Bernard Rouget a vécu une grande partie de sa vie au Maroc. Il a réalisé de très nombreuses photographies et publié plusieurs livres sur ce sujet. Son amour inconditionnel de ce pays a donné naissance à des milliers de clichés de très grande facture où le sens de l'instantané s'imprime en longévité sur les époques. Une vision d'un certain Maroc ni orientaliste, ni résolument moderne, mais une approche humaine de ce pays. Aujourd'hui, un projet d'exposition de grande envergure se prépare pour retracer la relation entre un photographe poète et un pays qui le lui rend bien. C'est son fils Philippe qui a choisi de faire éclater cette histoire d'amour entre son père, le photographe Bernard Rouget et le Maroc avec ses multiples et infinies tonalités. Dans une interview donnée à Arte sur le sujet de cette passion pour le Maroc Philippe Rouget explique un détail très important qui est souligné par une grande amoureuse du Maroc aussi : «Je me référerai au texte d'Edmonde Charles Roux à son sujet : «Il s'est attaché à découvrir les beautés spécifiques du paysage marocain… avec une sensibilité rare, célébrer les aspects particuliers des hommes, des femmes et de la foule, l'architecture des villes et des villages». Il aimait profondément ce pays, sa lumière, les grands espaces, sa quiétude. Il avait beaucoup d'amis marocains. Il avait étudié son Histoire et son éthique. Le titre d'un de ses livres est révélateur «Maroc Pierre et Âmes... «Voilà en quelques lignes un condensé de la relation entre un homme et une parcelle de terre qui l'a accueilli. De cette découverte du Maroc, Bernard Rouget décline une palette de paysages humains, tous habités par la grâce de la vie. Des couleurs, des situations, un mélange sublime de sensibilités et de documentation sur le vif. Rouget l'ami des Grands de ce monde C'est d'ailleurs cet aspect documentaliste, presque journalistique qui a donné à cette œuvre photographique d'autres étendues littéraires. Les photographies de Rouget sont considérées comme des documents poétiques sur l'itinéraire d'une ville et de ses habitants. Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, Meknès, Tanger, El Jadida, l'arrière pays marocain, les coins reculés, tout est saisi dans la spontanéité de celui qui découvre avec émerveillement. Avec tout juste assez de recul pour faire naître la beauté. Bernard était un homme de culture. Le sort du monde l'intéressait au plus haut point. Il a été préoccupé par la politique du tiers-monde, les rapports entre les pays riches et les nations souffrant de pauvreté, il a voyagé, sillonné le monde pour se faire une idée réelle de ce qui se passe dans ce monde. Il a côtoyé et photographié aussi bien des rois comme Hassan II, des présidents comme De Gaulle, des hommes d'états comme Churchill, mais aussi des artistes comme Piaf, Prévert, Orson Welles et même des danseuses des Folies Bergères. à la question «de quel milieu se sentait-il le plus proche et quel était son domaine photographique de prédilection», son fils Philippe, qui est une référence pour expliquer le vécu et le parcours de son père, répond avec beaucoup de simplicité : «Mon père s'intéressait beaucoup à la politique. Il adorait être au milieu des rencontres entre les grands de ce monde comme lorsqu'il avait suivi Mohammed V au Moyen-Orient (il avait fait un film qui est passé à Connaissance du Monde). Il aimait être un témoin, et raconter ensuite comme le journaliste qu'il était (issu de l'école de journalisme de Lille). C'était aussi un grand amateur de littérature, de musique et d'art, il était curieux de tout, des belles images comme des beaux textes comme des films. Il m'emmenait au cinéma très jeune (7 ans) voir Orphée de Cocteau ou le Don Juan de Molière réalisé par Marcel Bluwal. Je ne comprenais pas grand chose mais je trouvais cela très beau. Il était curieux de beaucoup de choses et son flair était assez fin. Témoignage historique Il était aussi sensible à la poésie d'un lieu qu'à l'expression d'un visage ou aux aspects documentaires d'une situation. Il a laissé «une chronique visuelle unique en son genre». En somme, ceci est la définition stricte d'un homme de son époque. Un artiste doublé de l'âme d'un poète qui a le souci du quotidien et pour qui prendre une photographie n'est pas saisir un instant d'une expérience, mais arrêter le temps, juste ce qu'il faut pour en lire le caché. Il est aussi vrai que certains clichés définissent mieux le fil du temps qu'au- tant de mots vides de sens. Et au-delà de son aspect artistique, l'œuvre de Bernard Rouget est devenue un véritable témoignage historique. Philippe Rouget déclare que nous sommes là devant «un document unique». Il a été un témoin privilégié des événements du Maroc qui ont eu lieu de 1940 à l'Indépendance. Rien n'a été oublié par son œil de photographe. Il a tout fixé : les activités du pays, sociales, religieuses et industrielles, les rites religieux, le folklore de toutes les régions, leurs coutumes, les villes, les mosquées, l'architecture moderne et traditionnelle. Tous ces documents pourraient aider les historiens d'aujourd'hui à se pencher sur cette mémoire qui fait tant débat». Et de fait, c'est ce travail qui sera aujourd'hui repris pour une immense exposition qui pourra regrouper les différentes époques de l'œuvre de Rouget, une façon de resituer les espaces dans leurs temporalités et imprimer aux différentes étapes de ce travail historique une lecture moderne à la hauteur du visionnaire qu'a été Bernard Rouget.