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Un musulman au-dessus de tout soupçon
Publié dans La Gazette du Maroc le 27 - 01 - 2003

M'hamed Boucetta préside la commission de la réforme
Tout n'a pas été que réussite dans sa longue carrière, mais ce politique apaisant, qui sait aussi parfaitement cacher son jeu, a pu, grâce
à une énergie tranquille, s'imposer après Allal El Fassi chef incontestable
de l'Istiqlal, mais aussi comme l'une des figures incontournables du Maroc d'hier, et, il faut le dire, d'aujourd'hui encore.
La désignation par Sa Majesté le Roi Mohammed VI de M'hamed Boucetta à la tête de la commission consultative pour la réforme de la Moudawana, si elle ne fut pas une surprise pour tout le monde, notamment pour ses camarades du comité exécutif de l'Istiqlal, a tout de même pris de court l'ensemble des observateurs nationaux. C'est ainsi que des membres féminins de la commission consultative, à l'image de Zhor El Hor, Nezha Guessous et Rahma Bourquia n'ont pas caché leur surprise, se gardant toutefois de faire toute déclaration prématurée.
Dans une position d'expectative, elles préfèrent, disent-elles, juger sur place, se contentant pour l'instant d'assurer que les orientations du Souverain, telles que contenues dans le communiqué du cabinet Royal, sont plutôt rassurantes.
Sa Majesté le Roi avait en effet insisté pour que sous la houlette de M'hamed Boucetta, la commission redouble “d'effort et d'Ijttihad pour faire en sorte que le projet du nouveau code de la famille reflète dans ses dispositions l'attachement Royal à l'égalité, l'équité et l'entraide qui doivent régner au sein de la famille, en parfaite conformité avec les desseins de la religion musulmane, généreuse et tolérante et l'engagement constitutionnel du Royaume en faveur des droits de l'homme tels qu'ils sont universellement reconnus”.
De cette manière, le propos royal indique clairement que la réforme de la Moudawana ne peut qu'impérativement profiter à la femme marocaine. Pour autant, cette évolution doit éviter de se heurter aux résistances sociales ou de buter, comme ce fut le cas pour le plan d'intégration, sur la division de la société marocaine. C'est dans ce souci que s'inscrit sans équivoque le choix de l'ancien secrétaire général de l'Istiqlal. Abdelhadi Boutaleb, qui avait déploré qu'Abderrahman Youssoufi, alors Premier ministre, refile le “bébé” au Souverain, explique bien ce choix. Il a été l'unique voix à plaider pour que la question de la réforme de la Moudawana reste du ressort du champ politique, ce qui vient
de se produire avec M'hamed Boucetta. L'ancien conseiller du Souverain, un fin connaisseur du dossier, considère de ce fait que la nomination d'un juriste à la sensibilité musulmane confirmée, a été le choix de l'homme capable d'arriver avec la commission à un consensus raisonnable.
Avocat, le dauphin d'Allal El Fassi à la tête de l'Istiqlal, se trouvait déjà en sa qualité de juriste dans les négociations d'Aix-Les-Bains qui ont abouti à la fin du protectorat français au Maroc. C'est donc tout naturellement que M'hamed Boucetta s'est retrouvé au lendemain de l'Indépendance aux avant-postes du Maroc en construction. D'abord au cabinet de Hadj Ahmed Balafrej, alors chef de la diplomatie marocaine, ensuite en tant que ministre de la Justice puis ministre des Affaires administratives.
Contraint à l'opposition en 1963, cet enfant du Makhzen, habitué des arcanes, bâtonnier de Rabat, sera de tous les grands procès politiques du Maroc avant de ramener l'Istiqlal au gouvernement en octobre 1977. Lui-même y occupera pendant sept ans les affaires étrangères avec le titre de ministre d'Etat. De retour à l'opposition à partir de 1985, sa grande œuvre sera d'amener le défunt Abderrahim Bouâbid, premier secrétaire de l'USFP, à “l'action commune”, noyau dur de ce qui allait devenir plus tard la Koutla démocratique. Il est à ce titre autour de feu Hassan II, l'un des artisans de la réforme constitutionnelle de 1992 et 1996 et de l'alternance consensuelle. En 1994, il s'offre même le luxe de passer à côté de la primature pour s'être opposé à la présence de Driss Basri, alors tout puissant ministre de l'Intérieur, dans le gouvernement qu'il devait former sur invitation de feu Sa Majesté Hassan II. Il devait clore momentanément sa carrière politique en 1998 en quittant le secrétariat général de l'Istiqlal dans la foulée de la “défaite” électorale programmée de 1997. Il devint ainsi le premier dirigeant marocain d'un parti à ouvrir la voie de son vivant à la succession et au renouvellement des générations.
L'histoire se répétera-t-elle ? C'est
son prédécesseur à l'Istiqal, figure emblématique du mouvement national, Allal El Fassi qui présida aux destinées de la première Moudawana dont il explique la genèse et le sens dans un ouvrage “Attakrib” de 328 pages.
Objet en 1957 d'un difficile consensus, c'est celle-là même qui est actuellement contestée. Déjà, elle n'était pas pour satisfaire Allal El Fassi qui avait exprimé, huit ans auparavant, des positions sur la femme autrement plus avancées dans son ouvrage de référence, “l'autocritique”.
Dans ce livre où il appelle à une “révolution intellectuelle et à une libération effective des archaïsmes et des mensonges du présent”, Allal El Fassi pressentait déjà que toute réforme de la famille et de son statut devait tenir compte autant des croyances de la nation que des exigences du monde moderne. Sur la place de la femme, convaincu qu'il faudrait lui reconnaître son droit à l'existence à part entière, Allal El Fassi travaille en 1949 à rétablir la vérité. Il lui revient ainsi dans son esprit, et à elle seule de se libérer de ses chaînes et de ce qu'ont fait d'elles les traditions, sachant que la supposée “inégalité physiologique” avec l'homme n'est que le produit de la société et rien d'autre. A partir de là, Allal El Fassi aboutit, entre autres, à l'interdiction de la polygamie par décision gouvernementale.
Un demi siècle plus tard, M'hamed Boucetta réussira-t-il à réaliser le vœu d'Allal El Fassi? Le futur le dira, mais c'est tout naturellement dans cette liberté de pensée qui réfléchissait, avant l'indépendance, à la réforme et à la reconstruction de la société, et cette logique d'Islam de progrès, que s'inscrit en partie le choix de M'hamed Boucetta, un musulman au-dessus de tout soupçon.
La tâche ne sera pas facile, mais l'ancien secrétaire général de l'Istiqlal a toutes les qualités pour mener à bien la périlleuse mission que lui a confiée Sa Majesté le Roi. C'est un homme attachant et accessible. A sa manière, ce citadin marrakchi est un paysan qui sait tâter l'évènement comme on tâte le fruit et de ne le cueillir qu'une fois mûri. Ses vingt-quatre années de secrétariat général appartiennent à l'art du funambilisme. Et son numéro d'équilibriste le mieux réussi a
été de se tenir à mi-distance de l'extraction bourgeoise de l'Istiqlal-y compris ses extensions dans le monde des affaires - et des prolongements populaires et syndicaux de son parti.
Tout n'a pas été que réussite dans sa longue carrière, mais ce politique apaisant, qui sait aussi parfaitement cacher son jeu, a pu grâce à une énergie tranquille, s'imposer après Allal El Fassi en chef incontestable de l'Istiqlal, mais aussi comme l'une des figures incontournables du Maroc d'hier, et, il faut le dire d'aujourd'hui encore.


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