Ce samedi après-midi, Khalid Loughzail, médecin-chef du service d'ophtalmologie de l'hôpital provincial de Sidi-Kacem, est dans le train qui le ramène chez lui à Kenitra. Il vient de passer la journée à faire des consultations préparatoires aux journées des 27 et 28 mars prochain. Les jours-là, grâce au mécénat du Lyons Club les Orangers, de Sidi Kacem, cinquante patients indigents pourront bénéficier d'une opération de la cataracte en phacoémulsification. La cataracte (l'opacification de tout ou partie du cristallin) est une pathologie très fréquente (c'est l'acte chirurgical le plus fréquemment réalisé en France) ; «sa fréquence est en augmentation constante au Maroc du fait de l'allongement de l'espérance de vie». C'est une réussite de la chirurgie oculaire, pouvant restituer une fonction visuelle quasi-normale. Une réussite pourtant pas forcément à la disposition de tous, vu le coût de l'intervention. «C'est pour cela que le ministère de la Santé, associé pour l'occasion au mécène privé, lance cette opération. Cinq ophtalmos, venus de Rabat et Casa et [lui-même], participeront à cette opération, opérant en 48 heures cinquante patients, sur les 200 malades vus aujourd'hui». Une première pour cet hôpital de province qui possède pourtant, le matériel et le personnel compétent pour effectuer une intervention par phacoémulsification. Car il n'y a pas de traitement médical de la cataracte, les nombreuses recherches dans ce sens n'ayant pas, à l'heure actuelle, abouti. Le traitement est donc uniquement chirurgical. «Il est actuellement réalisé le plus souvent sous anesthésie loco-régionale ou même sous simple anesthésie topique (anesthésie de contact par collyre), permettant ainsi une hospitalisation de courte durée (de plus en plus souvent chirurgie ambulatoire)». Aujourd'hui, le docteur Loughzail a donc procédé à un bilan préopératoire habituel auprès des futurs patients. «L'examen préopératoire est un temps essentiel pour l'information au patient, qui doit être prévenu des modalités du traitement chirurgical, des résultats fonctionnels qu'il peut en attendre, et des complications potentielles. Il faut expliquer au patient, souvent plus qu'inquiet, que ce mot barbare -phacoémulsification- cache une incroyable prouesse technique : la mise en place après incision d'un implant intraoculaire pliable de 6 mm, dans une incision de 3mm. Ce traitement chirurgical permet dans plus de 90% des cas une récupération fonctionnelle excellente et rapide, dès le lendemain de l'intervention ou en quelques jours». Mais le travail de Khalid ne se limite pas à ces deux journées d'intervention si épatantes soient-elles. Hormis l'opération de la cataracte qu'il pratique souvent dans le cadre de son service, il consulte beaucoup -« de plus en plus »- entre autres pour des cas de développement de ptérygion. Autre mot barbare qui signifie le «repli triangulaire de la conjonctive bulbaire dans la fente palpébrale»; bref cette petite épaisseur que l'on se découvre au coin de l'œil un jour en se regardant plus longuement dans un miroir. Cette petite épaisseur qui ne gêne guère au quotidien jusqu'à ce qu'elle grossisse tellement qu'elle finit par rendre aveugle. Si la pollution n'est pas la caractéristique majeure de la région de Sidi-Kacem, l'ensoleillement maximal et la détérioration de la couche d'ozone ces dernières années sont sans aucun doute à l'origine de l'augmentation des cas d'insolations dues aux ultraviolets et de leurs répercussions sur l'œil. Ajoutez à cela les consultations «ordinaires» destinées à l'adaptation de lunettes et aux divers petits tracas oculaires de tout un chacun et vous aurez une idée du travail qui s'effectue chaque jour dans un petit hôpital de province. Loin des médias et de la publicité qu'il faudrait faire à ces quelques dizaines d'ophtalmos que forment chaque année les quatre universités marocaines de médecine… Les débuts de cette chirurgie Il y a 4000 ans un chirurgien décida d'enlever cette opacité blanche qui rendait les gens aveugles et il réalisa la première opération de cataracte. On ne connaît pas son nom mais on sait qu'il a existé. Depuis ce temps reculé, l'intervention a progressé, mais d'une façon assez lente. Il faut savoir qu'après l'an mille on pratiquait cette même opération en France par la technique millénaire qu'on appelle abaissement du cristallin. Il s'agit de faire basculer dans l'œil (dans le vitré) le cristallin devenu blanc et opaque (la cataracte), au moyen d'instruments pointus qu'on introduisait sans anesthésie dans le globe oculaire. Le pourcentage de complications devait être assez élevé... Ce n'est qu'à partir de 1750 que le chirurgien français Jacques Daviel put réaliser la première opération «moderne», avec une véritable extraction et non pas un abaissement du cristallin comme cela se faisait jusque là. Une description précise de l'opération fut donnée par le romain Aulus Cornelius Celsus (25/50 après JC) qui vivait du temps de l'empereur Néron. Il présenta les techniques de l'opération et également les conditions pour qu'elle soit réussie. On installait le patient dans une pièce lumineuse sur une chaise. L'assistant se mettait derrière lui pour lui maintenir la tête; l'opérateur se plaçait face au patient et opérait l'œil droit avec la main droite et l'œil gauche avec la main gauche. La chirurgie de la cataracte de nos jours Il introduisait une aiguille (non stérile) dans l'œil en perforant à mi distance entre le limbe (périphérie de la cornée) et le canthus externe, perpendiculairement au globe, sur le méridien horizontal. Quand l'aiguille était rentré dans l'œil il faisait un mouvement de bascule pour faire tomber le cristallin cataracté dans le vitré. Il fallait parfois faire plusieurs mouvements si l'effet désiré n'était pas obtenu de suite. Durant le moyen âge, les médecins arabes conseillèrent une méthode supplémentaire qui consistait à introduire une aiguille creuse pour aspirer les débris de cristallins. L'américain Kelman inventa la phacoémulsification en 1967 qui permet de fragmenter le cristallin et de ne faire qu'une petite incision (actuellement 2,8 mm à 3 mm). On réalise une extraction extracapsulaire du cristallin, en laissant la capsule postérieure qui va maintenir une barrière entre le vitré et le segment antérieur. En 1949 une avancée décisive fut faite par Harold Ridley à Londres qui s'aperçut qu'on pouvait mettre un cristallin artificiel en plastique, un implant. Au début des implantations on obtint de nombreuses complications jusqu'à ce que, en 1972, Binkhorst modifie cette lentille. Actuellement on réalise des extractions par phacoémulsification ultrasonore et on place un implant souple pliable, dans le sac capsulaire. La petitesse de l'incision (3mm) permet de ne pas mettre de suture. On met parfois des implants qui permettent la vision de loin et la vision de près (implants multifocaux ou difractifs). Cette chirurgie fut très améliorée par l'utilisation de produits visqueux que l'on introduit dans la chambre antérieure pour la maintenir en forme pendant la chirurgie. Demain on attend la chirurgie par phakolaser avec une incision qui fera environ un millimètre ou moins. Le problème reste la mise en place de l'implant, à moins que l'on arrive à injecter un polymère dans le sac capsulaire pour remplacer l'intérieur du cristallin. On peut espérer conserver une certaine accommodation. A suivre donc. Encyclopédie sur le traitement de la cataracte • La cataracte, opacification du cristallin, s'observe le plus souvent chez le sujet âgé (cataracte sénile). • Elle se manifeste par une baisse d'acuité visuelle en général bilatérale, à peu près symétrique, d'évolution lente. • L'examen après dilatation pupillaire permet d'observer l'opacification du cristallin et d'en préciser le type. • L'évolution non traitée est lente, entraînant une baisse lentement progressive de la vision ; la baisse d'acuité visuelle devient petit à petit invalidante en vision de loin et/ou en vision de près, amenant à envisager un traitement chirurgical. • Le traitement est uniquement chirurgical, par extraction extracapsulaire du cristallin, le plus souvent par phacoémulsification, et mise en place d'un implant intra-oculaire. • La récupération fonctionnelle est le plus souvent excellente et rapide, sauf en cas de pathologie oculaire associée ou en cas de survenue de complications (endophtalmie, œdème maculaire, décollement de la rétine).