Quelles seront les retombées de la faillite de Lehman Brothers ? Lorsque Warren Buffett a déclaré que les produits dérivés étaient « des armes financières de destruction massive », ce prophète de la finance ne pouvait porter un meilleur jugement sur la crise qui sévit en ce moment. Une des raisons de l'inquiétude des investisseurs à propos de la santé des organismes financiers est qu'ils ne savent pas à quels risques ceux-ci sont exposés par rapport au marché des produits dérivés. Et ce qui renforce cette angoisse, c'est le fait que la faillite de Lehman Brothers et la quasi-faillite d'American International Group (AIG) sont survenues avant des réformes aussi utiles que la mise en place d'une chambre de compensation centrale pour produits dérivés. Une faillite de l'ampleur de celle de Lehman a trois effets potentiels sur le marché des échanges sur le risque de défaillance, d'une valeur de 62 billions $, où les investisseurs achètent des assurances contre un défaut de l'organisme. Tous se seraient multipliés si AIG était tombé aussi. L'assureur détient 441 milliards $ de positions sur dérivés de crédit. Un grand nombre ont été fournis aux banques, qui auraient vu leur capital sévèrement touché si AIG s'était effondré. Il n'est guère étonnant que la Réserve fédérale ait décidé d'intervenir. Le premier impact concerne les contrats sur la dette de Lehman elle-même. En tant qu'«événement de crédit», la faillite va déclencher le règlement de contrats, conformément aux règles dictées par l'Association internationale des swaps et dérivés (ISDA). Ceux qui ont vendu des assurances contre la faillite de Lehman vont y perdre beaucoup. Toutefois, Lehman semblait risqué pendant un certain temps, c'est pourquoi les investisseurs ont eu la chance de limiter leur position. Le second effet touche aux accords dans lesquels Lehman était contrepartie, c'est-à-dire acheteur ou vendeur d'accords swap. Par exemple, un investisseur ou une banque a pu acheter un contrat d'échange comme assurance contre un défaut d'AIG, avec Lehman en partie adverse au contrat. Cette garantie pourrait en théorie s'avérer sans valeur si Lehman ne payait pas. Jusqu'au vendredi qui a précédé sa faillite, Lehman aurait fourni des garanties, que l'autre partie peut réclamer. Après cette date, l'acquéreur aura été exposé à des mouvements de prix, avant de pouvoir résilier le contrat. Le troisième effet concerne le marché des obligations adossées à des actifs (CDO) qui a causé tant de problèmes l'année dernière. Lourdes pertes Les CDO synthétiques comprennent un éventail de contrats d'échange sur le risque de défaillance ; un défaut de Lehman pourrait causer de lourdes pertes pour les détenteurs de tranches plus risquées. Les initiés estiment que le plus grand risque se situe sur le marché des échanges de taux d'intérêt, qui est souvent plus important que celui des dérivés de crédit. Lors d'un échange de taux d'intérêt standard, une partie accepte d'échanger une obligation à taux fixe contre une autre ayant un risque de taux d'intérêt flottant ou variable. Selon la montée ou la baisse des taux flottants, l'un finira par devoir de l'argent à l'autre. Une fois encore, pour les banques qui ont traité avec Lehman, tout se passait bien jusqu'à vendredi, lorsque la banque fournissait encore des garanties. Mais cela n'a plus été le cas ensuite. Malgré les règles de l'ISDA pour se prémunir contre de tels événements, la seule taille de Lehman sur le marché (des centaines de milliards de dollars de positions brutes sur les dérivés) fait de ce défaut une rude épreuve. On ne pourra éviter les litiges juridiques. Mais la bonne nouvelle, c'est que le marché des swaps ne s'est pas entièrement paralysé après la faillite du 15 septembre. Pourtant, les conséquences pourraient se faire sentir plus tard. Les armes de destruction massive évoquées par M. Buffett pourraient laisser derrière elles un nuage hautement toxique. ■