L'un des moments forts de la 5ème édition du Festival Timitar d' Agadir, du 1er au 6 juillet 2008, reste l'hommage rendu à l'oiseau du Sud, le poète et écrivain Mohamed Khair-Eddine. En 1995 disparaît l'une des plus originales et novatrices voix de la littérature maghrébine de langue française. Natif de Tafraout en 1941, Mohamed Khair -Eddine débarque, dans le sillage d'un père commerçant, à Casablanca. Edmond Amran El Maleh se souvient d'un jeune amoureux épris de poésie. Nous sommes en 1952/53, en pleine lutte anti-coloniale. Quelques années plus tard, il lance avec Mostapha Nissaboury «poésie toute», manifeste qui trouva refuge dans «Le journal de l'automobile» ! Il collabore au mouvement de «Souffles», en compagnie de Abdellatif Lâabi et Tahar Benjelloun, avant de s'envoler pour Paris au milieu des années soixante. La rencontre avec Jean Paul Sartre, qui devint son ami et mentor, le sauve des chaînes de l'usine et lui permet de se consacrer à l'écriture. En 1967, le Seuil édite «Agadir». Le roman- tremblement, salué par la critique, lui ouvre les portes de la république des lettres où il collectionne les amitiés les plus prestigieuses les unes que les autres : Samuel Beckett, André Malraux, Léopold Sédar Senghor, Kateb Yacine, Michel Leiris, Jacqueline Arnaud. Il collabore aux revues «Encres vives», «Dialogues», «Lettres Nouvelles», «Présences Africaines» et «Esprit», que dirige l'un de ses amis les plus fidèles, Olivier Mongin. C'est ce dernier qui lui a trouve le sobriquet «le grand Keir», lui qui mesurait a peine un mètre soixante ! Des connaissances qu'il n'a jamais sollicitées pour quelconques distinctions ou privilèges. Après «Agadir», il publie, coup sur coup, «Corps négatif, suivi d'histoire d'un bon Dieu», «Soleil arachide», «Moi l'aigre», «Le déterreur», «Ce Maroc», «Une odeur de mantèque», «Une vie, un rêve, un peuple toujours errant», «Légende et vie d'Agoun'chiche», «Mémorial», «les Cerbères», «Il était une fois un vieux couple heureux». Romans, recueils de poésie, pièces de théâtre… Récits, dialogues, monologues, délires… Une «...fureur déchaînée, laminant sur son passage tous les interdits, les tabous, proclamant contre toute logique la mort du sens conventionnellement requis» écrit Edmond Amran El Maleh. Inclassable, ouverte, expérimentale, l'œuvre de Khair -Eddine est le fruit d'un questionnement existentiel, d'un mal de vivre et d'un spleen que le poète a trimbalé au long d'une vie mouvementée caractérisée par une double violence : Guérilla contre les mots, guérilla contre le corps. Une écriture de l'errance, errances de l'écriture. Je l'ai fréquenté après son deuxième exil parisien et je garde de lui le souvenir d'un libertaire qui n'avait rien et ne voulait rien. Mohamed Khair-Eddine, pour ne pas paraphraser Walter Benjamin évoquant Franz Kafka, «… a fait de l'écriture sa vie et à transformé sa vie en écriture». Au cours d'un colloque sur les cultures orales, tenu à l'université d'Agadir en 1988, il déclara, «j'ai toujours chanté le Sud, tout le monde le sait ; d'aucuns cependant croient ou veulent croire qu'il s'agit d'une sorte de régionalisme ; ces gens se trompent lourdement». On ne met pas en cage un oiseau pareil !