Les projets de réhabilitation de la ville sainte de l'Islam sont sources de préoccupations pour les musulmans du monde entier. Cinq fois par jour, les musulmans de toute la terre se tournent vers la Mecque pour prier. Au moins une fois dans leur vie, ils sont appelés à participer au pèlerinage annuel dans la ville sainte de l'Islam. Cette année, comme les années précédentes, des millions de musulmans ont afflué à La Mecque au début du mois de décembre à l'occasion du hadj, se sont entassés dans les rues et ont rempli à craquer la mosquée centrale Haram. La ville a toujours éprouvé des difficultés à gérer ce flux massif de visiteurs. Alors, des projets de réhabilitation de la mosquée, visant à augmenter sa capacité, commencent à se dessiner. Actuellement, la mosquée Haram peut accueillir jusqu'à 900.000 fidèles. Les nouveaux projets envisagent de créer un espace contenant 1,5 million de personnes dans la partie principale de l'édifice, avec l'intention d'étendre la capacité davantage dans le futur pour permettre à 3 millions de personnes de se rassembler en ce lieu. Norman Foster et Zaha Hadid, deux architectes britanniques influents et renommés, font partie des professionnels sollicités par le roi Abdullah d'Arabie Saoudite (dont la liste de titres inclut celui de « gardien des deux mosquées saintes »), pour cette besogne. Mais leur participation soulève un vent de protestation en Arabie Saoudite. Construction sensibles Lord Foster a peut-être remporté le prestigieux prix Pritzker d'architecture, il n'est pas musulman. L'idée qu'un non-musulman puisse redessiner une des mosquées les plus importantes au monde suscite un sentiment de malaise en Arabie Saoudite. Et comme seuls les musulmans sont autorisés à entrer dans la ville sainte de l'Islam, si ce projet lui était attribué, Lord Foster aurait la mission délicate de mener son projet à bonne fin à distance. Ce ne serait pas la première fois que des sociétés étrangères prennent part à des projets de construction sensibles au Moyen-Orient. Il y a dix ans, United Automation, une société américaine, a été sollicitée pour refaire le système sonore de la mosquée centrale de La Mecque. Le système entier a été conçu brillamment et mis en place sans la présence des personnes responsables. Mais la reconstruction de vastes sections de la plus grande mosquée du monde sans y avoir même mis les pieds serait toute autre chose. Sami Angawi, un architecte saoudien, fondateur du Centre de recherche sur le hadj, dont le but est de préserver l'histoire et l'architecture de La Mecque et de Médine (seconde ville de l'Islam), est inquiet à la perspective de ces projets, et avance raisonnablement qu'avant de redessiner une mosquée, il est indispensable de la visiter. M. Angawi exprime également son inquiétude face au manque évident d'implication des Saoudiens. Même avant que les projets de réhabilitation de la mosquée Haram ne soient à l'ordre du jour, de nombreux musulmans s'inquiétaient au sujet des rénovations déjà en cours à La Mecque. La ville moderne a peu de points communs avec la ville natale du prophète Mohammed. Les visiteurs de La Mecque peuvent se procurer un café au lait chez Starbucks ou encore se restaurer chez KFC ou McDonald's. De plus, la première école islamique où Mohammed aurait enseigné, ainsi que la maison de Khadija, sa première femme, auraient été détruites lors du boom de construction qui a transformé La Mecque. Ce que les critiques tels que M. Angawi craignent, si ces projets sont mis à exécution, c'est que les bâtiments historiques de La Mecque souffrent davantage. Vénération des lieux saints Certains insinuent que les hauts dirigeants saoudiens se préoccupent peu de la sauvegarde de ces sites historiques, leur interprétation de l'Islam relevant de la vénération des lieux saints, similaire à l'adoration d'une idole. La prolifération des chaînes mondiales, des tours d'habitation et des hôtels cinq étoiles font déjà craindre que les dirigeants soient moins inquiets pour le bien-être des millions de pèlerins qui font le voyage chaque année jusqu'à La Mecque que pour soutirer autant d'argent que possible à ces visiteurs. Le tourisme est un composant précieux de l'économie saoudienne ; sur les 9 millions de personnes qui affluent chaque année, 2,5 millions viennent pour le hadj. Accomplir le hadj est une entreprise risquée. Souvent, des personnes meurent dans les bousculades qui mêlent des centaines de milliers de pèlerins à travers des tunnels et des ponts pour accomplir les rituels qui forment le pèlerinage. Et comme il est devenu plus facile de se rendre en Arabie saoudite, de plus en plus de gens font le voyage. Par le passé, les autorités saoudiennes ont été lourdement critiquées pour leur incapacité à prévenir les ruées dans lesquelles de nombreuses personnes ont trouvé la mort. Les dirigeants saoudiens sont sans doute conscients du caractère délicat de la question de la rénovation de La Mecque. Mais Lord Foster et Mme Hadid sont habitués à être critiqués pour leur style architectural moderne sans compromis. Si toutefois ils finissaient par se voir attribuer la rénovation de La Mecque, ils devraient d'ores et déjà se préparer à une réaction particulièrement hostile. ■