Le FMI rejette la responsabilité de la crise financière sur une réglementation inappropriée, et non sur des déséquilibres mondiaux. Ces derniers mois, de nombreux économistes et responsables politiques, y compris la drôle de paire constituée par Paul Krugman, économiste et chroniqueur au New York Times, et Hank Paulson, ex-secrétaire américain au Trésor, évoquaient les «déséquilibres mondiaux» (les énormes excédents du compte courant de pays comme la Chine, ainsi que l'immense déficit des Etats-Unis), comme origine de la crise financière. Mais le FMI n'est pas d'accord. Il avance dans un rapport publié le vendredi 6 mars que le «principal coupable» est une réglementation défectueuse du système financier, associée à une défaillance de la discipline de marché. Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI, a déclaré cette semaine que les déséquilibres mondiaux n'ont contribué qu'«indirectement» à la crise. On pourrait croire que la principale organisation macroéconomique internationale cherche tout simplement à refiler la responsabilité aux autres. Mais cette distinction a des conséquences importantes pour déterminer si une politique macroéconomique ou bien un renforcement de la réglementation des marchés financiers est nécessaire pour apporter une solution au problème. De manière générale, si l'on considère les déséquilibres mondiaux comme responsables de la crise, on estime qu'un excès d'argent en provenance de pays où les taux d'épargne sont élevés, tels que la Chine et les pays producteurs de pétrole, a submergé les Etats-Unis. Cela a eu pour effet de pousser les taux d'intérêt vers le bas et de créer une bulle du crédit et une montée en flèche connexe des prix de l'immobilier, entre autres, dont la chute a précipité la crise financière. Une solution réalisable à long terme aux problèmes de l'économie mondiale impliquerait donc de trouver un remède à ces déséquilibres. Mais le FMI avance que les déséquilibres n'auraient pas causé de crise sans la capacité ingénieuse des institutions financières à développer de nouvelles structures et de nouveaux instruments pour satisfaire aux exigences des investisseurs avides de revenus toujours supérieurs. Ces instruments se sont avérés plus risqués qu'ils ne le paraissaient. Les investisseurs, débordant d'optimisme quant à la montée continue des cours des actifs, n'ont pas regardé attentivement la nature des avoirs qu'ils achetaient, préférant se reposer sur les analyses des agences de notation de crédit qui, dans certains cas, fournissaient également des conseils sur la manière de manipuler le système de notation. Ladite «défaillance de la discipline de marché», selon le FMI, a joué un rôle important dans la crise. Et, problème tout aussi important selon le fonds, la réglementation financière était défectueuse, inefficace et avait un rayon d'action trop limité. Ce qu'elle surnomme le «système bancaire fantôme» (un réseau de banques d'investissement, de fonds spéculatifs, etc. peu réglementé, mais hautement interconnecté) n'était pas soumis à une réglementation prudentielle (avec des normes de fonds propres, par exemple) telle que celle qui s'applique aux banques. Selon le FMI, tout s'explique par le fait qu'on ne considérait pas ce système comme ayant une importance systémique, contrairement aux banques. Mais le fait qu'il ne soit pas soumis à une réglementation l'a rendu plus attrayant pour les banques qui ont cherché à éviter les règles en plaçant les risques dans ce type d'entités. Avec le temps, ce réseau d'institutions a tellement grossi qu'il a commencé à avoir en effet une importance systémique : selon l'expression désormais familière, elles étaient «trop grandes» ou «trop liées» pour tomber. Fin 2007, on a estimé les actifs des institutions non bancaires aux Etats-Unis fonctionnant en-dehors de toute réglementation prudentielle à environ 10 billions $, soit autant que les actifs du système bancaire américain soumis à réglementation. Face à cette interprétation, il n'est guère surprenant que le FMI apporte tout son soutien à l'idée de renforcer considérablement la réglementation financière, dans une série de rapports destinés à attirer l'attention du G20. Parmi de nombreuses autres propositions, il souhaite que le système bancaire fantôme soit soumis aux mêmes exigences prudentielles que celles que doivent respecter les banques. Le FMI demande raisonnablement à ce que la réglementation se concentre sur ce qu'une institution fait, et non sur le nom qu'elle se donne (une réglementation qui se base donc sur les activités, non les entités elles-mêmes). Le FMI appelle également les organismes de contrôle à porter leur attention sur ce qui contribue au risque systémique (effet de levier, financement et interconnexion), dont la portée a probablement été sous-estimée jusqu'à la faillite de Lehman Brothers et du chaos qui a suivi. Et beaucoup d'autres aspects restent à gérer, suggère le fonds, comme les opérations bancaires transfrontalières, les obligations d'information, les indices de risque systémique et la coopération internationale. Pourtant, il y a une incohérence. La version du FMI du «comment ça s'est passé» est un exemple classique de la façon dont les institutions manipulent le système. Il est impossible d'anticiper tous les moyens pouvant être utilisés pour échapper à la réglementation. Avec le recul, on se rend bien compte que les institutions financières non bancaires avaient atteint une importance telle qu'elles pouvaient sans doute représenter un risque pour le système tout entier. Pourtant, ça n'était pas évident pour les responsables politiques. Renforcer la portée de la réglementation peut probablement empêcher les problèmes précis qui ont mené à la crise de se reproduire, mais rien n'empêche les financiers de trouver des moyens de contourner la pléthore de règles que le FMI propose. Difficile de viser une cible mouvante. Et que penser de ces satanés déséquilibres ? Selon le FMI, et pour résumer, sans les risques excessifs encourus par les institutions financières, aidées par l'absence de réglementation, les déséquilibres n'auraient pas pu à eux seuls causer ce désastre. Mais, de la même manière, sans l'afflux de fonds causés par la recherche de profits, les instruments financiers risqués sur lesquels le FMI rejette la responsabilité de l'aggravation du risque systémique n'auraient pas pris une telle ampleur et représenté une telle menace. Certains accusent la politique du FMI pendant la crise asiatique d'avoir encouragé les pays de la région à accumuler d'énormes réserves. Cela explique peut-être pourquoi le fonds international s'exprime aussi vigoureusement dans ce débat.