La hiérarchie des célébrations nationales, a consacré la fête du Trône comme étant le rendez-vous central du renouvellement du pacte qui lie le peuple marocain à son Souverain. Aussi, le discours du Trône est-il l'espace naturel où le Roi dresse le bilan des réalisations, se prononce sur les sujets qui préoccupent les citoyens, détermine l'horizon et fixe les perspectives. Le discours du Trône marquant le huitième anniversaire de l'avènement de SM le Roi Mohammed VI n'a pas échappé à la règle, sauf qu'il s'est distingué, en outre, par sa teneur en termes de philosophie politique. Ainsi, la Personne royale, le rôle du Souverain, les prérogatives du statut du Roi et le rang institutionnel de la Monarchie, sont-ils déclinés avec une précision inédite. Une mise au point qui aspire à mettre fin aux élucubrations sémantiques sur le «régner et/ou gouverner». L'on se rappelle, en effet, des débats «œuf-poule» qui ont meublé les gazettes et les conclaves politiciens, sur l'urgence d'une réforme constitutionnelle incluant prioritairement le statut du Roi. Mohammed VI semble aujourd'hui convaincu d'une échelle des priorités qui privilégie l'action socioéconomique et la mise à niveau politique. La constitution sera bien entendue réformée. Mais en temps utile, lorsque les urgences géostratégiques, socioéconomiques et électorales auront été dûment traitées. Cela dit, une formule allusive n'a pas échappé aux observateurs : «Nous te donnerons rendez-vous pour bientôt afin de voir ce qu'il y a lieu de faire pour que cette échéance électorale constitue une étape importante dans le processus devant conduire au couronnement de la réforme institutionnelle progressive en cours, par un changement global et de niveau supérieur». Seul l'avenir nous renseignera sur les intentions royales en la matière. Une règle cependant : La loi suprême ne saurait être soumise ni aux humeurs ni, a fortiori, aux arrière-pensées politiciennes. Ce qui importe avant tout, c'est «de continuer à consolider les réalisations déjà accomplies, et parallèlement, à aller de l'avant dans la mise en œuvre des réformes en cours et à engager de nouvelles réformes indispensables pour l'édification du Maroc de demain». Mais cela n'exclut nullement la vertu de préparer le pays à assumer une monarchie réellement «constitutionnelle, démocratique et sociale», en injectant des notions inédites dans la pratique royale du pouvoir. Monarchie citoyenne Ainsi, le Souverain peut-il lier courageusement la commanderie des croyants à la notion de «Roi-citoyen» : «Je M'adresse à toi, en Ma qualité d'Amir Al-Mouminine (Commandeur des Croyants) auquel échoit la mission d'assurer la conduite de ton destin en vertu du pacte de la Beia (allégeance) et de la Constitution. Je M'adresse à toi également, en tant que Roi-Citoyen ayant pris la juste mesure des réelles préoccupations de chaque Marocaine et de chaque Marocain, en s'enquérant de leur situation sur le terrain». Grande percée dans la sacro-sainte perception sacerdotale de la Personne royale. D'ailleurs, Mohammed VI n'évoquera à aucun moment, pas même pour les nécessités lyriques, le vocable de «sujets». Il insistera même sur les formules de «Roi-citoyen» et de «Monarchie citoyenne». Avant donc d'inscrire ces notions novatrices dans le corpus constitutionnel, il faudrait que le tympan de notre peuple, toujours insuffisamment alphabétisé, s'y habitue et y prenne goût. Dorénavant, la démocratie s'impose non pas comme un gadget destiné à calmer les «droits-de-l'hommistes» d'ici ou d'ailleurs. Elle est la voie «royale» vers notre destin de nation moderne : «Ce Maroc, Nous le voulons entreprenant, volontariste, multipliant les réalisations, égrenant les chantiers, un Maroc qui gagne, quelle que soit l'ampleur des défis et des enjeux. Nous avons emprunté, pour y parvenir, la voie de la démocratie et l'approche participative». Plus loin, le Souverain sera plus explicite quant à la quintessence même du régime monarchique : «Je tiens à réaffirmer que le régime voulu par Nous est celui d'une monarchie citoyenne. Une monarchie agissante qui ne saurait être cantonnée dans un concept forcément réducteur, ni dans des prérogatives exécutives, ou organe législatif, ou autorité judiciaire. Ces institutions constitutionnelles ont leurs compétences exercées sur la base du principe de la séparation des pouvoirs distincts de ceux de la Royauté. Telle est la monarchie marocaine authentique que nous nous sommes choisie. Nous l'avons étayée par la citoyenneté pour le développement, dans le respect de sa quadruple légitimité religieuse, historique, constitutionnelle et démocratique». Le discours du Trône s'est illustré aussi au chapitre de la causalité définitivement confirmée entre démocratie et intégrité territoriale. Cela vaut son pesant de patriotisme, en ce sens que les sempiternels «donneurs de leçons» qui ont longtemps psalmodié l'approche démocratique de la question saharienne, ont été virés du débat pour nullité intellectuelle. Le Roi a, en effet, lié la réussite de la sortie du problème artificiel créé naguère par l'Algérie Boumédiénienne au raffermissement de la démocratie : «Afin de consolider le tournant positif qu'elle a suscité, Nous nous devons de conforter cette Initiative marocaine prometteuse (projet d'autonomie interne, ndlr), par des initiatives visant, dans le cadre d'une stratégie globale et intégrée, à raffermir la démocratie et le développement, parallèlement à la nécessaire mobilisation collective et à l'indispensable consolidation du front intérieur». «Stratégie globale et intégrée», a dit le Roi. Cette stratégie vise à asseoir internationalement et territorialement le statut d'autonomie interne des provinces sahariennes non seulement comme seule et unique issue au conflit qui nous avait été artificiellement à la faveur de la guerre froide, mais également comme étant une pièce du puzzle démocratique décentralisé et déconcentré dont le Roi a fixé le mode d'emploi : «Nous réaffirmons notre ferme volonté d'aller de l'avant dans la mise en place d'une régionalisation graduelle, évolutive et solidaire, en faveur de l'ensemble du territoire du Royaume. Cette politique qui sera mise en œuvre sur la base d'un nouveau découpage régional du territoire, prévoit des compétences élargies, s'inscrivant, de par notre volonté nationale propre, dans un processus maroco-marocain et prenant en charge les spécificités de chaque région, y compris nos provinces du sud». Cette régionalisation ne peut cependant aller jusqu'au statut d'autonomie interne appliqué exclusivement à nos provinces sahariennes. Une ambition de leadership régional transperce à travers ce destin emprunté uniquement par la voie du développement et de la démocratie. Aux velléités hégémoniques d'une Algérie asphyxiée par les appétits outranciers de ses généraux, le Maroc, bénéficiant de sa crédibilité démocratique face à l'ensemble de la communauté internationale, répond par les armes du développement et de l'Etat de droit: «Quoi qu'il en soit, le Maroc ne saurait être otage ou prisonnier des calculs d'autrui. En revanche, il entend poursuivre résolument son évolution politique, disposant, pour cela, d'une arme imparable, en l'occurrence notre précieux capital démocratique dont nous pouvons tirer une légitime fierté en tant que modèle politique avancé à l'échelle de notre région». La «stratégie globale et intégrée» ne laisse donc aucune place aux surenchères parasitaires des militaires d'Alger : Le Royaume est «disposé à négocier, mais uniquement à propos de l'autonomie, toute l'autonomie et rien que l'autonomie». La conception marocaine de l'autonomie de ses provinces sahariennes s'apparente à une «autodétermination consensuelle». Elle refuse d'aliéner la souveraineté d'une vieille nation déjà suffisamment dépecée depuis deux siècles par la faute des appétits impérialistes. Elle refuse également d'insulter l'avenir face à son environnement régional : «Notre vœu, en effet, est de faire en sorte que ces pourparlers soient une victoire pour toutes les parties, pour le droit et pour la légitimité. Nous y voyons également l'occasion de faire prévaloir l'esprit de fraternité, de bon voisinage et d'unité maghrébine». Education et formation Au chapitre de la gouvernance, le discours du Trône a pointé des insuffisances et des carences. Ainsi en est-il de la justice qui devient prioritaire : «La Justice vient en tête des secteurs prioritaires pour la période à venir. Elle est la clé de voûte du pouvoir, et le socle sur lequel reposent l'Etat de droit, la primauté de la loi, le principe d'égalité devant elle, et la bonne gouvernance. La Justice est également un levier fondamental pour le développement et la promotion de l'investissement. D'où le devoir pour tous de se mobiliser pour assurer une réforme globale de la Justice et en consolider l'indépendance, dont Nous sommes, du reste, le Garant». Vaste chantier pour un secteur qui constitue le rhizome de la bonne gouvernance et le point nodal de toute construction démocratique digne de ce nom. Vient aussi les dysfonctionnements structurels de l'éducation et de la formation. Ainsi, «en dépit des efforts sincères qui ont été déployés pour assurer la mise en œuvre de la Charte d'Education et de Formation -laquelle demeure un cadre de référence fondateur-, les résultats quantitatifs n'ont pas donné lieu à un changement qualitatif, pas plus qu'ils n'ont eu l'impact optimal escompté, permettant de dispenser une éducation de bonne facture, en adéquation avec les exigences de l'économie». D'ailleurs, le chapitre de l'extrémisme est traité sous l'angle de la culture. Une jeunesse culturellement indigente est une jeunesse surexposée au péril obscurantiste. Le Roi n'hésite pas d'ailleurs à responsabiliser oulémas et intellectuels. Car, une crise de la pensée ne peut engendrer qu'une pensée de crise: «Dans sa globalité, Notre stratégie est basée également sur l'indispensable complémentarité synergique entre l'action dédiée au développement d'une part et, d'autre part, la création culturelle et intellectuelle, qui constitue un puissant ingrédient dans la lutte contre l'extrémisme et l'obscurantisme. Nous réaffirmons aussi la nécessité, pour les oulémas, les intellectuels et leurs instances respectives, d'assumer les responsabilités qui sont les leurs en matière d'encadrement, d'orientation et de guidance(…) Notre pays a un besoin impérieux de susciter un renouveau religieux éclairé et un essor intellectuel marqué du sceau de la modernité. Quand vint le tour du secteur agricole, le Roi appelle à un changement de cap quasi-radical : «il importe de proposer une stratégie pour le développement agricole, une stratégie ambitieuse intégrant une nouvelle politique agricole et une approche globale de développement durable, prenant en charge la problématique de la rareté des ressources en eau et leur gestion rationnelle». Suivent les questions de l'énergie qu'Il appelle à diversifier tant en sources d'approvisionnement qu'en nature. Enfin un hommage appuyé est rendu à notre diplomatie qui sût confondre les adversaires de notre intégrité territoriale. Que dire en conclusion sinon que ce discours du Trône demeurera un texte de référence dans la marche démocratique et modernitaire, initiée par le Souverain. La création pour contrer l'extrémisme C'est la première fois, qu'un chef d'Etat arabe, musulman ou africain lance un appel aux intellectuels de son pays, non pas pour leur demander, comme le veut la coutume tiers-mondiste, de chanter ses louanges, mais bien pour contribuer à fonder la modernité. «La création culturelle et intellectuelle» a été franchement sollicitée par le Roi. Elle doit aller de pair avec «l'action dédiée au développement». Notre pays a, en effet, «un essor intellectuel marqué du sceau de la modernité». Quelle belle et heureuse formule, que celle déployée par le Roi, aussitôt après avoir réaffirmé la nécessité pour les intellectuels et les oulémas, de prendre leurs responsabilités ! Le Souverain dit : «On ne saurait, pour autant, permettre qu'une crise de la pensée laisse le champ libre pour répandre et faire l'apologie d'une pensée de la crise». En réalité, la création artistique, intellectuelle et culturelle, constitue l'une des trois armes réellement efficaces contre l'extrémisme et l'ostracisme. Les deux autres, étant la parade sécuritaire et le développement humain. Le Roi a mis donc le doigt sur une carence essentielle qui continue à faire défaut à notre dispositif démocratico-modernitaire. Un Roi qui appelle ainsi à l'épanouissement intellectuel, ne peut être qu'un authentique «Roi-citoyen». La monarchie citoyenne : Un concept novateur Certes, la constitution marocaine définit le régime du Royaume comme une «monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale». Mais le concept de «monarchie citoyenne» tel que décliné par le Roi Mohammed VI dans le discours du Trône, constitue une rupture par rapport à toute la littérature constitutionaliste de l'ère hassanienne. Il fut un temps où les publicistes déclinaient les postures du pouvoir royal sous le triptyque «commandeur des croyants», «soltane charif» et «chef d'Etat moderne», campant ainsi les champs successoral, maraboutique et arbitral. Dans cette vision, le Marocain n'est que partiellement citoyen, sur l'unique registre de l'Etat moderne où s'exerce le pouvoir arbitral. Le concept de «monarchie citoyenne» constitue la synthèse dépouillée, et, par conséquent, moderne du pouvoir central marocain. Il met fin aux extrapolations qui ne cessent de brandir «la réforme de la réforme, le changement du changement» comme l'a si joliment dit le Roi qui en a d'ailleurs défini Lui-même les contours philosophiques et éthiques. Se qualifiant de «Roi-citoyen», il a égrainé les piliers de la «monarchie citoyenne» qu'il veut offrir au pays : «Il s'agit, notamment, de l'Etat de droit et des institutions, de la citoyenneté fondée sur le respect des droits et des obligations de l'Homme, du libéralisme économique, et de la liberté d'entreprendre. Outre la solidarité, la justice sociale et l'ouverture sur le monde». Afin que cela soit encore plus clair, le Souverain énonce : «Nous l'avons étayée (la monarchie marocaine) pour le développement, dans le respect de quadruple légitimité religieuse, historique, constitutionnelle et démocratique». Développement, identité, légalité constitutionnelle et démocratie, donc. Le «Roi-citoyen» vient ainsi déjouer les pirouettes démagogiques de ceux qui crient au «loup makhzénien» chaque fois que leurs désirs narcissiques ne sont pas validés par la réalité. En somme, la «Monarchie citoyenne» est la synthèse de la «Raison» telle que promue par les Lumières et le socle ethnoculturel national. C'est en cela qu'elle constitue une innovation majeure. Jamais, sur toute l'étendue de l'aire arabo-musulmane, comme d'ailleurs dans la sphère méditerranéenne, les concepts de «monarchie» et de « citoyenneté » n'ont été jumelés avec autant de talent. Décidément, Mohammed VI ne cessera pas d'étonner ses contemporains. Ses concitoyens les premiers.