Le Dr Abdelkrim El Khatib est mort à l'âge de 87 ans. Il avait voué son destin à ce qu'il considérait comme deux causes non-négociables : la dignité du peuple marocain et la pérennité du Trône. Nul ne connaît Probablement mieux Abdelkrim El Khatib que Nelson Mandela, Feu Mohamed Boudiaf ou encore Ahmed Ben Bella. Ces trois personnalités ont emprunté en sa compagnie les chemins périlleux de la libération de l'Afrique de l'oppression coloniale et de l'apartheid. Mandela n'a jamais oublié que son ami El Khatib a continué à intercéder auprès de Feu Hassan II pour procurer armes et munitions à l'ANC. Alors qu'il était devenu le premier président noir d'Afrique du Sud, Mandela acceptera en 1997 de préfacer «Chemin d'une vie» (Maçar Hayat), le livre de mémoires de son ami El Khatib. Un ouvrage qui a éclairé sur cette période trouble de l'histoire moderne du Royaume. En témoigne cet épisode où Ben Barka voulait convaincre la résistance armée de… cesser les combats ! «Saïd Bounâaylate interrogea Ben Barka : « Qui t'a ramené de l'exil ?». Celui-ci répondit : «les armes !». Bounâaylate lui administra aussitôt cette injonction cinglante : «Alors va-t-en ! Les armes ramèneront également l'indépendance !» Bien que né à El Jadida, ce «patriote extrême» a contribué grandement à la libération du Maghreb et de l'Afrique. D'ailleurs, les dirigeants historiques du FLN lui doivent les arsenaux achetés par lui à travers le monde et introduits en Algérie par ses brigades stationnées dans la zone Nord. A méditer par les gouvernants actuels d'Alger. Quant à la lutte armée marocaine, elle l'avait élu à sa tête. Plus tard, face à l'omnipotence musclée de l'Istiqlal, il créa le Mouvement Populaire avec Ahardane. Logique avec lui-même, il intégrera le FDIC en 1963 en compagnie de son frère Me Abderrahmane El Khatib (ex-ministre de l'intérieur). Cela n'altérait nullement son sens de la mesure : Lors d'un meeting grandiose du FDIC tenu à Sidi Bouzid, non loin de sa ville natale, face à plus de dix mille militants, il provoqua l'étonnement de ses compagnons d'estrade en rendant un hommage appuyé au leader de l'Istiqlal. Pour mieux le contrecarrer, il est vrai. Bien plus tard, il sera à l'origine d'une prouesse politique innovante en «domiciliant» le courant islamiste légaliste au sein de son parti, le MPCD. Signalons d'ailleurs que ce parti fut créé par lui en plein état d'exception à la suite d'un coup de gueule resté historique contre ce même état d'exception. Fondateur du scoutisme Pour en être resté proche, El Khatib était l'un des rares hommes politiques à pouvoir braver les colères de Hassan II. D'autant que la mère des frères El Khatib était vénérée par les regrettés Souverains Mohamed V et Hassan II. Mort à 87 ans, le Dr El Khatib a construit son existence comme une œuvre à la fois humaniste et politique. Premier chirurgien du Maroc (1953), il soignait gracieusement les gens de peu. Fondateur du scoutisme marocain moderne (Al Kachfia Al Hassania), il ambitionnait l'émergence d'une citoyenneté faite de tradition et de modernité. Ministre d'Etat et ministre en charge de domaines aussi variés que les Affaires africaines, l'Emploi et les Affaires sociales, il est resté fidèle à sa vocation humaniste, malgré les contingences politiciennes. Resté Président fondateur du PJD jusqu'à sa mort, il n'hésita point à recevoir les ténors du parti islamiste, au lendemain des dernières législatives partielles, pour leur prodiguer ses conseils. Malgré ce destin si riche en humanisme, en patriotisme et en combats, le défunt est resté humble. Ses dernières prestations télévisées sur Al Jazira et 2M révélèrent aux jeunes générations un homme pudique et modeste. A l'extrême limite de la timidité. Un homme politique propre est mort. Qui pourrait le remplacer dignement en ces temps d'opportunisme ? ■