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Le rôle de l'Etat “réinventé” à Marrakech
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 12 - 2002

Après Washington, Brasilia et Naples, Marrakech vient d'abriter la quatrième édition du «Global Forum» organisée d'une manière collégiale par le gouvernement, l'Organisation des nations unies et la Banque mondiale. Cette édition placée sous le haut patronage de S.M le Roi Mohammed VI a vu la participation de nombreuses personnalités des plus éminentes du monde de la politique et de l'économie.
Etalée sur quatre jours, du 10 au 13décembre 2002, la quatrième édition du Global Forum a été le carrefour scientifique où plusieurs intervenants venus des quatre coins du monde ont débattu de la cruciale question du nouveau rôle de l'Etat à l'ère de la mondialisation. Nouveau concept, nouvelle gouvernance et démocratie constructive ont été les principaux thèmes qui ont fait le tour des différentes salles du Palais des Congrès où se sont déroulés les travaux de cette édition.
Mercredi 11 décembre 2002, à 17h45. Le coup d'envoi du quatrième “Global Forum” a été donné par le Premier ministre Driss Jettou, qui a prononcé le discours de S.M le Roi Mohammed VI, rédigé à cette occasion. Dans ce discours, S.M le Roi a exhorté les participants à examiner toutes les voies possibles pouvant amener l'Etat à être au service exclusif du citoyen. La réinvention du rôle de l'Etat, l'objectif scientifique pour lequel cette quatrième édition s'est tenue récemment à Marrakech, a constitué le centre des débats autour desquels de nombreux intervenants ont versé leurs exposés. La communauté africaine représentée par une élite formée d'hommes d'Etat a plaidé lors de ce forum pour la défense des idées “africaines” pour prétendre à un niveau raisonnable et souhaitable de développement. Cette élite refuse la reprise souvent pratiquée des concepts occidentaux qui, de son avis, ne sont pas nécessairement adaptés à la réalité africaine quoique ces concepts aient servi à hisser la communauté occidentale à des niveaux très enviés de développement et de prospérité. La diversité des intervenants constitués d'experts européens, américains et africains a fait que les idées proposées, à la fin de ce forum, soient riches et prêtes à servir chaque Etat pour ses objectifs d'améliorer ses services au citoyen. La notion de la gouvernance a été un vocable souvent invoqué et même passé au crible par de nombreux intervenants. Les facteurs critiques qui ont une influence sur les changements positifs et négatifs qui se produisent dans les pays en développement sont les phénomènes de la démocratie et de la bonne gouvernance, c'est-à-dire les institutions et les procédures de la gouvernance démocratique et leur qualité. Lorsque la gouvernance est démocratique, c'est-à-dire qu'elle s'inspire des principes de la participation, de la primauté du droit, de la responsabilité et de la transparence, elle contribue pour beaucoup à l'amélioration
de la qualité de la vie et au développement humain de tous les citoyens. Le développement ne peut être durable sans institutions transparentes et responsables (organes électoraux, Parlements, institutions relatives aux droits de l'homme…etc), une capacité nationale et locale de formuler des politiques axées sur l'être humain et des cadres juridiques et réglementaires. Des élections libres, régulières et périodiques sont la base de la légitimité politique et de l'incorporation des besoins de
la population en matière de développement dans les politiques publiques. Des cadres juridiques et réglementaires transparents sont nécessaires pour promouvoir les investissements étrangers et permettre aux pays en développement de tirer parti de la mondialisation. Lorsque nous parlons de la qualité de la gouvernance d'un pays donné, nous entendons par là la mesure dans laquelle ses institutions et les processus sont transparents, rendent des comptes au public et permettent à la population de participer à la prise de décisions qui ont des incidences sur sa vie. Il s'agit aussi de la mesure dans laquelle le secteur privé et les organisations de la société civile sont libres et en mesure de participer à la construction démocratique. On qualifie la gouvernance de “bonne” ou “démocratique” lorsque l'autorité du gouvernement s'appuie sur la volonté du peuple et est à l'écoute de ce dernier. La démocratie n'est pas une panacée pour le développement humain et la réduction de la pauvreté, mais elle offre de meilleures possibilités d'atteindre ces objectifs que tout autre système de gouvernement. La démocratie crée des possibilités et renforce les capacités des pauvres et des défavorisés.
Ces dernières années, un consensus de plus en plus large se dégage quant à la nécessité de promouvoir la démocratie et le développement en concevant la gouvernance de façon plus dynamique et participative. Ce consensus s'est dégagé à la suite des discussions qui ont eu lieu au Forum de Marrakech. Les questions de la promotion de la démocratie et de l'appui à la bonne gouvernance ont été aussi abordées lors de réunions régionales de premier plan d'organisations aussi diverses que l'Union africaine, l'Union européenne, le G8, le Commonwealth… etc. D'après les estimations de nombreux observateurs, l'effort mondial concerté de promotion de la démocratie fournirait quelque 2 milliards de dollars par an aux programmes d'assistance à la démocratie et aux programmes connexes dans les pays en développement. Malgré les progrès réalisés par de nombreux pays dans la mise en place d'institutions démocratiques et la protection des droits de l'homme, la démocratie reste encore fragile dans certaines régions du monde, parmi elles, le Maroc. Le renforcement des institutions démocratiques, tel que préconisé par Patrick Molutsi, un consultant américain et directeur des programmes à l'institut international pour la démocratie et l'assistance électorale, est considéré comme un outil important pour promouvoir un développement économique et social et donner au pays les moyens de s'occuper de nouvelles questions touchant au niveau local, national ou mondial. Le cadre d'évaluation de la démocratie, utilisé par l'institut international pour la démocratie et l'assistance électorale a fait l'objet d'une expérience dans huit pays différents ces trois dernières années. Sa première forme (audit démocratique) a été utilisée pour la première fois au Royaume uni, en Suède et en Autriche. Dans chacun de ces pays, les résultats ont suscité des débats, tant dans la vie publique que parlementaire où certaines réformes ont été élaborées. Depuis qu'une équipe internationale composée d'universitaires a étudié et modifié la méthodologie de l'évaluation de la démocratie pour le compte de l'Institut, celle-ci a été appliquée en Italie, au Kenya, en nouvelle Zélande, au Pérou et en Corée du Sud. Dans chaque pays, une équipe d'universitaires et de chercheurs constituée avec soin a procédé à l'évaluation. Le rapport du pays a fait l'objet de discussions internes approfondies avec les hommes politiques, les acteurs du secteur public, le secteur privé et la société civile. Dans tous les pays, l'analyse a révélé les déficiences et les problèmes auxquels il faudra prêter attention pour que la démocratie puisse progresser. Ainsi, les conclusions de l'évaluation dans tous les pays indiquent que l'exclusion sociale des groupes autochtones continue de poser des problèmes. La démocratie ne peut qu'en pâtir. Un autre phénomène joue un rôle très important dans la redéfinition du rôle de l'Etat : la mondialisation. Ses connotations ont été positives pour ceux qui prônent une intégration économique accrue au-delà des frontières nationales, mais la notion a été farouchement critiquée par ceux qui perçoivent la mondialisation comme une menace pour la cohésion sociale et la promotion d'un capitalisme libre de toute entrave qui est préjudiciable à l'Etat providence. Du fait de l'animosité qui entoure le débat sur la mondialisation, il est nécessaire d'adopter une approche globale pour analyser cette question. La mondialisation, comme l'a décrit dans son exposé l'Italien Guido Bertucci, directeur de la division de l'économie et de l'administration publique, du département des affaires politiques et sociales du Secrétariat de l'organisation des nations unies, est un phénomène comparable à un prisme qu'il convient d'examiner sous toutes ses formes et tous ses angles. Un phénomène multiforme qui a à la fois des conséquences positives et négatives. De plus, tous les pays n'ont pas pour autant tiré parti de la mondialisation et certains sont restés en marge du processus. Même si l'on considère les pays qui ont été intégrés dans l'économie mondiale, ils n'ont pas été tous avantagés par la mondialisation, car ces pays n'ont pas été préparés à offrir des compensations à ceux qui pâtissent de ses incidences négatives. L'expérience donne à penser que l'une des principales causes de crises auxquelles sont en proie les pays en développement et de l'incapacité de certains d'entre eux à s'intégrer dans l'économie mondiale est un déficit de capacités de l'Etat. En fait, seuls les pays qui ont une administration publique efficace, de solides institutions politiques et économiques, des politiques sociales adéquates et des dirigeants résolus peuvent faire
en sorte que tous les secteurs de la société profitent de la mondialisation, y compris les investissements étrangers directs, les échanges et l'accès aux technologies de l'information. Un argument important avancé dans cet exposé est que la mondialisation n'a pas affaibli l'Etat. Les indications transversales disponibles sur la relation entre l'ouverture et la taille de l'administration centrale, telle que mesurée par les dépenses et les impôts, montrent qu'il n'y a pas de conflit entre l'ouverture et les dépenses publiques. Au contraire, les administrations des pays dont l'économie est ouverte tendent à leur consacrer une partie plus importante de leur PIB et à percevoir les taxes et les impôts nécessaires pour cela. L'ouverture à l'économie mondiale aurait pu s'accompagner d'une réduction de la taille des administrations publiques, mais rien ne permet d'affirmer qu'il en a été ainsi durant les années 90. En définitive, les spécialistes recommandent aux différents pays de veiller principalement à ce que les avantages de la mondialisation soient répartis de façon équilibrée entre l'ensemble des pays développés et en développement tout en s'attaquant à ses effets néfastes.
Le problème n'est pas de savoir s'il faut accepter ou pas la mondialisation, mais plutôt comment y parvenir. La mondialisation offre la possibilité d'accroître la prospérité et le développement humain de tous, mais cela dépend de la façon dont elle est réalisée.
Abderrazak El Mossadeq,
Cheville ouvrière du Forum
Récemment nommé dans le gouvernement de Driss Jettou au poste de ministre délégué auprès du Premier ministre en charge des affaires économiques, des affaires générales et de la mise à niveau de l'Economie, Abderrazak El Mossadeq a été le grand artisan de cette quatrième édition du “Global Forum” tenue à Marrakech du 10 au 13 décembre 2002. Président du comité d'organisation de cette édition, El Mossadeq n'a ménagé aucun effort pour qu'elle se déroule dans des conditions jugées optimales par certains participants. Tour à tour président de séances de travail, intervenant de poids et initiateur d'idées, El Mossadeq a fait de ce grand rendez-vous international, observé par le monde entier, le carrefour scientifique le plus géant de tous les temps. Hormis quelques incidents d'organisation survenus à l'encontre des exposants et des représentants de la presse, le “Global Forum” a tenu ses promesses. Pour El Mossadeq, ce forum intervient au moment opportun où le Maroc, doté d'un nouveau gouvernement, s'apprête à inaugurer d'immenses chantiers liés notamment à la mise à niveau de l'économie en général et de l'entreprise en particulier.
Principaux enseignements du Forum
• Les réformes de l'Etat doivent être induites localement et mises en œuvre en vue de répondre à des besoins vitaux.
• L'Etat a un rôle important à jouer pour ce qui est de la mise en place et de préservation d'un cadre réglementaire impartial et un environnement propice à l'entreprise privée, à la créativité individuelle et à l'action sociale.
• Le renforcement des institutions démocratiques de l'Etat, en particulier dans les pays en développement, est essentiel pour la bonne gouvernance et pour la réussite de l'intégration d'un pays dans l'économie mondiale.
• Des structures et procédures administratives flexibles sont de plus en plus jugées préférables aux types plus traditionnels et bureaucratiques.
• La mobilisation des ressources et la gestion financière revêtent une importance cruciale pour le développement. Si les ressources sont insuffisantes, même les réformes les plus courageuses ne se traduiront pas par des mesures concrètes.
• Pour tirer parti de la mondialisation, il est essentiel de formuler et de mettre en œuvre une stratégie nationale cohérente en matière d'innovation et de technologies de l'information.


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