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Absentes sans motif
Publié dans La Gazette du Maroc le 03 - 02 - 2003

Bien qu'on soit loin de penser qu'un jour un événement espéré se produirait, on s'y habitue avec le temps, quand il finit par survenir. Parfois même, la qualité de l'événement aidant, on s'en émerveille chaque jour. A contrario, ce n'est plus un événement quand le fait dure depuis de nombreuses années. C'est ainsi qu'il est devenu banal de voir, par exemple, derrière un comptoir une postière, voilée ou non.
Par contre, cela avait été un grand événement quand des policières s'installèrent à leur poste, un beau matin, tout près des feux de signalisation. La ville avait été parcourue de murmures de satisfaction, non sans raison. La moindre n'était pas de voir le champ de la police enfin ouvert aux femmes. En outre, il faut le reconnaître, les policières éclairaient les carrefours, têtes nues, maquillées et jupées qu'elles étaient. Très rapidement elles s'étaient montrées à la hauteur et remplissaient leur office avec une souple autorité, et sans avoir à bomber le torse.
L'effet sur les hommes avait été presque immédiat, et nombre d'automobilistes traînaient plus qu'il ne fallait devant les feux rouges, pour le plaisir de s'entendre dire que le passage est libre quand le vert est mis. Pas d'embouteillage malgré tout, parce que les voitures roulaient au pas. Il ne faut pas imaginer que les hommes étaient effrontés. Nul ne se permettait de détailler ces fonctionnaires ou de les regarder dans les yeux. Ce qui prouvait que la bonne éducation et le respect de l'autorité font bon ménage.
Les dépassements, dans ce domaine et non de la ligne jaune ou blanche, pouvaient venir des femmes. Ce ne pouvaient être à proprement parler des dépassements mais plutôt une solidarité sexiste. La femme qui a conquis le volant voudrait voir celle qui a conquis un carrefour impeccable, bien qu'elle soit en plein air, ou justement parce qu'elle était exposée. On pouvait aisément deviner les réflexions in petto d'une automobiliste du genre : “ tiens, ce rouge ne lui va pas ”, ou alors : “ son chignon est mal fait ”, ou alors : “ ses cheveux sont trop courts. Si je pouvais, je lui donnerais l'adresse de ma coiffeuse ”. Les hommes étaient plus prévenants, car s'ils roulaient au pas, c'était aussi pour ne pas accélérer brutalement, et faire ainsi respirer aux policières plus qu'il ne faut une fumée déjà trop envahissante.
Quelque temps plus tard, il avait semblé que les réflexions tenues en aparté par les femmes étaient parvenues à l'Administration centrale, qui a toujours eu ses antennes. Par un matin gris, on avait remarqué que les policières avaient les lèvres déshabillées. Quelque temps plus tard, elles avaient troqué la jupe contre des pantalons. Il n'y avait plus que la coiffure qui attestait de leur féminité. Certes, cette tenue était plus pratique. Mais la femme revendique, à juste titre, d'être l'égale de l'homme, mais non d'être un homme. L'inconvénient avait été perçu immédiatement, puisqu'il avait semblé sans intérêt aux automobilistes d'afficher leur tact à l'arrivée près des croisements.
L'Administration ayant sans doute été avertie des nouveaux comportements –probablement grâce aux caméras plantées au milieu de certaines places - avait doté les policières de ravissants chapeaux aux bords roulés et munis de bride pour affronter les courants d'air. Du coup les fonctionnaires retrouvaient leur féminité. L'égalité entre les sexes était rétablie. C'était des femmes qui officiaient aux coins des rues, à l'instar des hommes. Puis, quelques mois plus tard, sans explication aucune, ces dames qui illuminaient les feux de signalisation avaient disparu, du jour au lendemain.
C'est gênant de le dire, l'habitude s'étant installée, on ne l'avait remarqué que longtemps après, alors que les femmes avaient fait une entrée spectaculaire à la Chambre des représentants, en attendant celle des conseillers.
Ingratitude et inconséquence des hommes. Il n'y a que les artistes pour les sauver un tant soit peu. Le regretté Jacques Brel, amoureux fou, voulait être “ l'ombre de l'ombre du chien ” de celle qu'il avait élue.
Woody Allen, lui, était plus direct et rêvait “d'être le juste au corps d'Ursula Andress ”, la naïade du premier James Bond. C'est vrai que l'homme est friable devant une femme. Il suffit que celle-ci lui offre une douceur pour qu'il s'enivre de joie et court chanter à tue-tête. Bien que ne s'étant pas trop éloigné du sujet on s'en rapprochera. On ne saura jamais ce qu'il serait advenu si une représentante avait commis une infraction en présence d'une policière. Certainement pas un crêpage de chignon, mais vraisemblablement une tolérance compréhensive.
Il faut relever qu'on se sentait moins seul en marchant d'un pas de promeneur, accompagné d'un regard féminin. Fût-il scrutateur. Mais sans avoir été sifflé. Cela aurait été inconvenant.


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