Un spectre que l'on croyait disparu depuis longtemps refait son apparition. Barack Obama est le seul à pouvoir le faire fuir à nouveau. Rien de plus complexe que de gérer une crise, d'autant plus que celle-ci exige jusque-là modération et pragmatisme, et non véhémence et rigueur. Les gouvernements doivent-ils venir au secours des marchés du crédit en offrant des garanties ou en créant des Bad Banks ? Probablement doivent-ils faire les deux. Quel plan de stimulus fiscal serait le plus efficace ? Cela varie d'un pays à l'autre. Doit-on nationaliser les banques ? Oui, dans certaines circonstances. Seuls les idiots et les partisans rejettent (ou accueillent à bras ouverts) une quelconque solution de façon catégorique. Mais la réapparition d'un spectre qui n'a plus été vu depuis les jours les plus sombres de l'histoire moderne indique pourtant que la solution est ailleurs et qu'elle est, en effet, impétueuse. Le nationalisme économique (le désir de conserver les emplois et les capitaux pour et à l'intérieur du pays) transforme la crise économique en une crise politique et fait courir au monde le danger d'une dépression. Si ce spectre n'est pas chassé pour de bon, les conséquences pourraient être désastreuses. Le commerce encourage la spécialisation, ce qui entraîne la prospérité ; les marchés de capitaux mondiaux, malgré tous leurs problèmes, répartissent l'argent de façon plus efficace que les marchés locaux ; la coopération économique favorise la confiance et accroît la sécurité. Pourtant, malgré ces avantages évidents, l'économie mondiale est menacée. Sauve qui peut C'est dans le secteur bancaire que le nationalisme est le plus solidement implanté. En France et en Grande-Bretagne, les responsables politiques, qui déversent l'argent des contribuables dans les banques en faillite, exigent que ces fonds soient prêtés à l'intérieur des frontières. Puisque les banques réduisent leurs activités de prêts de manière générale, cela signifie qu'il faut rapatrier les capitaux. Les organismes de contrôle pensent eux aussi à l'échelle nationale. Les gouvernements protègent les biens et les capitaux en grande partie dans le but de défendre les emplois. À travers le monde, les travailleurs sollicitent l'aide de l'Etat dans un climat de panique croissante. Les grévistes britanniques exigent de Gordon Brown qu'il donne «des emplois britanniques aux travailleurs britanniques». En France, plus de 1 million de personnes ne sont pas allées au travail le 29 janvier dernier, afin de manifester pour la protection de leurs emplois et de leurs salaires. En Grèce, la police a eu recours à du gaz lacrymogène contre les agriculteurs qui exigeaient plus de subventions. Trois arguments viennent défendre le principe du nationalisme économique : il se justifie d'un point de vue commercial ; il se justifie d'un point de vue politique ; et il n'aura que peu de conséquences. Concernant le premier point, certaines banques en difficulté pourraient se sentir plus rassurées en se repliant sur les marchés nationaux, dont elles maîtrisent les risques; mais c'est une tendance que les gouvernements devraient chercher à renverser, non à encourager. Concernant le deuxième point, il est prudent pour les dirigeants politiques de vouloir dépenser l'argent des contribuables dans le pays, tant que les coûts ne sont pas déraisonnables. Dans le cas d'espèce, cependant, les coûts pourraient devenir énormes. Quant au troisième argument (selon lequel le protectionnisme n'aura que peu de conséquences), il est dangereusement sous-estimé. Certes, toute personne sensée méprise Reed Smoot et Willis Hawley, les législateurs qui en 1930 ont aggravé la Grande dépression en augmentant les tarifs douaniers américains. Les chaînes logistiques mondiales sont probablement plus complexes à l'époque actuelle. Mais lorsque le nationalisme est en marche, même la logique commerciale est bafouée. Les liens entre les économies des différents pays sont mis à rude épreuve. Le commerce mondial a de grandes chances de se contracter cette année pour la première fois depuis 1982. La mondialisation subit son plus grand revers depuis le début de l'ère moderne. Les dirigeants politiques savent que l'on attend d'eux qu'ils prennent des mesures. La grande question est de savoir ce que l'Amérique va faire. À certains moments dans cette crise, elle a montré la voie à suivre, en acceptant de fournir des dollars aux pays qui en avaient besoin, par exemple. Mais les clauses nationalistes dites «Achetez américain» inclues dans le projet de loi sur le stimulus sont extrêmement inquiétantes. Elles ne relanceraient pas même le marché de l'emploi américain, car la conséquence inévitable serait la suppression de plus de postes dans les sociétés exportatrices. Les conséquences politiques seraient pires que les conséquences économiques. Et le signal envoyé au reste du monde serait désastreux : le défenseur de l'ouverture des marchés décide d'agir en solo. Le moment d'agir Barack Obama affirme ne pas aimer le principe « Achetez américain » (et encore, les clauses ont été assouplies dans la version du Sénat du plan de relance). C'est bien, mais pas suffisant. M. Obama devrait opposer son veto au plan complet si ces provisions ne sont pas retirées. Et il devrait même aller plus loin, en défendant trois principes. Le premier principe est la coordination, en particulier dans les plans de sauvetage, comme celui qui a aidé les banques du monde riche l'année dernière. Les plans de relance des différents pays doivent se fonder sur des principes communs, même s'ils diffèrent dans leur contenu. Le second principe est la tolérance. Le plan de relance de chaque nation devrait inclure des marchés libres, même si certains étrangers en profiteront. Le troisième principe est le multilatéralisme. Le FMI et les banques de développement devraient aider les marchés émergents à faire face à leur pénurie de capitaux. Lorsqu'un conflit économique semble imminent, qu'est-ce qui peut persuader les pays d'abandonner leurs armes économiques ? Le leadership américain est leur seule et unique chance. Le système économique international dépend d'un garant, prêt à le soutenir en cas de crise. Au 19e siècle, la Grande-Bretagne jouait ce rôle. Personne ne remplissait cette fonction entre les deux guerres et les conséquences ont été catastrophiques. En partie à cause de cette erreur, l'Amérique a bravement promu un nouvel ordre économique après la Seconde Guerre mondiale. Une fois de plus, la tâche de sauver l'économie mondiale revient à l'Amérique. M. Obama doit montrer qu'il est prêt pour cela. S'il l'est effectivement, il doit faire disparaître les clauses «Achetez américain». S'il ne l'est pas, l'Amérique et le reste du monde sont fourrés dans de gros ennuis.