Mohamed Abderrahmane Berrada pouvait-il, en cette journée de novembre 1977, prévoir que la société Sapress qu'il venait de créer, allait devenir l'une des toutes premières entreprises de distribution et de diffusion de la presse en Afrique et dans le monde arabe ? En ces années soixante-dix, plus de deux décennies après l'indépendance du Royaume, le monopole absolu de la distribution et de la diffusion de la presse était détenu par Sochepress, une société d'émanation française. Tenant mordicus à sa vocation de bastion de la presse française au Maroc et abritant des capitaux français (Hachette via les NMPP), cette société persiste à bloquer la distribution de la presse nationale en France. On dirait qu'elle est revenue à son statut ante d'inspiration franchement coloniale. Rappelons que cette société très «chérifienne » est née en 1924, aux pires moments de la fameuse «pacification». Elle sera «Marocanisée», d'abord au profit de l'Etat, puis d'Abdallah Lahrizi lui-même. En 2004, la société fut remise entre les mains françaises des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) grâce à la rétrocession par M. Lahrizi de la totalité de ses parts (50%). En 1977 donc, alors que Feu Hassan II, au lendemain de la Marche verte, annonçait la naissance du «Maroc nouveau », Sochepress continuait à bloquer drastiquement l'épanouissement de la presse marocaine à l'intérieur même du Royaume. Des conditions draconiennes étaient infligées à des titres marocains dont certains sont nés plusieurs décennies avant l'indépendance. Ancien cadre de la «Société Chérifienne de Presse », Mohamed Berrada s'est indigné d'un tel monopole. Aguerri par une précieuse expérience du terrain, il s'est imposé le challenge de donner sa chance à une presse nationale, notamment arabophone, littéralement écrasée par son homologue française. Sapress ouvrit son premier rideau au quartier Mers-Sultan à Casablanca. Le tour de table fut constitué essentiellement par les titres nationaux eux-mêmes. Le diktat de Sochepress devait cesser. Trente ans après, Sapress peut se prévaloir de 8.000 points de vente alors que la filiale de Hachette ne peut en afficher que 3.200. Belle victoire sur un monopole qui a longtemps méprisé la presse nationale et qui continue à bloquer son épanouissement sous le ciel francophone d'Europe. A l'heure où Sapress fête ses trente ans, il n'est pas inutile de rappeler au gouvernement marocain son devoir d'imposer la diffusion de la presse nationale à l'étranger, notamment en France. Nous payons, en effet, en devises fortes, l'importation de la presse et du livre français –quasi-exclusivement par le biais de Sochepress – sans pouvoir bénéficier de la réciprocité. Ce combat-là est celui de tous les patriotes. Il est, depuis près d'un tiers de siècle, celui de Sapress à laquelle on ne peut s'empêcher de souhaiter bon vent et longue vie?! Bravo Mohamed Abderrahmane Berrada?!