Le HCP est formel : 95% des ménages marocains pratiquent le rituel de l'Aïd Al-Adha. Cette année, pas moins de 5,2 millions de têtes -dont 4,8 millions d'ovins et près d'un demi million de caprins- ont été sacrifiées. Une hausse de 1% par rapport à l'année dernière. Focus. Le sacrifice de l'Aïd Al-Adha n'est ni une tradition mohammadienne ni, a fortiori, une obligation religieuse fondamentale. Il s'agit, comme chacun sait, d'une coutume rituelle inspirée par l'épisode sacrificiel abrahamique. L'Eternel mit Abraham à l'épreuve en lui intimant l'ordre d'égorger son fils. Un bélier lui fut apporté in extremis par l'ange Gabriel. Le Patriarche l'offrit en sacrifice à la place de son fils. Cette histoire racontée par la Bible et le Coran est éminemment parabolique. Rien dans le Coran ou la Sunna n'impose le sacrifice rituel de l'Aïd Al Adha. Le propos ici se rapporte aux dégâts sociaux causés par une croyance mal intégrée par l'imaginaire populaire. Au point que des centaines de milliers de nos compatriotes se mettent en danger pour acquérir le mouton et la panoplie de denrées qui accompagnent sa consommation. Pis : Ce sont précisément les couches déshéritées qui tiennent mordicus à sacrifier une bête. Ainsi, selon le HCP, il s'avère, que plus les ménages sont riches, moins ils ont tendance à observer ce rite sacrificiel. Parmi les 10% des plus riches des ménages, 11% s'en dispensent contre 4 % pour les ménages vivant au dessous du seuil de la pauvreté. Par ailleurs, selon la même enquête du HCP, «la proportion des ménages ne pratiquant pas le rituel du sacrifice d'animaux vivants à l'occasion de l'Aïd Al Adha passe de 13% pour les ménages dirigés par un membre ayant un niveau d'études supérieures à 4% pour ceux dirigés par un membre qui n'a jamais fréquenté l'école». Riches et instruits : pas de mouton ! Il va de soi que ce petit 4% correspond, selon toute vraisemblance, à des raisons plus pécuniaires que principielles. Ceux de nos compatriotes de petite condition qui se mettent en danger pour écouter bêler un mouton chez eux paient très cher leur fausse fierté : Chèques sans provision, crédits aux taux exorbitants, emprunts personnels, bradage de mobilier et d'électroménager… une galerie de situations de détresse uniquement pour le paraître et le «m'as-tu vu». De plus, selon des estimations préfectorales réalisées dans une dizaine de provinces, le prix moyen d'une bête de sacrifice (mouton, chèvre, agneau…etc.) a largement dépassé les 2.100 DH, alors qu'il n'était que de 1700 DH il y a seulement trois ans. «Le pire (pour les plus démunis) est que cette dépense arrive consécutivement à une cascade de gouffres financiers que les ménages ont subis de plein fouet : vacances, Ramadan, rentrée scolaire…etc. Ajoutez à cela les prémices et autres prémisses d'une crise universelle qui est en train de briser les reins les plus solides de l'économie mondiale», rappelle Salah Basraoui, spécialiste de l'économie des religions et des croyances. «La modernité a-t-elle un sens lorsque l'insouciance collective, qui plus est assise sur des croyances périphériques, atteint des proportions aussi périlleuses sans que les élites politiques et économiques ne tirent la sonnette d'alarme ?», s'interroge-t-il. D'ailleurs, le commun des historiens sait qu'au Maroc, la généralisation massive du sacrifice de l'Aïd Al Adha, d'ailleurs tout comme le Mouloud, n'est intervenue qu'à la faveur de l'avènement des Mérinides. Aucune dynastie marocaine antérieure à ces derniers n'avait permis la généralisation de l'abattage massif. Le Sultan et l'imam de la ville sacrifiaient pour l'ensemble de la population. En milieu rural, la jmaâ se contentait d'une seule bête dont la viande était cuisinée et servie à tous. Dernier point : Le Maroc est le seul pays arabo-musulman, Egypte incluse, où l'on se permet d'accomplir un tel carnage ! ■