Dans son discours à l'occasion du 20ème anniversaire du Changement du 7 novembre 1987, le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a estimé que son pays se bat pour rejoindre le cortège des pays émergents. Un objectif qui ne peut se réaliser sans augmenter sensiblement les IDE, les exportations et les emplois dans les prochaines années. Lors du Forum économique de Tunis, tenu le 9 novembre dernier, le ministre chargé des Affaires du Conseil des ministres de l'Etat fédéral des Emirats Arabes Unis et président de «Dubaï Holding» Mohamed Al- Guergawi, a révélé que son groupe s'est engagé à investir plus de 15 milliards de $ dans ce pays, notamment après l'annonce du projet du Lac Sud dont l'investissement est estimé entre 12 et 15 milliards de $. Ce projet engendrera 140000 postes d'emplois pour les jeunes tunisiens. Mohamed Al-Gurgawi, qui ne cache pas sa satisfaction, souligna que la Tunisie offre d'innombrables opportunités d'investissement au niveau de l'Afrique du Nord et même de l'Europe du Sud. Il est allé même jusqu'à dire que ce «pays constituera une capitale économique de cette région». Autre révélation de l'homme d'affaires émirati concerne l'investissement prévu dans de nouveaux secteurs en Tunisie outre l'immobilier, l'industrie et les télécommunications. Dubaï Holding envisage se positionner sur le créneau des médias. Cependant, rien n'est à ce jour confirmé, ajouta Al-Guergawi. Ce témoignage prouve que la Tunisie répond déjà à un des critères essentiels, portant sur l'entrée dans le club des pays émergents. D'autre part, dans son rapport annuel sur la Tunisie, publié au mois d'octobre dernier, l'Agence de notation Américaine, Moody's Investors Services, a indiqué que le risque de l'Etat tunisien de ne pas honorer ses engagements en devises est très faible. Ce constat de Mood'ys s'est basé, dans son évaluation, sur plusieurs faits et éléments, à savoir, la stabilité de l'économie tunisienne et sa capacité de résistance aux chocs. Ce qui lui a valu la notation Baa2, assortie d'une perspective stable (un à deux ans sans changement), des obligations d'Etat. En revanche, l'auteur du rapport et vice-présidente de cette institution, Mme Sara Bertin-Levecq, n'a pas hésité à critiquer la prédominance de l'Etat dans la vie politique et économique du pays. Un obstacle à lever si la Tunisie est déterminée à rejoindre les Etats émergents dans le court terme, souligne la responsable de Moody's, qui considère que ce petit pays maghrébin n'est pas loin de cet objectif. Justifiant ce constat, Mme Bertin-Levecq attire l'attention sur le fort taux de croissance du PIB tunisien qui atteindra 6,3% à la fin de l'année en cours. Ce qui reflète une économie convergente, et une demande intérieure soutenue par l'importance du poids de la classe moyenne qui, selon les institutions internationales, se situe aux alentours de 80% de la totalité de la population active. Conjoncture difficile Dans ce même ordre de satisfecit objectif, le rapport note que les rations d'endettement généraux de l'Etat tunisien sont en voie d'amélioration, alors que les investissements directs étrangers (IDE), un des critères les plus importants de l'émergence d'un pays, connaissent, à leur tour, un boom significatif. Ainsi, le rapport de Moody's, connue pour être sévère dans ses notations, devrait désormais ouvrir le débat sur le rapprochement de la Tunisie du seuil des pays émergents. Ce, notamment, dans une conjoncture internationale difficile où le prix du baril du pétrole aura tendance à franchir la barre de 100 $, alors que la Tunisie ne couvre pas ses besoins en la matière. Un nouveau défi que cette dernière devrait surmonter pour ne pas rater une occasion devenue une «obsession permanente» pour ses dirigeants. Pour preuve, et dans ce contexte, le Président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, le 7 novembre dernier, a tenu, dans son dernier discours prononcé à l'occasion du 20ème anniversaire du Changement, à focaliser sur cet aspect de développement économique qu'est l'émergence de son pays. En rappelant la crise politique qui avait paralysé la Tunisie à la veille du Changement en 1987, les déchirures sociales profondes, l'absence de stabilité et de quiétude, la situation économique détériorée, les risque multiples, alimentés par les convoitises de l'intérieur du pays comme de l'extérieur, des facteurs suffisants d'une explosion généralisée, la Tunisie est aujourd'hui un pays émergent. Ce qui laisse comprendre que cette qualification est devenue le principal défi. Ce, au moment où les contestataires s'efforcent, sans preuves, à démontrer que la Tunisie est encore loin d'atteindre cet objectif. En répondant à ces derniers, le gouvernement tunisien se réfère aux classements des institutions et instruments financiers internationaux, tels le FMI et le Forum de Davos. Il focalise aussi sur les réformes socioéconomiques en marche et qui constituent les piliers du XIème Plan de Développement (2007-2011) que l'Etat tunisien considère sa réussite comme un indice tangible de cette émergence. Conditions remplies Les économistes tunisiens misent sur les réalisations concrétisées durant les dernières années, plus particulièrement dans le domaine socioéconomique pour montrer que leur pays est déjà rattaché à la locomotive des pays émergents. Dans ce cadre, ils laissent tantôt les chiffres parler d'eux-mêmes, tantôt, dresser un bilan comparatif . Ce dernier évoquant la structure de l'économie nationale qui a enregistré un bond qualitatif qui lui a permis de réaliser une amélioration notable des indicateurs de convergence avec les économies des pays développés. A cet égard, le Président Tunisien a insisté, dans son intervention dans le stade de Radès, sur le fait que le secteur des services représente, actuellement, 57,2% du PIB. Ce qui témoigne de ce bond qualitatif, surtout que la contribution à la croissance du secteur des services, à lui seul, s'établit cette année à 51,8%. «Nous sommes attachés, dans notre programme pour La Tunisie de demain à renforcer cette mutation quantitative et à en accélérer le rythme, afin que l'économie nationale puisse acquérir les attributs de la modernité qui distingue les économies émergentes», précise Ben Ali. Classer la Tunisie parmi les pays émergents, lance d'ores et déjà le débat au sein de certains milieux influents au sein de l'Union européenne à Bruxelles. Tout en reconnaissant que ce pays a franchi des étapes dans ce sens et a répondu à certains critères de l'émergence, ils estiment qu'il a encore beaucoup à faire pour atteindre le but final. Pour les experts européens qui suivent de près cette évolution, on tient à rappeler que le prix de l'émergence est très élevé, et qu'il ne s'agirait pas d'une promenade de santé pour devenir membre du club. Cela demande, en plus d'un taux de croissance correct et régulier du PIB, de l'attrait grandissant des IDE, d'un secteur bancaire et d'un marché financier très actif, apte à jouer un rôle efficace dans la libéralisation de l'économie du pays et accompagner le processus de privatisation. Ce que le ministre des Investissements extérieurs et de la Coopération internationale, Mohamed Nouri Jouini, considère accompli de son côté, le Premier ministre tunisien, Mohamed Ghannouchi, disait à La Gazette du Maroc, en juillet dernier, en marge de la «Rencontre des partenaires financiers de son pays, que l'économie nationale comptera sur ses propres moyens pour relever les défis imposés au XIème Plan de Développement (2007-2011). Ce qui prouve, d'après lui, que la Tunisie mérite d'être classée parmi les Etats émergents. Libéralisation du secteur bancaire Pour les responsables tunisiens, leur pays a déjà rempli les conditions nécessaires pour être considéré parmi les pays émergents. Plusieurs indices le montrent, mis à part les témoignages des institutions internationales spécialisées qui représentent des références dans ce sens. A cet égard, il faut se référer aux résultats positifs du processus de privatisations en cours depuis plusieurs années. En effet, la Tunisie a privatisé, jusqu'à ce jour, 206 entreprises publiques pour un montant global de 5,881 milliards de dinars (1 euro = 1,20 DT). En effet, depuis l'an 2000, le programme de privatisation a connu une forte poussée marquée par un intérêt accru des repreneurs étrangers aux sociétés et aux concessions tunisiennes. Dans ce cadre, force est de souligner la tendance d'investisseurs stratégiques à acquérir au prix fort les unités privatisées. La série des grandes opérations de privatisation, affirment que la Tunisie ne cesse de répondre aux exigences de l'émergence. Cela a été prouvé par les recettes records dépassant de loin la valeur théorique des sociétés de privatisations. Il s'agit plus particulièrement du capital de l'opérateur public, Tunisie Telecom au consortium émirati, Tecom-Dig, de la cimenterie de Gabès, cédée au groupe portugais, Secil et, tout récemment de la Banque tuniso-Koweitienne (BTK) au groupe français, Caisse d'Epargne (GCE), sans oublier l'entrée en force sur scène de la banque marocaine Attijariwafa bank qui est devenue majoritaire dans la Banque du Sud. A elles seules, ces trois privatisations ont généré un montant de 3,674 milliards de dinars, soit 62,47% du total des recettes des privatisations. Le fait de privatiser progressivement le secteur bancaire -une des principales conditions à remplir pour être admis dans le club des pays émergents- est la preuve que ce processus est irréversible en Tunisie. Une réponse à ceux qui, à Bruxelles, continuent à critiquer le rythme relativement lent, selon eux, de la libéralisation du secteur bancaire et du marché financier. Sur ce point, les Tunisiens répondent que l'ouverture dans ce sens doit être mesurée et sûre pour éviter, d'une part, tous faux-pas et de l'autre, préserver les acquis sociaux, un des piliers les plus importants du système. Autre signe de développement qui rapproche la Tunisie des normes des pays émergents, c'est la création d'entreprises. Dans ce contexte, l'Etat tunisien contribue, depuis des années, à cette démarche. À cet égard, douze nouveaux centres d'affaires jouent actuellement ce jeu dans plusieurs gouvernorats du pays. Cela va dans le sens du programme de Tunisie de demain, initié, lancé et poursuivi quasi-quotidiennement par le chef de l'Etat tunisien. Ce projet stipule la création de 14 000 entreprises par an, en vue de relever le taux de création à 1,4 pour mille entre 2007 et 2009. La Tunisie doit, à travers les actions et les résultats concrets en 2008, prouver qu'elle répond de plus en plus aux critères de l'émergence. Ce, dans une conjoncture complexe aussi bien sur le plan régional qu'international. C'est un combat de chaque jour que ce petit pays maghrébin qui ne possède, à l'instar de ses deux riches voisins, l'Algérie et la Libye, ni pétrole ni Gaz. Cela dit, ce pays ne pourra compter que sur son capital humain.