Le voyage est un moyen privilégié de lien et de compréhension entre les peuples. Il doit permettre l'épanouissement du voyageur et de l'accueillant sur les plans personnels, culturels et économiques. Ses ressources doivent profiter équitablement aux populations d'accueil et contribuer au développement durable de leur territoire d'accueil. Par le développement des voyages de masse et la promotion de produits «packages» vendus tout compris, le voyageur est très souvent devenu un touriste : consommateur. Cette « marchandisation » des voyages a généré de nombreux effets négatifs. C'est ainsi notamment qu'un petit nombre de tours opérateurs occidentaux très puissants imposent maintenant leurs règles, leurs prix, et souvent leurs standards marketing aux pays d'accueil et aux prestataires de services locaux, tout comme à leurs clients. C'est ainsi que l'association L.I.E.N.S. (Lieux d'Initiatives et d'Echanges Nord Sud) a organisé le premier voyage-test de tourisme éthique et solidaire dans l'oasis de Figuig. Du vendredi 23 juin au samedi 1er juillet dernier. Les voyageurs ont partagé les repas avec des familles d'accueil, découvert la palmeraie (système d'irrigation, culture…), participé aux activités artisanales, rencontré des associations, séjourné deux jours chez les nomades du désert. Aujourd'hui, après le succès de ce premier « voyage-test », c'est Amar Abbou, délégué régional à la Culture qui, avec la Municipalité de Figuig, coordonne les projets en cours. Avec pour objectif : la promotion des initiatives de développement durable dans les pays du « Sud » en favorisant les échanges interculturels sur des bases éthiques et solidaires. Partenariat En liaison avec les promoteurs de ce tout nouveau mode de penser et de vivre le tourisme (voir l'entretien avec Mohamed Zaoui), L.I.E.N.S. et les associations villageoises ont co-écrit un texte d'engagement en forme de pacte. Cinq engagements des acteurs de ce nouveau tourisme ont été établis. D'une opportunité d'établir des relations directes entre les hommes et les femmes de cultures différentes pouvant contribuer à la construction d'un monde plus solidaire, et celle de permettre à des populations et pays d'accueil de valoriser leur culture et de contribuer durablement à leur développement, le tourisme tend à devenir essentiellement un outil de profit pour quelques opérateurs privés. Cette tendance renforce et banalise les relations dominants-dominés en laissant peu de place à la prise en compte du respect de la diversité culturelle et des équilibres sociaux et naturels souvent fragiles. Placées dans ce contexte et sous la pression des règles et des standards imposés, les populations peinent à trouver des espaces commerciaux et des interlocuteurs pour bâtir un tourisme qui les respecte et leur permet de vivre dignement. Face à ce constat, l'objet principal du tourisme solidaire est de travailler avec des communautés d'accueil, les prestataires de services et les voyageurs pour préserver leur dignité et leur autonomie dans une activité de rencontres et d'échanges, en maîtrisant le sens et la valeur de leurs actes. Il s'agit donc de mettre en place un ensemble d'activités et de services, proposés par des opérateurs touristiques à des voyageurs responsables, et élaborés par les communautés d'accueil, autochtones (ou tout au moins en grande partie avec elles). Ces communautés participent de façon prépondérante à l'évolution de la définition de ces activités (possibilité de les modifier, de les réorienter, de les arrêter). Contractualisation concertée Elles participent aussi à leur gestion continue de façon significative, notamment en limitant au maximum les intermédiaires. Dans une approche de tourisme solidaire, les communautés d'accueil, les prestataires de services locaux et les organismes de promotion et de vente des séjours travaillent en partenariat sur le long terme. Ils valorisent les apports spécifiques de chacun en intégrant au mieux les coûts sociaux et environnementaux. Ils partagent équitablement entre eux les fruits de leurs activités menées en complémentarité. Toutes les parties prenantes doivent être consultées sur les projets de développement touristique (y compris les communautés résidentes non directement impliquées dans la réalisation des activités touristiques se déroulant sur leur territoire), et ceci préalablement à l'établissement de contrats de prestations de services respectant au moins les droits sociaux fondamentaux (Code du Travail), et toute réglementation locale d'usage plus protectrice pour les travailleurs. Développement local L'établissement des prix des prestations, et en particulier des rémunérations des prestataires, fait l'objet d'un processus de négociation, intégrant notamment le respect d'une concurrence non déloyale envers les prestataires locaux. Ainsi, un acompte adapté, voire le règlement intégral en avance, peut être versé au prestataire local si celui-ci ne dispose pas du fonds de roulement suffisant lui permettant de couvrir sereinement par lui-même les frais liés à la prestation. Les activités touristiques proposées localement doivent être pensées et gérées pour contribuer directement au développement durable des communautés et territoires d'accueil. Les bénéfices tirés de ces activités touristiques, en particulier ceux des organismes de promotion et de vente, sont réinvestis majoritairement dans des actions de développement local maîtrisées par les communautés d'accueil. Voyageurs responsables La transparence des modes de décisions, des transactions financières et des comptes généraux relatifs à toutes les activités est une caractéristique incontournable de ce mode de tourisme. C'est cette transparence qui permet à toutes les parties prenantes de participer effectivement aux débats, et qui valide l'équité des différentes décisions. Cette transparence inclut aussi une information de qualité des touristes préalablement à leur séjour. Cette information porte à la fois sur une description réaliste du contenu des prestations proposées (le marketing touristique basé sur la «vente d'un rêve» au touriste doit être banni) et sur une sensibilisation à la démarche particulière du tourisme solidaire. Le voyageur qui opte pour cette forme de tourisme est un consommateur responsable qui a pris conscience que son attitude et ses actes sur place peuvent être pour les populations d'accueil autant un facteur de développement qu'un élément déstabilisateur. En conséquence, il s'engage à se garder de toute attitude et de toute intervention qui pourrait bouleverser les équilibres sociaux, culturels et écologiques des communautés d'accueil et viendraient contrecarrer leurs dynamiques de développement. En particulier, il s'interdit tout don et intervention directe sur les lieux qui ne seraient pas placés sous le contrôle des responsables des communautés d'accueil. Mohamed Zaoui, délégué régional de l'IRCOD (Coopération décentralisée) et promoteur avec l'Institut français d'Oujda d'une réflexion sur le tourisme solidaire dans l'Oriental. «L'Oriental ne bénéficie d'aucune organisation de cette forme de tourisme» La Gazette du Maroc : Qu'est ce que le tourisme solidaire ? Mohamed Zaoui : Il faut d'abord dire qu'il n'est pas une alternative en termes quantitatifs au grand tourisme commercial. Et dire aussi qu'il n'existe pas de frontière étanche entre les deux : un touriste client du secteur commercial peut très bien, au cours d'un voyage suivant, devenir un touriste solidaire. Mais que signifie au juste cette solidarité dont se réclame ce tourisme ? En fait, elle désigne une autre forme de contrat. Au contrat commercial fondé sur un échange de prestations tarifées, se substitue un contrat éthique de solidarité : le voyageur, le « séjourneur » s'engage à être solidaire des modes et conditions de vies de ses hôtes, lesquels s'engagent à être solidaires… d'eux-mêmes, en ne modifiant pas leur comportement pour s'adapter au marché. Ainsi l'hôte est l'acteur et non le prestataire pour le compte d'un voyagiste de l'accueil qu'il assure. Et cette disposition repose pour lui sur une volonté, parfois même une nécessité impérieuse de s'ouvrir au monde et d'y figurer tout en restant soi-même, de vaincre ainsi la sensation de relégation et d'enfermement. Sur ce fond commun, le tourisme solidaire revêt différentes formes. Il peut être vert (écotourisme), participatif (chantiers), randonneur (treks), culturel, scientifique (découverte du patrimoine naturel), sportif (escalade), etc. Il peut proposer des hébergements dans des gîtes dédiés, mais aussi dans des maisons familiales et même sous tentes, lorsqu'il s'agit de populations nomades. Tourisme solidaire et Oriental ? À ce jour, l'Oriental ne bénéficie d'aucune organisation de cette forme de tourisme déjà développée dans d'autres régions, même si des initiatives se font jour. C'est pourquoi l'Ircod, l'institut français d'Oujda et l'Association Nature et Patrimoine (ANAP), avec ses partenaires marocains ont souhaité s'impliquer dans ce domaine puisque, s'agissant d'une mise en valeur de l'Oriental et de ses patrimoines par les habitants, on est bien dans une démarche de coopération culturelle. Des premières expériences ont été menées par l'IF avec l'ANAP, dans le cadre de randonnées scientifiques et celui d'un original festival randonneur « la Traversée de l'Oriental » en avril 2007, mêlant artistes et scientifiques, jeunes et moins jeunes, en concertation avec un festival et une association de l'Isère. Cette randonnée d'une semaine et d'une cinquantaine de participants, a permis de démontrer la capacité de villageois de la montagne et du désert à accueillir dans les meilleures conditions un groupe aussi important. Y-a-t-il eu des suites ? Oui. Suite à ce festival, une journée thématique : « D'autres voyages en vue » a été organisée en mai dernier en partenariat avec l'ANAP toujours et l'appui de la Région Champagne-Ardenne. Cette journée, organisée en concertation avec l'Université d'Oujda et la Délégation Régionale du Tourisme se définissait comme un débat d'idées pratiques. Elle a bénéficié de la participation d'experts, tels que Jean-Marie Collombon, secrétaire général de la Fédération Internationale du Tourisme Solidaire (FITS) et surtout des représentants d'associations villageoises de l'Oriental. Des cadres d'action, des retours d'expériences ont pu être donnés et analysés. Des ateliers ont abordé les thèmes essentiels : pratiques de base, formation et communication. Et maintenant ? En s'appuyant sur les outils de la coopération décentralisée, la phase suivante porte sur un premier repérage de l'offre en tourisme solidaire dans la région et fournir un conseil aux associations impliquées. Cette première phase fera aussitôt l'objet d'une diffusion auprès d'organismes associatifs spécialistes, promoteurs de ce tourisme. Dans un second temps, on mettra en place une information et une formation des acteurs sur les fonctions principales : normes d'accueil, sécurité alimentaire, sécurité physique, bonnes pratiques, activités de découverte, etc.