L'ex-ministre de l'éducation nationale et membre de la direction du PSD, a lancé le 26 janvier dernier le mouvement des initiatives démocratiques. Cette création a suscité beaucoup de remous, mais son président tient à en expliquer les objectifs. La Gazette du Maroc : pourquoi la création de cette association ? Abdallah Saâf : il y a un aspect expérimentation dans cette démarche, un désir de prendre des distances par rapport aux certitudes, aux fausses assurances, à l'idée que tout est “bétonné”, que la politique est l'univers des fatalités… Je crois qu'on peut y prospecter les nouvelles possibilités qui peuvent s'ouvrir à l'action politique. Les perspectives qui s'offrent à l'action politique possible ne sont pas limitées aux seules façons traditionnelles de faire de la politique, avec les pesanteurs classiques et bien connues et sur lesquelles il n'y a pas lieu de s'attarder ici, c'est-à-dire la culture politique organisationnelle, partisane avec ou sans limites, ses interdits, ses stéréotypes, ses inhibitions… Heureusement, elle a aussi ses dimensions positives pour lesquelles nous avons un profond respect… Mais il y a des espaces significatifs par l'imagination et l'innovation, l'initiative créatrice et notre champ politique, dans son état actuel, semble en demander… Nous espérons apporter une modeste contribution en essayant d'enrichir la pratique politique de chez nous par la prospection de nouvelles façons de faire, mais aussi par la pratique d'une politique de proximité répondant aux besoins réels quotidiens de nos citoyens… Pourquoi l'avoir fait maintenant ? Le moment semble propice à de nouveaux départs, loin des agitations des conjonctures très “chaudes”, même si créer cette association politique ne consiste pas à créer un parti politique, en l'état actuel des choses. L'idée mûrit depuis longtemps et a été entamée sous différentes formes avant d'être concrétisée de cette manière. Il s'agit d'une piste qui nous a semblé crédible et prometteuse dans les années quatre-vingt-dix, avant même la création du PSD. Mes camarades et moi l'avons suivie en silence et loin des lumières à travers une action associative “civile” intense, menée depuis plusieurs années. Cela a conduit à la mise en place d'une réseau associatif comptant des dizaines d'associations-sections et d'associations qui existaient en dehors de notre démarche et qui ont dûment intégré notre réseau. Ce réseau national d'associations organisées autour d'une multiplicité d'objets, en dépit de sa “civilité”, a besoin pour exister plus efficacement d'une représentation politique à différents niveaux de notre vie politique, d'un prolongement politique en termes d'actions, de discours, d'initiation… C'est notre façon de dire que la vie “civile” pure de toute politique est un leurre, que la “civilité” tout en étant distincte, voire autonome du politique, en est indissociable… Pourquoi avez-vous adopté une forme associative ? N'était-il pas plus simple d'adopter la forme conventionnelle d'une organisation politique ? La forme associative permet sur le terrain un style d'approche plus souple, plus fluide épousant même la variété et la richesse du terrain… Les pesanteurs organisationnelles du modèle proprement partisan finissent tôt ou tard par avoir des effets inhibiteurs… La forme associative semble plus ouverte, plus englobante et en même temps plus fine. Il y a chez nous un souci d'élever l'efficacité de l'action politique. Aussi, pour cela, nous avons prévu qu'un certain nombre de responsabilités ne peuvent pas être reconduites plus de deux fois de suite… Il y a aussi un souci d'améliorer les mécanismes de prise de décision : notamment par la réglementation de la constitution de courants au sein de l'association… Est-ce qu'il ne s'agit pas d'une scission au sein du PSD ? Personnellement, je n'utiliserai pas le terme “scission”. Je dirai plutôt “dépassement”. Certes, je ne peux cacher que cette initiative est liée aux déceptions de nombreux militants: faibles résultats réalisés à différents niveaux et moments de notre vie politique, faible travail organisationnel, fatigue et paresse politiques de cadres qui désormais préfèrent le confort des certitudes et des positions acquises, absence de volonté de se remettre en cause, dégradation des relations interpersonnelles… Mais il s'agit surtout d'une démarche qui essaie de prospecter d'autres horizons pour l'action politique, selon les fortes demandes émanant du terrain. Aussi le terme “scission” me semble inapproprié. On fait scission lorsque l'on opère une rupture au sein du cadre organisationnel dans lequel on opère. Or, en l'occurrence, les fondateurs viennent en grande partie d'ailleurs. C'est vrai qu'il y a un grand nombre d'éléments du comité central du parti, instance décisionnelle par excellence, mais ils ne sont pas obsédés par l'idée de régler des comptes avec le cadre organisationnel dont ils font ou faisaient partie, et ils veulent surtout construire autre chose et travailler dans de nouvelles perspectives… Précisément, quelles sont ces perspectives ? Dans un cadre complémentaire avec les acteurs légitimes de notre champ politique et dans la perspective d'un front regroupant l'ensemble des forces de changement, nous souhaitons contribuer à la défense du processus de transition démocratique en cours et à son approfondissement, à la réhabilitation de la politique et de ses valeurs, à la consolidation de son rôle de commandement dans notre société, à la recherche d'une participation plus large et plus consciente à la vie politique, en ces temps d'élargissement des cercles de l'apolitisme sous diverses formes… Mais l'essentiel de notre travail devra être centré sur la mise en œuvre d'une approche basée sur la politique de proximité, du local, des individus, des groupes et des espaces sociaux désertés jusque-là par les acteurs politiques… Y a-t-il des alliances en vue ? Tout acteur appartenant à la mouvance de gauche est condamné à se mouvoir entre deux tentations : - soit le réformisme de type social-démocrate, aseptisé, nettoyé de la moindre teinte populiste, sans vague, avec trop d'assurance, en se proclamant plus moderniste que tous, et cela commande à certaines alliances… - soit une façon de faire plus angoissée, plus inquiète, plus problématique, plus expérimentale, loin de toute certitude… La vie politique n'est pas un livre écrit une fois pour toute. Le populisme sous ses différentes formes est une donnée fondamentale de notre société et qu'il faut prendre en charge de manière frontale. Il faut le traiter politiquement et non se contenter de s'en démarquer sur le plan intellectuel, et s'en laver les mains… et le laisser pendant ce temps poursuivre son travail destructeur sur notre transition démocratique. Cette prise en charge exige aussi un autre type d'alliances… Ne pensez-vous pas qu'il y a déjà trop d'acteurs, aussi bien associatifs que partisans ? - Non, je pense plutôt que notre champ associatif, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif, reste encore sous-développé. La réussite de quelques expériences, la militance exceptionnelle de certains militants du mouvement associatif, ne doivent pas nous faire oublier cet état d'arriération relative, en dépit des avancées de ces dernières années. Le champ associatif est également fortement déséquilibré, quant à la nature des associations et quant aux relations qu'elles entretiennent avec les acteurs politiques. Je sais qu'au cours des dernières élections un parti politique, qui a multiplié par plus de quatre ses sièges au parlement, a réalisé ce résultat grâce à l'aide d'appoint d'un réseau comptant quelque cinq cents associations. Les entités associatives liées aux autres mouvances ne présentent pas la même configuration… Elles paraissent limitées, dispersées, moins efficientes et fonctionnent au hasard des moyens qu'elles peuvent réussir à lever, au hasard des relations personnelles et des supports étrangers diversement motivés. Il s'impose de travailler à la structuration d'une force associative qui puisse contribuer à rétablir l'équilibre des positionnements globaux. N'êtes-vous pas fatigués de vouloir chaque fois repartir d'un nouveau pied? - Nous ne sommes pas des carriéristes de la politique, ou des victimes impuissantes des aléas des transitions démocratiques discontinues, inachevées, confisquées. Le projet que nous avons fondé à la fin des années soixante, et pour lequel des vagues de militants ont sacrifié des pans entiers de leur vie, et dont ils portent au cœur et souvent dans la chair les marques profondes, a encore des chances de s'installer dans les avenues centrales de notre vie politique, et d'en quitter les marges…