financière et puis de l'économie réelle, je choisirais à coup sûr cet homme baptisé par les médias et par l'opinion publique « le sniper de Targuist ». Rappelez-vous, événement inouï, des images volées montrant nettement deux gendarmes, imposant sans vergogne comme toujours, une opération de corruption à l'égard d'un camionneur. Hommage donc à ce confrère de la périphérie du journalisme d'investigation, pratique sauvage qu'on souhaiterait voir être prise comme exemple. Petite observation tristement curieuse et insolite : les pouvoirs publics, au lieu de s'attacher à inciter intensément enfin la lutte contre la corruption endémique qui sévit dans pratiquement tous les domaines, avec une mention particulière pour les gendarmes qui balisent nos routes et nos pistes, se sont évertués avec zèle, mais vainement, à essayer de mettre la main sur le vidéaste amateur, coupable de ce «forfait». Sur le plan mondial, il est impossible, bien entendu, d'échapper à la désignation de l'incontournable américain Barack Obama. Il a été permis à un noir, marié à une noire descendante d'esclaves, d'entrer à la Maison Blanche pour présider, pour au moins quatre ans, sinon plus si affinités, aux destinées du pays le plus puissant du monde. Choix pas original du tout, puisque je fais comme tout le monde y compris le célèbre et prestigieux magazine «Time». Le moyen d'esquiver cette obligation factuelle Depuis de longues années, j'en ai relevé de ces sacres de toutes sortes dans notre pays ! Il y eut des gens estimables et d'autres surprenants parce qu'ils n'offraient, à mon sens, aucune qualité les prédisposant à cette éphémère et douce désignation. En tout cas, dérisoire palmarès qui n'a d'autre mérite que de flatter fugacement l'ego du récipendiaire. Mentionnons pour l'anecdote qu'il y en a eu, il y a quelques années, des vertes et pas mûres dans l'exercice de ce critérium aux règles improbables. On se rappelle qu'une publication marocaine avait publié en bout d'année, il y a quelque temps, les résultats d'un sondage, sûrement effectué selon des méthodes aléatoires, devant désigner l'homme le plus populaire du pays. Ce fut le défunt militant des droits humains et ancien détenu politique Driss Benzekri qui remporta le challenge devant le propre chef de l'Etat marocain, le roi Mohammed VI. Il n'occasionna à vrai dire pas de charivari public, mais plutôt un véritable émoi dans les allées du pouvoir ainsi que dans les milieux politiques. Il paraissait à presque tous évident qu'il était inconvenant ou impudent ou choquant ou irrévérencieux, sinon sacrilège de mettre dans un classement quelconque n'importe quelle personne, d'ici ou d'ailleurs, devant l'occupant du trône. Cela selon une loi non écrite. Des conseils fusèrent de partout pour prôner la règle entendue de mise de l'institution royale (le roi en l'occurrence) hors-concours pour éviter définitivement de telles scabreuses situations surtout en «monarchie exécutive», comme la nôtre ! Ces manies annuelles de la presse, dans le fond un peu puériles et surfaites, rejoignent dans leur futilité toutes ces recensions que la presse s'ingénie à nous présenter à l'occasion (notamment publicitaire commerciale) les « cent qui font le Maroc » ou les « cent les plus influents dans l'économie du Maroc » ou plus ambitieux encore «les hommes clefs de l'Afrique, du monde», etc. Aucun critère un tant soit peu rationnel n'est bien sûr à la base de ces sélections centenaires et elles n'intéressent - et ne font plaisir, par voie de conséquence - qu'à ceux qui y trouvent leurs noms. Les procédés de ce genre, qui sont nés en Amérique du Nord et nous sont parvenus par l'Europe française sont heureusement sans impact réel. Elles ne sauraient être considérées comme étant le reflet de la substance journalistique. On aurait tort de considérer que la nécessaire modernisation du journalisme passe par de tels usages, artificiels et déjà périmés avant même que de nous parvenir. De même, faudrait-il que pour vendre il faille transformer nos titres en chroniques, si alléchantes soient-elles, des temps passés, oubliant par là que la presse a un impératif, celui de toujours coller à l'actualité. Informer sur ce qui se déroule de notre vivant pour le commenter aussi et éventuellement le prolonger. De cela le lecteur (l'auditeur, le téléspectateur aussi, sans oublier l'internaute) a un besoin prioritaire impératif ? Non point toutes les informations ou nouvelles, mais celles qui offrent un intérêt plus ou moins certain - pour le temps présent. Les Américains, dont le fameux Joseph Pulitzer, qui ont mis en forme quelques formules de la presse moderne à l'efficacité prouvée commencent par affirmer un postulat criant de vérité : good news, no news Ce principe s'éloigne certainement beaucoup de l'esprit de l'adage français qui veut que «pas de nouvelles, bonnes nouvelles». A méditer pour le Royaume, mais pas seulement ! Sans vouloir me poser en donneur de leçons, il me faut pourtant essayer de dire quelques petites vérités, au moment où la profession de journalisme se renouvelle vraiment, surtout grâce à la jeune presse indépendante en arabe et en français, creusant la tombe de son aînée partisane, aujourd'hui apparaissant de plus en plus surannée et ringarde. Mais, attention, tout est loin d'être satisfaisant dans ce qui se trouve dans le kiosque national. Il est déplorable de constater cette profusion de marronniers de toutes natures et espèces à toutes époques qui fleurissent sur les pages de notre presse nationale. Le «marronnier», on le sait, est dans le jargon des confrères français, cet article ou ce dossier qui revient avec un implacable et insistante régularité baignant dans une même rhétorique à peine retouchée. Enfin, une recommandation. Dans le climat délétère qui est notre lot à tous dans notre (j'hésite à écrire ce mot, tant il me paraît inapproprié) « famille » professionnelle, ne devrions-nous pas commencer par remporter, pour nous-mêmes et contre nous-mêmes, la bataille de la moralisation et de la déontologie. L'essentiel est là, ne serait-ce que pour couper le chemin à tous ceux, et ils sont nombreux, qui fourbissent des armes redoutables contre ce vecteur essentiel de la liberté d'expression qu'est la presse. On verra que le reste, c'est-à-dire le code de la presse par exemple, viendra par surcroît naturellement. Le patron de «L'Observateur du Maroc» insiste-t-il encore pour avoir son homme de l'année 2008 autre que Barack Obama ? Allons, faisons-lui plaisir à lui ainsi qu'à tous les Arabes, probablement : proposons le nom de notre confrère irakien le lanceur de baBush, Montadhar Zaïdi.