Luis Amado et son pays le Portugal assurent la présidence de l'Union Européenne. C'est dans ce cadre qu'un sommet euro-africain est prévu pour les 8 et 9 décembre à Lisbonne, la capitale portugaise pour débattre de la nature des relations bilatérales entre Nord et Sud et de la coopération entre les deux continents. Le Ministre portugais des Affaires étrangères nous livre, dans cet entretien, son point de vue sur cette rencontre qui vient appuyer celle du Caire en 2000. La Gazette du Maroc : L'Afrique et l'Union Européenne se sont donnés rendez-vous en décembre à Lisbonne pour un sommet très attendu. Quelle est votre vision d'une telle rencontre entre les dirigeants des deux continents et que peuvent en être les conséquences ? Luis Amado : Nous sommes conscients des défis auxquels on doit faire face dans les décennies qui viennent, des défis tellement grands et de taille et qui exigent une convergence des efforts de la part de toute la communauté internationale. Les défis que nous, particulièrement Européens et Africains, avons devant nous, en ce qui concerne surtout nos relations, sont énormes, et dans cette perspective, nous croyons aussi que nous devons travailler tous ensemble pour mener à bien ce sommet qui revêt un intérêt particulier pour les deux parties. Il a fallu attendre sept ans, depuis le sommet du Caire, et aujourd'hui, nous attendons beaucoup d'une telle rencontre où de nombreux sujets seront débattus et surtout des réflexions sur l'avenir des rapports et de la coopération ainsi que la nature des liens entre les acteurs africains et européens. Un tel sommet devra aussi établir de nouveaux paradigmes entre les deux pôles ? Justement, c'est pour cela que l'on parle du besoin urgent de refondation du partenariat entre l'Union Européenne et l'Afrique, et dans cette perspective aussi, le sommet a pour objectif d'approuver les bases d'un nouveau partenariat stratégique pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui avec les nouvelles puissances émergeantes, les polarisations multiples et le besoin d'alliances à la fois économiques et politiques, mais aussi culturelles et humaines. Quels sont concrètement ces défis ? Pour nous, ce sont les défis de la paix dans un continent livré à de nombreux conflits qui freinent son développement, de la stabilité qui permet de créer un climat politique viable pour encourager l'essor économique et donc humain, les défis du développement parce que nous sommes face à un continent riche et qui doit atteindre le statut d'un pôle majeur dans les relations mondiales et surtout s'affirmer comme un acteur à la mesure de ses ambitions. Défis du dialogue des civilisations, ce sont-là des défis qui exigent une convergence stratégique et l'optimisation des instruments dont nous disposons pour leur faire face. Pourquoi un sommet euro-africain maintenant, n'est-ce pas aussi un symbole ? Tout à fait, le sommet est un symbole, parce que, comme vous le savez, le premier sommet entre l'Union Européenne et l'Afrique a eu lieu au Caire en 2000. L'idée était justement de travailler ensemble pour sortir des paradigmes qui avaient présidé aux relations entre les deux continents, des schémas qui ont réglé nos relations durant de nombreuses années et qui ne peuvent plus fonctionner puisque c'était là un modèle un peu prisonnier de la vision coloniale et néo-coloniale. À partir de là, nous sommes convaincus que l'avenir entre nous passe par de solides assises d'un nouveau partenariat basé sur le respect mutule, l'engagement pour des intérêts communs et équitables. Et ce symbole est toujours là, car après le Caire, il n'y a pas eu d'autres rencontres, puisque le sommet prévu en 2003 a été reporté, ce qui a entravé cette dynamique de dialogue. Je pense que tout ce temps écoulé depuis le Caire a prouvé que nous avons effectivement besoin de plus d'efforts pour consolider nos visions communes, en trouver de nouvelles et créer un réel climat d'échange. La page de la conférence de Berlin sera définitivement tournée, alors ? C'est là le paradigme qui a perduré depuis plus d'un siècle. Aujourd'hui, Berlin est derrière nous, et nous sommes tous obligés de trouver de nouvelles formules de dialogue, comme je l'ai dit, pour traduire la volonté des Africains et des Européens. Quel rôle pourrait jouer un pays comme le Maroc dans un tel processus ? Le Maroc joue déjà un rôle important, sans doute. Le Maroc comme le Portugal sont des pays avec des particularités géopolitiques dans les deux continents, et le Maroc, dans le cadre de ses relations très privilégiées avec l'UE, va jouer un rôle majeur, et c'est dans cette perspective que l'on travaille. Comme vous le savez, le fait que le Maroc n'est pas membre de l'Union africaine est l'un des problèmes auquel nous avons été obligé de faire face quand on a réalisé le sommet au Caire, et nous avons réussi à trouver une solution. Et cette année cette question n'est plus un problème puisque les décisions marocaines ont été acceptées comme la solution normale. La proposition marocaine de l'autonomie du Sahara pourrait aussi peser sur les débats de Lisbonne ? Vous savez, ce problème est en passe d'être réglé au sein des Nations Unies. La proposition marocaine est un élément nouveau qui a donné une nouvelle dynamique à un processus qui, dans la continuité, aboutira à une solution, que nous devons trouver. On a beaucoup discuté, il y a quelques jours, au sein du Conseil d'une association entre l'Union européenne et le Maroc. J'ai eu une rencontre avec Taieb Fassi Fihri, et on a crée un groupe de travail pour faire évoluer les relations du Maroc avec l'UE. C'est dans le cadre du travail de ce groupe que nous pouvons imaginer toutes les possibilités de faire évoluer encore davantage nos relations bilatérales. Concrètement qu'est-ce que l'Europe attend de l'Afrique ? L'Europe veut un partenaire engagé qui joue un rôle dans le système politique et géostratégique international, un continent avec la conviction politique de sa place au sein de la communauté mondiale, un pôle dans un monde multipolaire et un acteur responsable, à condition, bien sûr de répondre aux défis majeurs de ce continent qui sont multiples. Et cette responsabilité va au-delà des engagements des gouvernements et de leurs politiques individuelles, mais aussi la responsabilité des organisations qui sont représentatives de ce continent sur le plan international. Sur un plan géostratégique, l'Europe est acculée à créer de nouveaux liens avec l'Afrique surtout parce que de nouvelles puissances convoitent déjà le continent africain ? Nous ne sommes plus dans un monde unipolaire. Avec l'avènement de forces comme la Chine, nous sommes dans un monde multipolaire. Et cette dynamique de représentation qui s'affirme dans les pôles géopolitique et géostratégique, c'est là une donnée tout à fait nouvelle, à laquelle il faut donner toute son attention. Et c'est aussi pourquoi, j'ai toujours dit qu'il ne faut pas ignorer toutes les mutations que vit l'Afrique, ce qui pourra peser sur l'échiquier mondial des puissances.