En attendant l'assemblée générale de la Fédération Royale Marocaine de Tennis, le président Mohamed M'jid, doyen des dirigeants sportifs marocains, puisqu'il préside cette fédération depuis près d'un demi- siècle, nous livre ici, en exclusivité, ses souvenirs qui remontent à près d'un siècle d'histoire. Mohamed M'jid, récemment décoré par sa Majesté le Roi de la plus haute distinction de l'Etat, devrait officiellement quitter la présidence de cette fédération. Il a choisi la «Gazette du Maroc», pour nous raconter son parcours exemplaire, exceptionnel et remarquable, aussi bien par sa longévité que par sa richesse, à travers l'action politique militante contre le colonialisme, et plus tard, par son œuvre inlassable au service du sport et de l'action sociale. Voici le premier chapitre de cette série, centrée sur les origines de Mohamed M'jid, son enfance, et ses premiers pas dans l'action politique. ■ LGM : M. Kamal Lahlou, qui vous connaît de longue date veut faire de cet entretien une véritable radioscopie, un article d'hommage, un testament avec le récit de votre parcours exceptionnel. M. M'JID : Je suis vraiment honoré et disposé à répondre à toutes vos questions Tout le monde dit que M'jid est centenaire, à deux ou trois ans près. Quel est votre âge exact ? Il faut seulement dire que M'jid est né il y a longtemps (rire)… Pour tout vous dire, d'abord ce problème d'âge exact ne se posait pas de notre temps, parce qu'il n'y avait pas d'état civil à l'époque. Les gens inscrivaient sur papier les équivalences entre année grégorienne et année musulmane. Pour ce qui me concerne, on m'a placé entre 1916,1920 et 1924. Alors à vous de choisir.(rire) 1916 ou 1920 ou 1924, cela veut dire que dans tous les cas de figures, vous êtes né et avez fait vos premiers pas, un peu avant l'intronisation de feu Mohammed V. Vous appartenez aux natifs sous le règne du Sultan Moulay Youssef,( 1912- 1927 ) père du Roi libérateur feu Mohammed V. Non, je n'ai vécu réellement que l'intronisation de feu le Roi Mohammed V, j'étais très jeune et je m'en souviens vaguement. Alors parlez-nous maintenant de vos parents, frères et soeurs, de votre ville natale Safi et du milieu dans lequel vous avez évolué. Mon grand père était un harrag, il n'est pas de ce milieu précis. c'est mon frère, que Dieu l'ait en sa sainte miséricorde, qui s'est occupé de tout ce qui concernait la famille. Moi j'ai vécu un peu comme un aventurier, et je vivais en troubadour vagabondant d'une ville à l'autre. Safi où je suis né, Marrakech, Fès, Meknès, Rabat et Casablanca. C'était une autre époque. Mon grand père est un Jamai, venu de Fès et il s'est installé à Safi. Quel métier exerçait - il ? Il était dans le commerce. Comme tous les marocains de l'époque et toujours en liaison avec Marrakech où a eu lieu la naissance de la famille M'jid, Benkacem. Mon oncle si Mohamed El Fassi y est né aussi. S'agirait-il de Mohamed El Fassi, ancien ministre de la Culture ? Non, il était mouhtassib ou quelque chose comme ça. En tous cas très proche de l'autorité de l'époque. C'est donc mon grand père Kacem Jamai, qu'on appelait El Fassi, qui s'est installé à Safi durant le 19ème siècle, qui a donné naissance à mon père et mon oncle, un oncle qui était d'un teint très clair et qu'on appelait aussi el Fassi, non pour la clarté de sa peau, mais parce qu'il était originaire de Fès. Et votre mère …. Ma mère Tamou Belhachemi, je ne l'ai pas connue hélas, elle est morte à ma naissance. Puis il y a la liaison entre ma famille et la famille Benhima. En particulier Mohamed Benhima, l'ancien ministre de l'Intérieur, puis Premier ministre, et Ahmed Taibi Benhima, ancien ministre des Affaires étrangères, et représentant du Maroc auprès des Nations-Unies. M'jid, le grand défenseur des grandes causes du Maroc, est arabe, amazigh, ou les deux ? Il est marocain tout simplement. J'insiste sur cela à chaque fois qu'on me le demande, pour dire qu'avant d'être musulman et arabe, je suis viscéralement marocain. Je tiens à le souligner encore une fois en grandes lettres. Avant toutes les identités et les courants culturels, je suis d'abord marocain. Alors vous assistez comme nous depuis quelques temps à ce large débat sociétal parfois brutal, ces tiraillements entre identités amazighe, arabe, andalouse, etc… comment contemplez-vous cette situation? Je pense que cette recherche d'identité, ce magma de questions qu'on se pose, ressemblent davantage à des débats entre petits conglomérats. Ce n'est pas l'identité de ce pays qui les intéresse, mais la leur. L'identité pour ces activistes des langues, c'est une promotion sociale de certaines personnes, une action de politique politicienne au déterminant de la langue et de la culture du pays qu'ils prétendent défendre. Pour moi, il y a un Maroc multiculturel et des marocains qui partagent les mêmes idéaux, les mêmes réflexes nationalistes, surtout en période de guerre et d'occupation étrangère. Là je tiens à rappeler un fait que beaucoup de marocains ignorent. C'est cet acte que les jeunes marocains, arabes et berbères, citadins et ruraux réunis, qui avaient organisé en 1930, avec Hadj Mohamed Benjelloune dit Chocolat ( fondateur du Wydad de Casablanca et ancien président du Comité olympique Marocain) (CNOM) et Mehdi Benbarka et ses camarades de classe du Lycée Moulay Youssef à Rabat, la première grève de la faim suite à la promulgation du dahir berbère en 1930. Si mes sources sont bonnes, la jeunesse de Mohamed M'jid était concentrée dans ce qu'on appelait le triangle du Sud : Safi, Marrakech et Agadir Non, en fait mon père a continué l'activité de mon grand père en tant que commerçant entre Safi et Marrakech. Un jour, mon père a décidé de s'installer à Marrakech. Il a travaillé comme comptable chez Hadj El Mokhtar et Hassan Benkirane, qui sont le père et l'oncle de si Ahmed Benkirane (ancien ministre, et fondateur du groupe Maroc Soir). Donc à Marrakech, j'ai fait mes premières classes, le m'sid et compagnie, puis retour à Safi où j'ai obtenu mon certificat d'études et j'ai rejoint ensuite le collège Moulay Youssef à Rabat. Vous étiez au prestigieux collège Moulay Youssef, fief de l'élite intellectuelle et politique marocaine ? Oui, j'étais au Collège Moulay Youssef, berceau de l'élite politique marocaine et noyau du mouvement national où j'ai eu la joie, le plaisir, l'aventure, l'occasion, etc.. de partager la même table de classe de sixième avec un certain Mehdi Benbarka. On reviendra plus tard sur cette époque, mais dites-nous d'abord le secret de votre excellent français. Les belles tournures de phrase, les jeux de mots, les parades, les boutades, les belles blagues, qu'est-ce qui a fait de M'jid le personnage francisant accompli que vous êtes? J'ai accordé beaucoup d'importance, depuis mon très bas âge à la formation en langue française, je passais mon temps à lire et parler, parler et lire constamment et consulter mon entourage . Mais le plus important c'était la qualité de nos enseignants. Les professeurs que nous avions, étaient d'une grande compétence et en matière de pédagogie c'étaient, comme on dit aujourd'hui, sans le faire, de vrais professionnels. Ils savaient transmettre, communiquer et intéresser. Pour eux, il n'y avait pas de mauvais élèves mais seulement de mauvais professeurs ou instituteurs. Dans tout ce parcours de jeunesse, il y a bien sûr la pratique du sport : basket-ball, football et tennis Non, il n'y a pas eu que le sport. Avant le sport, il y a eu ma vie de jeunesse, la vie estudiantine dans le contexte particulier que vivait la société marocaine sous la colonisation française. Au collège Moulay Youssef à Rabat, où on était déjà après cette grève de la faim pour protester contre le Dahir berbère de 1930, on avait décelé en nous des éléments susceptibles de constituer des cellules de militants qui animeraient l'action politique des jeunes dans les principales villes du pays. Nous sommes aux débuts des années trente et venions d'adhérer au mouvement nationaliste naissant. On eut des contacts avec les frères Lyazidi ( un des principaux chefs du mouvement national, ancien ministre de l'Istiqlal ) et surtout son frère Bouchaib. C'est de cette époque que date mon appartenance à l'action politique, pacifique d'abord, et plus tard à la lutte armée.