Le nouveau gouvernement Le premier gouvernement, sous le règne de S.M le Roi Mohammed VI, dirigé par le technocrate Driss Jettou, devra choisir une " stratégie politique " pour son action gouvernementale. Entre les directives royales, les impératifs de la technocratie, les promesses partisanes et les aspirations de la communauté, le choix s'annonce des plus difficiles. Maintenant que le gouvernement a été mis sur pied, tout reste à faire pour l'équipe de Driss Jettou : enclencher la dynamique de l'action gouvernementale. Plus facile à dire qu'à faire, si on prend en considération les contraintes qui pèsent sur ce nouveau gouvernement. En fait, après de rudes semaines de marchandage et de négociation, le Premier ministre Driss Jettou devra, maintenant, jeter les bases d'une orientation politique stratégique dans laquelle viendra s'inscrire l'action gouvernementale. Peu importe la composition politique du gouvernement du moment où on peut dégager "une visibilité politique" dans l'action du prochain exécutif. C'est là une condition sine qua non pour déterminer les choix politiques entrepris par le gouvernement. Mieux, cela va nous permettre de dégager les acteurs politiques prédominants dans le prochain gouvernement. Car, il ne s'agit nullement de la structure gouvernementale, mais plutôt d'un rapport de force et de sens entre les parties prenantes dans le prochain exécutif, à savoir : le Roi, les technocrates et les partis politiques. Du coup, la question serait de savoir qui aura le dernier mot sur la détermination des orientations politiques principales de l'action gouvernementale. À cet égard, seule une approche prospective des stratégies de l'action politique, du nouveau gouvernement, pourrait nous apporter quelques éléments de réponse. À ce propos, deux scénarii politiques sont envisageables : un gouvernement "royalement" technocrate et un gouvernement " politique " réhabilité. Un gouvernement "royalement" technocratique Historiquement, le Roi a toujours été considéré comme le chef du gouvernement et le garant de son bon fonctionnement. Actuellement, tout porte à croire que le Roi Mohammed VI entend exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles, dans le cadre d'une stratégie de "repositionnement de la monarchie" dans le champ politique. À cet égard, l'argument légalo-rationnel, en l'occurrence la constitution, représente là une source de légitimation inébranlable pour la monarchie, en vue de contrôler le gouvernement et intervenir à tout moment pour lui dicter les orientations politiques qu'elle juge appropriées. Dans ce sens, il serait utile de rappeler que la constitution adopte le principe du bicéphalisme, qui fait que le Roi dispose, de jure, d'un pouvoir exécutif à l'instar du gouvernement. Plus, c'est le Roi qui nomme le Premier ministre et, sur les propositions de ce dernier, le gouvernement. Sur le terrain, deux actions du monarque marquent sa volonté politique de diligenter l'action gouvernementale : primo, le Roi avait nommé un Premier ministre technocrate, qui répond aux directives royales de mettre en place un gouvernement "efficace et efficient". Plus, le fait que le gouvernement soit composé d'un bon nombre de technocrates, de facto, ne laisse planer aucun doute quant au désir royal de voir un gouvernement technocratique, habilement camouflé par la présence des partis nationalistes. Secundo, il faut rappeler que le Roi avait tracé les contours de l'action gouvernementale dans son discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire d'automne 2002. Quatre priorités avaient marqué l'allocution du Souverain: l'emploi productif, le développement économique, l'éducation et l'habitat. En conséquence, il serait très peu probable que la déclaration gouvernementale, prévue dans les prochains jours, dévie de la ligne de conduite délimitée par le Souverain. Autrement dit, l'action gouvernementale sera circonscrite par les directives royales, véhiculées sous forme "d'impératifs technocratiques", considérés comme la caution d'un "bon travail gouvernemental". D'ailleurs, ce désir royal de voir "les technocrates" prendre les affaires publiques en main ne date pas d'aujourd'hui. À cet égard, il faut rappeler que le Souverain avait amorcé le redéploiement des technocrates depuis son accession au Trône : la désignation des nouveaux Walis (city managers) en est une parfaite illustration. La réhabilitation d'un gouvernement politique La volonté royale de repositionner la "technocratie" dans le champ politique va certainement déterminer l'action du nouveau gouvernement. Cependant, un handicap politique de taille va marquer l'action du nouvel exécutif : la cohabitation forcée des partis avec la technocratie. Ce, à quatre niveaux : d'abord, au niveau politique, avec le départ de l'ex-premier ministre Abderrahman Youssoufi, le gouvernement dit "d'alternance consensuelle" avait accusé un sacré coup, en revoyant la primature passée au giron des "technocrates". D'une certaine manière, les partis traditionnels se voient relégués au second plan politique. Ensuite, au niveau politico-psychologique, les partis politiques, toutes tendances confondues, auront du mal à surmonter le fait d'être bousculés par "les technocrates", qui se voient confier des postes ministériels clés. Résultat, un sentiment de dévalorisation politique, voire "d'usure politique" demeurera pour longtemps présent dans l'esprit des ministres et des politiques. Egalement au niveau de l'efficacité gouvernementale, il paraît que les partis politiques auront du mal à s'adapter au rythme effréné de managers rompus à la gestion et l'administration. D'où le risque de voir l'action gouvernementale versée dans l'hétérogénéité politique. Pis, il n'est pas exclu qu'on assiste à une action gouvernementale à double vitesse : celle des technocrates motivés pour faire un nom et une carrière politique. Et celle des "professionnels de la politique" qui se sont accoutumés à une cadence moins soutenue, pour ne pas dire "à la traîne", durant l'expérience antérieure. Enfin, au niveau de la représentativité politique, le fait que les ministres technocrates ne soient pas "responsables politiquement de leurs actes devant le parlement" rend la position des partis politiques très délicate. Car, c'est toute la légitimité politique de l'action gouvernementale qui sera remise en question. Et c'est justement là une des raisons principales de l'échec de la technocratie dans les systèmes démocratiques tels que celui de la France. Par voie de conséquence, le "bricolage politique" risque d'influer négativement sur l'action gouvernementale. Surtout avec une configuration politique inédite, basée sur une majorité gouvernementale hétéroclite. Le gouvernement n'est pas une entreprise Il serait erroné de vouloir soumettre l'action gouvernementale à "la logique technocratique". Car, c'est aux partis politiques que revient le droit de décider de la politique gouvernementale. Cela est d'autant vrai pour le nouveau gouvernement, piloté par un technocrate. Ceci étant, il ne s'agit nullement d'asseoir la suprématie d'une partie ou d'une autre, mais simplement de respecter "l'ordre naturel des choses". Il va sans dire que le gouvernement n'est point une entreprise à la tête de laquelle il suffit de mettre un technocrate patenté pour la remettre à niveau. C'est beaucoup plus compliqué que cela. Nous conviendrons que l'action gouvernementale doit être marquée par un haut degré d'efficacité et de rationalité. Toutefois, cela ne doit pas passer par un sacrifice de l'action politique, basé sur la différence et le libre-arbitre, au profit de la solution technocrate, considérée par ses partisans comme la seule et unique solution à tous les problèmes. Cela nous mènera directement vers l'impasse politique où l'unanimité sera la règle et la différence l'exception. Pourtant, vu la nouvelle composition gouvernementale, il semble que les partis politiques traditionnels disposent d'une marge de manœuvre considérable pour réhabiliter l'action partisane au sein du nouvel exécutif. Il ne s'agit pas d'une confrontation entre les "politiques" et les "technocrates", mais plutôt d'un effort de repositionnement des partis sur l'échiquier politique. Par exemple, les socialistes (USFP et PPS) sont placés à la tête de départements qui vont en concert avec leurs "orientations politiques et idéologiques", à l'image de l'éducation, la justice et l'environnement. Donc, c'est à eux de faire preuve d'un "professionnalisme politique", c'est-à-dire qu'au lieu de rejeter la solution technocratique, les "politiques" doivent essayer d'en chercher plusieurs. Car, finalement, l'action gouvernementale est plus qu'un programme qui se réduit à des promesses politiques, elle est avant tout une action politique. Un politologue américain C.Park (1990) a eu raison de dire que : "lorsque les "gouvernements" seront gérés par des managers à l'image des boîtes de Macdonald's, on peut s'inquiéter sérieusement pour l'avenir des hommes politiques et également du sort de nos sociétés!!" Veillons, donc, à ce qu'il n'en soit rien chez nous. Le gouvernement n'est point une entreprise à la tête de laquelle il suffit de mettre un technocrate patenté pour la remettre à niveau. C'est aux partis politiques que revient le droit de décider de la politique gouvernementale.