Ils sont sept, marocains, tous résidents du 19ème arrondissement de Paris et âgés de 24 à 40 ans. Ils comparaissent depuis le 19 mars devant la 14ème chambre du tribunal correctionnel de Paris sous l'accusation «d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste». Tout commence fin 2003/début 2004, par la révélation des abus commis par l'armée américaine en Irak, notamment dans la prison d'Abou Ghraib. C'est alors qu'une dizaine de jeunes français -d'origine marocaine, à l'exception de Farid Benyettou (Algérien) et Mohamed El A. (Tunisien)- en colère contre les agissements américains, se fédèrent autour de Farid Benyettou, 23 ans à l'époque. Doté d'un charisme certain, à défaut d'une véritable légitimité religieuse, il regroupe autour de lui ses amis, qu'il connaît souvent depuis l'enfance, et leur fait partager sa révolte. Dans des salles discrètes ou des appartements, ils lisent de la propagande jihadiste sur internet, adoptent la tenue et les mœurs rigoristes des salafistes et se persuadent de la nécessité de partir mener le jihad anti-américain en Irak. De fait, une dizaine de personnes, françaises ou immigrées, rejoignent l'Irak pour se battre contre l'armée américaine. Si la plupart des départs vers Damas, officiellement pour suivre des cours d'arabe, sont repérés par les services français, certains kamikazes en herbe passent au travers des mailles du filet et parviennent en Syrie, puis en Irak où ils sont intégrés aux bataillons étrangers de résistance anti-américaine. Selon l'acte d'accusation, elles auraient été embrigadées dans des groupes héritiers de Abou Moussab al-Zarkaoui, le chef de la branche irakienne d'Al Qaïda et qui a été tué au cours d'un raid de l'aviation américaine en juin 2006. Thamer B. et Cherif K., (interpellés juste avant leur départ pour la Syrie) Mohamed El A. (qui a perdu un bras et un œil lors des combats de Faloudja en 2004) et qui a aujourd'hui 25 ans, comparaissent libres sous contrôle judiciaire. Boubakeur El H., 24 ans, jugé détenu, frère de Redouane, a été reconnu dans des reportages sur les camps d'entraînement des djihaistes irakiens, affirmait sans ambage, vouloir « tuer tous ceux qui veulent tuer l'islam ». Arrêté par la police syrienne à son retour d'Irak, il est expulsé vers la France, fin 2005. Nacer Eddine M., un Algérien de 37 ans, est accusé d'avoir fourni de faux papiers aux volontaires. Saïd A., 39 ans, est soupçonné d'avoir apporté une aide logistique au groupe. Ils encourent jusqu'à dix ans de prison. Un autre Français soupçonné d'avoir suivi la même filière, Peter Chérif, 26 ans, qui se cachait en Syrie après s'être évadé de prison en mars 2007, est rentré en France le mois dernier. Il a été arrêté à sa descente d'avion. Mis en examen pour le même chef, il sera jugé ultérieurement. Trois autres jeunes gens ne sont pas revenus d'Irak. Tarek Ouinis a été tué le 20 septembre 2004 lors d'un accrochage avec l'armée américaine, Abdelhalim Badjoudj s'est fait exploser dans une attaque suicide le 20 octobre de la même année, enfin, Redouane el-Hakim est mort lors d'un bombardement à Falloujah, le 17 juillet 2004. Depuis le 19 mars, au tribunal correctionnel de Paris, sous les boiseries sombres de la 14e chambre, jusqu'au 28 mars, bien loin de la chaleur du désert et de la fureur des détonations, on ne juge pas les morts. C'est par un simple coup de téléphone, qu'elles ont appris la nouvelle : la mort de leur enfant en Irak comme djihadiste. Pas de cercueil, pas d'effets personnels renvoyés pour ces familles. A peine quelques détails sur les circonstances du décès : un bombardement américain pour l'un, un accident obscur pour un autre, le «martyre» dans un attentat-suicide à la voiture piégée pour le troisième. Les familles de ces trois djihadistes tués au combat, n'ont même pas pu se constituer en partie civile ! Histoire de comprendre comment leurs rejetons se sont retrouvés embarqués dans cette galère. Les familles des accusés et les travailleurs sociaux du 19ème arrondissement, ne comprennent pas vraiment ce qui a pu se passer. La sœur de l'un d'entre eux laisse exploser sa colère : « avec tous les sacrifices que nos parents ont fait pour eux. J'ai honte. Quand je pense à tous ces gosses, au bled, qui n'ont pas eu leur chance : celle d'aller à l'école, de se faire soigner, d'être éduqués, de pouvoir gueuler quand il le faut ! Défendre les Irakiens, on peut trouver d'autres moyens… ». Alors chacun écoute - pour comprendre - le récit de ceux qui sont revenus, valides ou blessés, l'histoire de ceux qui voulaient partir, mais ont échoué… Récit de Samia E. Educatrice en milieu ouvert au club de prévention du quartier Stalingrad, elle les connait depuis le collège. Jusqu'à l'adolescence, comme leurs « frères morts au combat », ils commettaient de menus larcins sur les trottoirs du 19ème arrondissement. Vols, drogue, petits trafics. « Une façon, après des études avortées, d'arrondir leurs fins de mois de chômeurs ou de livreurs de pizzas ». Ils ont tous eu la révélation pour le « djihad », quand ils ont commencé à partir de 2003, à fréquenter la mosquée Adda'wa, dans le quartier Stalingrad. Chérif K. le dit à sa façon : « Avant, j'étais un délinquant. Mais après j'avais la pêche, je ne calculais même pas que je pouvais mourir». À la mosquée, comme les autres, il a rencontré Farid Benyettou. Ce dernier n'a qu'un an de plus, mais se targue d'une connaissance approfondie de l'islam et joue les prédicateurs à la sortie de la prière. Avec lui, les jeunes gens suivent des cours de religion, à son domicile et dans un foyer du quartier. Certains s'y rendent presque tous les jours. Très vite, leurs proches font le même constat. Les garçons arrêtent de fumer, cessent de trafiquer. Mais dans leur chambre, sans que les familles ne le sachent, ils naviguent sur des sites islamiques radicaux, visionnent des vidéos sur le djihad. Les images télévisées de l'intervention américaine et britannique, en mars 2003, en Irak, les fascinent. « C'est tout ce que j'ai vu à la télé, les tortures de la prison d'Abou Ghraib, tout ça, qui m'a motivé », raconte à la barre Thamer B. En moins d'un an, pour certains, la décision est prise : ils veulent partir. Ils n'ont aucune formation militaire, mais la foi est là. La pression du groupe aussi. « Plus le départ approchait, plus je voulais revenir en arrière. Mais si je me dégonflais, je risquais de passer pour un lâche », explique à la présidente du tribunal Cherif K. Alors, tous les jours, il s'entraîne avec les autres dans le parc des Buttes-Chaumont. Un homme rencontré à la mosquée dispense aussi (à lui et à quelques autres) des rudiments sur le maniement des kalachnikovs. Entre 2003 et 2005, les départs s'échelonnent. Chacun s'organise comme il peut pour partir sans trop éveiller les soupçons. A leur famille, les jeunes élèves de Farid Benyettou racontent qu'ils désirent « perfectionner leur arabe et leur connaissance de l'islam » en Syrie. En réalité, une fois à Damas, ils sont accueillis dans des écoles coraniques salafistes où, certains accusés disent aujourd'hui qu'on leur « bourre la tête». Puis, très vite, ils franchissent la frontière syro-irakienne. Quand la disparition de certains d'entre eux est signalée, en 2004, la Direction de la surveillance du territoire (DST) commence son enquête… Mohamed El Ayouni, le survivant Mohamed El Ayouni, l'un des rares à être revenu vivant, raconte avec le plus de détails, à la barre, son parcours de djihadiste parisien néophyte dans le bourbier irakien. Une expérience dont il est revenu sans son bras gauche et un œil en moins… Mohamed franchit la frontière irakienne en juillet 2004, avec des passeurs. De là, il est pris en charge par des « moudjahidins irakiens » qui le conduisent jusqu'à Falloujah, à l'Ouest de Bagdad. A son arrivée, il est accueilli dans une « maison d'hôtes », tenue par des insurgés de « l'Armée de Mohamed », un groupe en relation avec Abou Moussab Al-Zarkaoui, chef d'Al-Qaida en Irak à l'époque. On lui demande sa nationalité, son nom, « un numéro à appeler en cas de malheur » et on lui attribue un surnom. Après une rapide démonstration de l'utilisation d'un lance-roquettes, il est directement envoyé au front. Aujourd'hui pourtant, devant le tribunal, il jure que son rôle n'était « qu'humanitaire ». « Mon boulot, c'était de creuser des tranchées, soigner les blessés. On m'avait montré comment faire une piqûre et une perfusion, raconte-t-il. Mon intention, ce n'était pas de tuer et d'égorger. C'était de défendre le peuple irakien». En mai 2006, il est grièvement blessé par une roquette lâchée d'un avion. Soigné sur place, il aurait ensuite été transféré près de la frontière syrienne. Il y reste trois mois, réduit, à cause de son handicap, à « faire le guet ». Blessé encore à deux reprises par des balles et des éclats de bombe, il obtient rentre en Syrie, en juin 2006. Là, il y est intercepté par les autorités syriennes et expulsé en France. Deux ans plus tôt, il avait franchi la frontière en sens inverse avec deux autres « volontaires du 19ème ». L'un d'eux n'est jamais revenu ! Farid Benyettou, 26 ans, le prédicateur devenu recruteur Un air d'adolescent, la silhouette chétive, des lunettes trop grandes pour son visage presque imberbe. Jugé détenu, Farid Benyettou, 26 ans, est considéré par l'accusation comme l'un des pivots de la « filière irakienne » du 19ème arrondissement de Paris. Par « conviction religieuse », il refuse les services d'un avocat. Avant son incarcération, en 2005, il était agent d'entretien le jour, prédicateur le soir, ses longs cheveux bruns toujours cachés sous un keffieh. A son contact, la plupart des volontaires au djihad se sont décidés à partir. C'est lui qui est souvent parmi les premiers informés des décès des djihadistes en Irak, selon ses élèves. C'est chez lui, régulièrement, que se déroule le dernier repas des volontaires avant leur départ. Encore lui qui s'occupe de faire « des quêtes » d'argent -parfois jusqu'à 2 000 euros- pour payer les frais de voyages de certains partants. A la différence de ses élèves, il a une vraie connaissance de la religion musulmane. Il a embrassé les thèses islamiques radicales par l'intermédiaire de son beau-frère : Youssef Zemmouri, un idéologue islamiste condamné et expulsé en octobre 2004 pour son appartenance au GSPC algérien. Lors des perquisitions au domicile de M. Benyettou, les enquêteurs ont trouvé plus de 1 200 ouvrages écrits en langue arabe, et presque autant de cassettes audio de théologie « non orthodoxe ». Ses activités prosélytes -à l'insu du recteur de la mosquée, Larbi Kechat, engagé dans le dialogue entre religions- irritent tellement, que M. Benyettou finira par se faire exclure des établissements religieux qu'il fréquentait. Le thème du djihad était régulièrement évoqué durant ses cours. La question du martyre et de l'attentat-suicide aussi. Tellement, qu'au moment de partir, c'est souvent auprès de M. Benyettou que les volontaires venaient calmer leurs angoisses. Pourtant, le jeune prédicateur a toujours indiqué devant les enquêteurs, n'avoir jamais envisagé le djihad pour lui-même…