Quatre questions à Abdelilah Hifdi. La Gazette du Maroc : pourquoi l'Etat cherche à libéraliser le secteur des transports routiers coûte que coûte ? Abdelilah Hifdi : c'est parce qu'il y a eu des pressions de la part des institutions financières internationales. Le FMI, la Banque mondiale et l'UE ont tout fait pour libéraliser le secteur. Et il fallait leur donner gain de cause en fixant la loi. On a assisté à sa confection et on leur a signifié son inopportunité pour l'heure. Mais l'important pour eux, en tant que puissance publique, était de faire passer la loi au Parlement pour montrer que le pays a un dispositif libéralisant le transport routier de marchandises dans une première étape, et dans une deuxième, celui des voyageurs. Ce dernier cas n'a pu être libéralisé parce que derrière il y a des lobbies importants qui veulent perpétuer la dimension sociale. Pourquoi veut-on transformer le Maroc en un “tube digestif” dans ce domaine, consommant et n'offrant rien en retour ? Cela est vrai pour le transport international routier (TIR). La flotte marocaine est une flotte très embryonnaire et pratiquement inexistante. Les flottes étrangères s'accaparent de plus de 95 % du fret réalisé par le Maroc. Cela se répercute sur la compétitivité du produit national à l'export. Dans les marchés européens, le transport entre, par exemple, pour un kilo de tomates à raison de 25 à 30 % de son coût. À ce niveau, un problème se pose à la commercialisation des produits marocains à l'exportation. Notre flotte est incapable de faire cette tâche. Ce sont les Espagnols et les Français qui profitent de ce créneau. De plus, nous ne pouvons pas être compétitifs parce que les étrangers, les Français en particulier, récupèrent une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) l'équivalent au Maroc de la taxe intérieure sur la consommation (TIC), sans oublier d'autres problèmes qui se posent avec acuité à nous comme la difficulté de trouver des visas. Quel est le statut de l'Office dans la libéralisation ? La loi 16-99 est claire. Il y a d'abord l'accès à la profession qui est l'un des plus importants. Ceci doit se faire selon des critères objectifs à savoir la capacité morale, financière et professionnelle. Ensuite, il faut mettre en place l'infrastructure, les programmes et le cursus scolaire. Rien de tout cela n'est encore réel. L'Office national du transport (ONT), dans son nouveau cadre, est appelé à devenir un opérateur qui va travailler dans un cadre concurrentiel avec d'autres opérateurs qui sont les commissionnaires. Mais là où le bât blesse, c'est que les décrets et les arrêtés d'application pour réglementer l'activité du commissionnaire ne sont pas encore publiés ou ratifiés par les autorités concernées. Cela signifie qu'on va transformer un monopole étatique en un autre qui appartient toujours à l'Etat. Donc, l'ONT va rester seul dans le domaine. Que vont devenir les agréments avec la libéralisation ? Justement quel est le critère d'octroi d'autorisation d'agréments pour exercer le transport depuis l'indépendance à ce jour ? C'est “le mérite national” avec tous ses dérapages. On voit toutes sortes de personne ! Il y a des gens qui ont combattu pour l'indépendance nationale mais ils sont peu nombreux. On a introduit une dimension sociale dans un univers éminemment économique. Maintenant, avec la réglementation de l'accès à la profession selon des critères objectifs et qualitatifs, il existe un cahier des charges qui oblige les intéressés à la profession de répondre aux conditions requises. Autrement dit, il faut avoir la capacité morale et la capacité financière. Ceci, pour que les entreprises qui ne jouent pas le jeu puissent être éliminées.