Le 14è Salon international de l'édition et du livre qui s'est tenu à la foire de Casablanca du 8 au 17 février 2008, vient de fermer ses portes. Loin de se limiter au seul domaine de l'édition, ce salon fût surtout l'occasion de dresser un état des lieux de la sensibilité littéraire de la société marocaine. Ce Salon international porte bien son nom : des stands des pays arabes du Moyen-Orient (Liban, Syrie, Iran…) aux stands francophones de Wallonie, du Québec, en passant par le stand Amazighe, la diversité culturelle était bien au rendez-vous… et le public marocain aussi, avec une nette majorité de jeunes. En tout cas, la foire n'a pas désempli… L'invité d'honneur de cette année fût la France, dont le stand, inauguré par SAR le prince Moulay Rachid ainsi que l'ambassadeur de France au Maroc, était de loin le plus grand de la foire. Cette 14ème édition du SIEL s'est voulue d'abord moderne et au faîte des dernières technologies. C'est ainsi que dans le domaine de la coopération franco-marocaine, il faut noter la signature officielle d'une deuxième convention entre la Bibliothèque Nationale de France (BNF) et la Bibliothèque Nationale Royale du Maroc (BNRM). Cette convention porte sur les domaines de la formation ainsi que de la modernisation; en effet la BNRM de Rabat va changer de locaux afin d'informatiser et mettre aux normes ses fonds. A cet effet, des professionnels du livre de la BNF vont venir au Maroc former du personnel aux nouvelles techniques de bibliothèque. Ces techniques concernent les domaines de la conservation des livres, de la gestion des fonds documentaires, ainsi que tout ce qui touche au dépôt légal. En échange (puisqu'il s'agit d'une coopération), des spécialistes marocains iront apporter leur aide aux chercheurs français de la BNF, notamment en matière d'histoire et de géographie. C'est ainsi que des chercheurs marocains, spécialisés dans le domaine de la cartographie, sont partis en France pour répertorier des cartes en arabe datant des 17ème et 18ème siècle. Toujours en matière de modernisation, signalons la création d'un site internet de «E-justice» par le ministère marocain de la Justice, dont le stand proposait aux visiteurs un manuel de présentation de ce site. L'idée est de permettre le suivi par internet des affaires judiciaires (notamment le suivi de l'exécution des jugements vis-à-vis des compagnies d'assurance). La démarche consiste en une implantation des e-services au niveau de tribunaux pilotes dans un premier temps, puis en une généralisation progressive aux autres juridictions. Les sites pilotes choisis sont le tribunal de commerce de Casablanca ainsi que le tribunal de première instance de Casablanca Anfa. L'objectif étant de parvenir à offrir un service de qualité dans la transparence. Le social fut aussi un thème prédominant de ce Salon. Nombre d'associations ont saisi cette occasion pour exposer leurs activités et pour intéresser la jeunesse. Le stand d'Amnesty Maroc proposait par exemple une compétition pour sensibiliser les jeunes aux questions relatives aux droits de l'Homme;un concours de nouvelles a été lancé avec le thème suivant : «Violence contre les femmes et pauvreté.» Le stand de l'association «SOS villages d'enfants Maroc» était aussi présent pour rappeler que la lutte contre l'abandon des enfants constitue une urgence de la société marocaine. Meilleurs ventes Au sujet de la jeunesse, il était réjouissant de voir tous ces cars de bus scolaires venir déposer régulièrement des dizaines et des dizaines d'enfants avides de connaissance ; et de ce point de vue de l'affluence des jeunes, ce Salon fut un réel succès. Venons-en à la littérature proprement dite. Il y avait d'abord les «dinosaures» sur lesquels nous ne nous attarderons pas longtemps, leur renommée n'étant plus à prouver. Disons seulement que sur le plan des meilleurs ventes de ce Salon, «Sur ma Mère» (chez Gallimard) de Tahar Ben Jelloun, les livres d'Irène Frain, en particulier son dernier roman «Au Royaume des Femmes» (chez Fayard), ou encore les livres du romancier et essayiste Pascal Bruckner ( dernier ouvrage «La Tyrannie de la Pénitence, essai sur le masochisme en occident», chez Grasset), tous ces auteurs cités se dégagent nettement du lot en termes de ventes, même si les chiffres du nombre d'exemplaires vendus ne sont pas encore disponibles. Plus intéressante était la table ronde organisée le vendredi 15 février 2008 autour de jeunes écrivains marocains et français. Intitulée «Regards croisés de jeunes écrivains», cette rencontre s'est révélée riche en enseignements, elle a permis de découvrir de jeunes auteurs dotés d'une lucidité étonnante, à commencer par Samira El Ayachi, auteur de «La Vie Rêvée de Mademoiselle S.» (chez Sarbacane). L'héroïne du roman, Salima Ait Ben Salem, est, à l'image de l'auteur, à cheval sur deux cultures, française et marocaine, et à travers le témoignage de cette jeune adolescente qui habite le nord de la France et dont les parents sont des immigrés de la première génération, ce qui apparaît c'est la question de l'intégration, de ses illusions et de ses désillusions. Mohamed Razane, avec «Dit Violent» (chez Gallimard) narre quant à lui les souffrances contemporaines d'un jeune «racaille» de la banlieue française. Il faudrait aussi citer le rappeur et nouvelliste Khalid El Bahji avec sa nouvelle «Une Nuit de plus à Saint Denis». Le point commun de tous ces auteurs, c'est ce thème de l'identité qui les obsède et qui les pousse à écrire ; déchirement, dédoublement intérieur («La France est l'une de mes jambes, le Maroc est l'autre jambe» dira l'un des auteurs présents)??: qu'il s'agisse d'identité nationale ou d'identité personnelle, cette rencontre a été l'occasion de dénoncer les clichés et le folklorisme que subissent beaucoup de marocains à l'étranger. Comme l'a dit si bien un écrivain présent à cette rencontre «Le marocain a évolué mais pas son image». Identité du citoyen Ce foisonnement intellectuel prouve en tout cas que la littérature marocaine a bel et bien un avenir devant elle. Au niveau des succès de vente, à noter la vague déferlante des livres consacrés au coaching et autre développement personnel : particuliers, écoles de commerces et de marketing, jeunes cadres des villes s'arrachent ces manuels censés permettre une optimisation des facultés mentales de chacun. C'est ainsi que l'on voit de plus en plus fleurir des ouvrages de PNL (programmation neurolinguistique); comme son nom l'indique, cette discipline porte sur les rapports qui existent entre le langage humain et les signes qu'il transmet au cerveau; il s'agit d'analyser pour les modifier les modalités du discours que chacun possède inconsciemment en lui, l'objectif étant de pouvoir donner le meilleur de soi-même, bref une autre façon d'aborder la question de l'identité du citoyen marocain contemporain. Un coup de cœur, pour celles et ceux qui aiment conjuguer connaissance et plaisir ensemble, le livre de l'historienne marocaine Leila Meziane «Salé et ses corsaires (1666-1727) Recherches sur l'histoire maritime du Maroc». L'ouvrage retrace la vie des corsaires de Salé au cours de la seconde moitié du 17ème siècle, un moment d'évasion érudite… Au sortir de cette 14è édition du SIEL, on ne peut s'empêcher de penser que la société marocaine a définitivement pris le tournant du XXIe siècle : modernisation et informatisation des bibliothèques, présence d'internet accrue au niveau des structures, conscience sociale et citoyenne de plus en plus présente, quête de sens et d'identité… Qui a dit que les jeunes marocains n'étaient intéressés par rien ? Encore un cliché que ce Salon aura contribué à éliminer…