l est clair que la société de consommation qui avait suscité des révoltes un peu partout dans le monde en 1968 revient en force, avec plus d'agressivité. Ce que les manifestants de l'époque contestaient en un slogan «Métro-boulot-dodo» est devenu une revendication «boulot auto télé». Déjà à l'époque André Malraux percevait une crise de civilisation. Cet écrivain et ancien ministre hanté par la spiritualité et les arts constatait: «Quand les dieux sont morts il ne reste plus à l'homme que son corps». Pour lui, les dieux sont les valeurs qui constituent le socle sur lequel sont bâties toutes les sociétés humaines. Ces valeurs se dissipant de plus en plus, les supermarchés sont devenus les lieux du culte de la valeur consommation. Depuis des années cette mutation est visible. Elle touche les pays développés aussi bien que les nouveaux venus ou les aspirants. Dans ces temples de la consommation les différences sociales sont faciles à repérer, les plus favorisés ont leurs produits rangés sur les étagères d'en haut, faciles d'accès, ceux qui le sont moins se mettent à genoux pour atteindre les articles les moins chers. Cependant que dans les travées riches et modestes poussent leurs chariots vers la même destination, la caisse. Les différences demeurent. L'écran plasma est pour les branchés, en cas de malheur. Les deux vecteurs de la consommation sont l'image et la téléphonie mobile. Les progrès technologiques font que ces deux éléments se confondent. On peut déjà voir son correspondant sur le petit écran. Si c'est un créancier ou seulement un raseur la boite vocale lui sera ouverte. Cela n'est pas encore généralisé mais c'est pour demain. Demain ce n'est pas l'avenir mais demain, tant les inventions se répandent à une vitesse fulgurante. Les regards sont naturellement portés vers les Etats-Unis qui sont à la fois un laboratoire et un modèle. Il faut leur rendre cette justice, tous leurs produits sont d'abord consommés sur place. Il y a déjà sur le marché, y compris chez nous, des téléphones portables qui vous rendent tous les services, à l'exception de confectionner un couscous. On peut téléphoner, évidemment, envoyer un texto, adresser un e-mail ou en recevoir, cela veut dire que l'appareil est branché sur Internet que le consommateur pourra consulter pour tout, télécharger des musiques puis les écouter et aussi voir des films, ou des rencontres sportives. Cela est tellement tourneboulant qu'on ne se rend même pas compte qu'on fait de la pub. Mais on éprouve une joie mauvaise quand on voit à la télévision le Président français en visite officielle dans un pays étranger envoyer des textos, à coté de son hôte médusé. Bien élevé, il n'avait pas exploré son nez. A l'apparition de la télévision, on avait craint que les familles ne regarderaient plus dans la même direction, dès que chacun aurait son poste. C'est fait. Avec le nouveau portable ce sera pire et en même temps comique. On imagine facilement un couple dans son lit le soir, la femme versant des larmes en regardant un mélodrame, alors que le mari se tord de rire emporté par une comédie. Avec, cela va de soi, chacun une oreillette pour ne pas gêner. Chacun son portable, pour la paix des ménages. Cela sera à la portée de tous, un vivo ou virtuellement à la télé, en grignotant du pain et des olives arrosées de thé à la menthe. Contrairement à ce qu'on pourrait penser cela n'est pas orchestré par Big brother. L'économique a définitivement pris le pas sur le politique. L'économique c'est le capital devenu financier anonyme. Le paradis pour les chercheurs qui inventent à tours de bras. Pour aller où, cela n'a aucune importance. Tant que les trouvailles sont consommées et produisent des résultats chaque année plus importants. Le capital ne connaît plus de danger, malgré certains dérèglements. A chaque alerte des dispositifs sont mis en place pour que tout reprenne comme avant. La recherche reprend, la consommation continue de fasciner, et l'argent coule à flots pour aller voir dans le cosmos s'il n'y a pas de gisements, et éventuellement de nouveaux consommateurs. C'est toujours André Malraux qui écrivait: «A quoi bon aller sur la lune si c'est pour s'y suicider». Peut-être qu'on vivra bientôt dans un monde d'écrans ruisselants de couleurs criardes, et qu'un enfant demandera à son père en levant pour une fois son regard vers le ciel : « Dis papa, à quoi ça sert le soleil ».