L'alerte a été portée à «maximum» par les autorités sécuritaires du Royaume. Des informations fiables semblent faire état d'un risque d'attentats terroristes imminents sur le territoire marocain. En réalité, le Maroc constitue une cible de choix pour toutes les mouvances terroristes affiliées ou non à Al Qaïda. Dès l'aube de la décennie 90 du siècle dernier, des menaces précises furent identifiées par les services marocains. En août 2004, à l'hôtel Atlas Asni de Marrakech, le cycle des actes terroristes d'inspiration islamiste fût inauguré. Il y eût ensuite les cinq attentats simultanés du 16 mai 2003. Puis Sidi Moumen et enfin Boulevard Moulay Youssef. En dehors de ces attentats tonitruants et meurtriers, des dizaines d'assauts ont été enregistrées dans les banques et les entreprises et plusieurs attaques de postes de police et de gendarmerie, sont le fait de barbaro-islamistes sans idées. D'où nous vient le mal ? Que nous est-il arrivé ? Profils et analyse. Youssef Fikri constitue le profil type du psychotique, qui se sert allègrement de quelques courtes sourates du Coran, pour jouir du sang d'autrui. Il n'a pas hésité à tuer son oncle à Safi, son colocataire à Nador, un jeune couple à Douar Sekouila, un policier à Salé, un notaire à Casablanca…Autoproclamé «émir» du groupe «Al Hijra wat-takfir», alors qu'il n'a jamais franchi le seuil scolaire du brevet, il a pu mobiliser une trentaine de jeunes malfrats de bas niveau de qualification. Comment comprendre ce sanguinaire qui a sombré dans la perversion, sous l'étendard d'un islamisme haineux ? «Inciter au bien et interdire le mal» était son credo. Non pas par le biais du dialogue et la confrontation des idées, mais au moyen des deux mots magiques que sont «Hijra» - il était sans domicile fixe et parcourait le Maroc de bout en bout – et «Takfir» : En somme, l'exclusion, la sienne propre d'abord. Ce virus qui a évolué entre Youssoufia et Chémaïa, a copieusement inhalé la haine auprès des «cheikhs visiteurs», tels Fizazi et Kettani, qui infestaient de leurs fatwas manichéistes les mosquées et autres salles de prières. Qui plus est dans des contrées frappées durant des décennies par la sécheresse et la nonchalance socioéconomique des responsables locaux. Ces mêmes «cheikhs visiteurs» étaient eux-mêmes infectés par les abjections idéologiques du «Tabligh» et du «qotbisme» propre aux Frères Musulmans. En ces temps-là, les autorités jubilaient à l'idée de voir ces voyous du radical-islamisme, s'emparer du terrain que l'extrême-gauche projetait ou était en train de conquérir. L'argent saoudien coulait à flots, au rythme de la pénétration de l'anti-occidentalisme primaire, prôné notamment par le wahhabisme. Le 18 décembre 1975, le syndicaliste et leader de l'USFP, Omar Benjelloun, fut assassiné par des éléments de la Chabiba Islamiya. Créée en 1969 par Abdelkrim Moutiâ, cette organisation islamiste radicale a bénéficié durant près d'une décennie de la tolérance – certains diraient la complicité – des autorités. Ses membres pouvaient affronter violemment l'extrême-gauche au nom de l'islam. Les témoignages disponibles sur le sujet concordent pour attester de leur manipulation par les services secrets de l'époque. A l'aube du XXIème siècle, la priorité pour les autorités était celle de contrer l'islamisme politique incarné par Al Adl Wal Ihsane. Le traditionnel-salafisme était toléré et parfois encouragé: les CD Rom, brochures et autres cassettes vidéo squattent les marchés et les esplanades des mosquées. Le 16 mai 2003, chacun s'est aperçu de la méprise des autorités. L'envie, la haine, la mort Aujourd'hui, sous les génériques haineux d'«impies», de «mécréants», d'«associateurs» (mochrikoune) et de «polythéistes», le pathos se déploie vertigineusement. L'Afghanistan, la Palestine, l'Irak et, auparavant, la Bosnie servent de catalyseurs à une haine farouche de la démocratie, des droits humains, de la «Raison» née des Lumières, des libertés individuelles et de la tolérance. Pour accéder à ces valeurs libératrices de talents et d'énergies, l'Europe a du consentir des millions de morts, sans compter les déportations, les famines et les ruines. Le respect de l'autre ne s'est donc imposé à des peuples meurtris, qu'au prix de sacrifices éminemment douloureux. D'ailleurs, nos peuples arabo-musulmans continuent à offrir au monde le spectacle d'une irresponsabilité qui allie l'insoutenable au ridicule : Brûler un feu rouge demeure un motif de fierté pour nombre de nos «concitoyens», alors qu'il constitue un véritable sentiment de honte pour nos contemporains nord-méditerranéens. Ce refus du droit positif s'est infiltré dans les interstices de notre société, au point de minimiser les dangers parfois mortels, au nom d'un fatalisme aveugle (al qadaria). En vérité, le cycle exclusionniste de l'islamiste candidat au terrorisme, est identifié depuis belle lurette : «J'envie ton costume, ta voiture, ta maison…etc. Les règles du jeu qui t'ont permis de te procurer ces signes évidents d'aisance me sont hostiles, parce que je ne dispose pas des codes pour me les approprier et les instrumentaliser en ma faveur». L'envie évolue pour atteindre le stade d'une haine dûment justifiée par la «parole de Dieu». Des sourates et des hadiths, lâchement extirpés de leurs contextualités exégétiques (asbab an-nozoul), viennent soutenir «moralement» cette haine. Le processus est ainsi engagé pour aboutir à ce que les freudiens appellent «l'exécution de la haine». Nietzsche a étudié ce phénomène à la fin du XIXe siècle. Il a conclu que «l'envieux qui cherche à rabaisser son rival ne peut s'empêcher d'être de si mauvaise foi qu'il va adopter un système de valeurs inversé» : • Si l'autre est plus beau, je vais déclarer la beauté éphémère est sans valeur, et prétendre qu'elle n'est rien à côté de l'intelligence (la mienne, bien sûr !), plus durable et source de comportements vertueux. • Si l'autre est plus riche, je vais déclarer la richesse matérielle suspecte, voire méprisable, et qu'elle n'est rien à côté de la droiture morale (la mienne, bien entendu !). • Si je suis un cancre envieux des bons élèves, je les traiterais de «bouffons», je dirais que tout savoir qui n'émane pas de Dieu – c'est-à-dire celui que j'ai glané d'une manière surfacique dans le Coran ou la Sunna – est non seulement inutile, mais illicite (haram). «L'inversion de valeurs est toujours accompagnée de mauvaise foi. Celle-ci peut aller jusqu'à une préférence pour la mort par rapport à la vie, jusqu'à une pulsion de mort» (1). Nous avons évoqué plus haut le cas psychotique de Youssef Fikri qui a été condamné à mort et qui refuse d'exprimer le moindre remord à propos de la série d'assassinats effectués par lui à travers le Royaume. Les différentes investigations entreprises au sujet des kamikazes ceinturés d'explosifs, confirment la théorie de la haine. Haine de soi, en premier lieu. S'y adjoint une surexcitation de type jouissif qui conduit «joyeusement» vers la mort. Disciple de Jacques Lacan, Françoise Koehler décrit ainsi le processus : «le désir est à la base de la vie. La jouissance est mortifère. Lorsque l'excitation dépasse un certain seuil, elle appelle la mort. En réalité, ceux qui relayent le discours misérabiliste de la justification du terrorisme par l'exclusion et la pauvreté, se rendent complices d'une double escroquerie intellectuelle : d'abord celle d'occulter le fait que des ingénieurs, des cadres supérieurs et même des milliardaires – Ben Laden en tête – ont versé dans des entreprises terroristes et, ensuite, celle de zapper le processus historique de l'anti-occidentalisme islamiste mis en branle, au moins depuis les années vingt du XXème siècle (Mohamed Ilyass en Inde, puis Hassan al-Banna en Egypte…etc.). Certes, le monde musulman n'a pu bénéficier de fonds substantiels pour son développement. Au sud de la Méditerranée, en dix bonnes années, (1995-2005) Euromed n'a pu générer qu'une petite vingtaine de milliards d'Euros. Pour la reconstruction de l'Europe délabrée par la guerre, en seulement quatre ans (1947-1951), les Américains ont dépensé l'équivalent de…125 milliards d'Euros ! Certes, l'Amérique de Busch junior et son allié israélien ont tout fait pour asseoir «l'équilibre du désordre» au sein de la sphère musulmane. Mais tout cela ne peut justifier l'injustifiable. Malgré ses misères et ses carences en termes de développement humain, le corps marocain était solidement immunisé contre l'obscurantisme religieux. Aujourd'hui, il est infecté par une idéologie barbare et hybride, ne serait-ce qu'au vu d'un sunnisme-malékisme, qui a pu longtemps laisser place à des sommités intellectuelles du calibre des Juifs Moïse Maïmonide et Bahia Ibn Paquda. Que nous est-il donc arrivé? L'infection nous fût initialement transmise par les contrées musulmanes non arabes (Iran, Afghanistan, Pakistan…etc.). Durant au moins deux décennies et demi, les pétrodollars saoudiens servirent de puissant vecteur au rigorisme religieux : Ibn Taymia et Mohamed Ibn Abdelwahhab firent effraction dans un environnement cultuel marqué du sceau de la tolérance. Peu à peu, des groupes de barbus, à la posture de karatékas et à l'incantation psalmodique saoudo-bédouine, investirent nos mosquées sous le regard jouissif d'un certain Abdelkbir Alaoui M'daghri. Notre histoire, pardonnera-t-elle jamais à l'ancien ministre des Affaires islamiques sa perversité dogmatique, qui a ouvert son grand boulevard au salafisme d'inspiration wahhabite ? Un salafisme dont se gargarisent aujourd'hui Ben Laden et Zawahiri. Les détraqués mentaux qui se font aujourd'hui exploser, sont les purs produits d'un salafisme qui nous a envahis peu à peu, au rythme des affrontements entre l'ex-URSS, puis les USA, d'une part, et les tenants du rigorisme islamo-opportuniste, d'autre part. Qui plus est sur des contrées peuplées quasiment exclusivement de Musulmans. Les périlleuses menaces qui visent la sécurité collective des Marocains, ne sont nullement le fruit de quelque malencontreux hasard. Elles émanent d'un processus qui a bénéficié de négligences, parfois de tolérances, sinon de complicités. Afin que les autorités puissent protéger plus efficacement nos concitoyens, elles doivent mettre en place les moyens d'analyse et d'étude du phénomène obscurantiste dans son ensemble. La parade sécuritaire est vitale. Faut-il, en parallèle, procéder à une véritable radioscopie de cette épidémie, afin d'en endiguer les racines. 3 questions À CLAUDE MONIQUET (*) «Le GSPC algérien est un danger pour le Maroc» La Gazette du Maroc : Les autorités marocaines ont relevé le niveau d'alerte à son maximum à la suite de menaces précises. Quelles seraient selon vous ces menaces et d'où proviennent-elles ? Claude Moniquet : La menace terroriste est récurrente au Maghreb depuis plusieurs années. Le Maroc ne peut malheureusement pas y échapper, pas plus d'ailleurs que l'Europe. Après les attentats de 2003, les services de sécurité marocains et la justice avaient à peu près éradiqué le GICM, qui est sans doute aujourd'hui beaucoup plus actif en Europe qu'au Maroc. C'est ce qui explique le calme qui a prévalu depuis trois ans et demi. Malheureusement, il n'en a pas été de même en Algérie. Malgré les discours triomphalistes du pouvoir qui évoquait, depuis des années, un «terrorisme résiduel». Etant donné que ce «terrorisme résiduel» faisait quand même plusieurs centaines de morts par an, on ne souhaitait pas voir ce que serait, en Algérie, un terrorisme actif… Bien que traqué par les autorités, le GSPC ou une partie de ce mouvement a pu se régénérer, se réorganiser – sans doute, entre autre, en profitant de la loi de réconciliation nationale - et trouver les connections internationales qui lui manquaient. Ces connections, avec la mouvance al-Qaïda, se sont nouées via l'Irak : depuis 2003, le GSPC est le principal organisateur des filières structurées d'acheminement des moudjahidins, vers le théâtre d'opération irakien, que ce soit depuis l'Europe ou le Maghreb. Cette activité à permis d'une part, au GSPC de nouer des relations avec des terroristes marocains, tunisiens, mauritaniens et libyens et, d'autre part, de se faire reconnaître comme un acteur valable par la mouvance al-Qaïda. Dans un deuxième temps, le GSPC a organisé sur le sol algérien, des camps d'entraînements pour les «frères» venus d'autres pays du Maghreb, ainsi que le prouvent de nombreuses arrestations effectuées dans la région depuis 2005. Il a reçu la récompense de cet activisme à l'automne 2006, quand Ayman al-Zawahiri, l'idéologue d'al-Qaïda, a officiellement annoncé que le mouvement avait rejoint al-Qaïda et prêté serment d'allégeance à Ben Laden. Aujourd'hui, ainsi qu'on l'a vu à Alger le 11 avril et à Lakhdaria le 11 juillet, le GSPC, devenu «al-Qaïda dans les Etats islamiques du Maghreb) (AQIM, selon son acronyme anglais) applique en Algérie les méthodes apprises en Irak (entre autres les attentats suicides qui ne correspondent pas à la «tradition» du terrorisme local et le «multiciblage»). Mais le contrat qui lie l'AQIM à al-Qaïda est plus ambitieux et dépasse les frontières algériennes. Il est chargé de «mettre le feu au Maghreb» pour créer, après l'Afghanistan et l'Irak, un troisième terrain de Djihad nettement plus proche cette fois de l'Europe. Il doit être, comme l'a dit al-Zawahiri «un os dans la gorge des Juifs et des croisés». Le but est double : déstabiliser le Maghreb et créer des troubles en Europe en jouant sur les communautés musulmanes locales. Cette ambition s'étend évidemment au Maroc. Nous avons aujourd'hui deux types de terrorisme au Maroc. Le premier est «importé» d'Algérie : des membres de l'AQIM (Algériens ou non) pénètrent dans le royaume pour y commettre des attentats. C'est probablement le type de menace à laquelle on est confronté ces jours-ci, puisqu'il semblerait qu'une équipe assez importante de terroristes de l'AQIM ait pénétré récemment dans le pays. C'est du moins ce que pensent les services de renseignements français et américains. Le deuxième type est plus local : des jeunes, désespérés et manipulés, qui sont prêts à se faire sauter «à la demande» et sont fort peu structurés, comme on l'a vu en mars et en avril dernier à Casablanca. Cette menace est réelle mais moins dangereuse que la première. Cela étant, la conjonction des deux menaces est évidemment inquiétante pour le pays, surtout si les touristes sont visés. Je pense, cela étant, que si le terrorisme risque de continuer, voire de se développer en Algérie, il a moins d'avenir au Maroc où, grâce aux réformes impulsées par le Roi, la situation sociale s'améliore. Ce n'est malheureusement pas le cas en Algérie… Y a-t-il une coopération soutenue entre le Maroc et l'Occident (Europe, Etats-Unis…etc), d'une part et le Maghreb d'autre part ? Selon quels protocoles et avec quels outils ? La coopération entre les services de renseignements et de sécurité marocains et leurs homologues à l'étranger, entre autres en Europe et aux Etats-Unis est, en général, excellente. Les services marocains sont appréciés pour leur professionnalisme et la qualité de leur travail et de leurs informations. Cela étant, il faut souligner que même entre Alger et Rabat, la coopération n'est pas mauvaise en ce domaine. Si certains problèmes peuvent demeurer et opposer les deux capitales, chacun, aujourd'hui, est bien conscient que le cancer du terrorisme menace l'ensemble de la région et, au-delà, l'Europe. La coopération prend la forme classique d'échanges réguliers, et même constants, au plus haut niveau entre les services. C'est du reste ce type d'échanges qui a amené le Maroc à relever son niveau d'alerte ces derniers jours. Des sources affirment l'implication du Polisario dans le trafic d'armes qui ne cesse de s'amplifier sur une large bande sahélo-saharienne. Qu'en est-il, selon vous ? Cela fait deux ans maintenant que dans un rapport sur le Polisario, nous avions souligné que le principal danger posé aujourd'hui par cette organisation, n'était pas celui du terrorisme ni sans doute d'une reprise des attaques contre le Maroc, mais bien de le voir se déliter et dégénérer en une organisation purement criminelle. C'est aujourd'hui en partie le cas. Les soldats sans cause et sans guerre du Polisario se sont mués en trafiquants. La plupart des marchés du nord de l'Afrique subsaharienne, sont alimentés par des produits de contrebande, provenant entre autres de l'aide humanitaire internationale et acheminés par des hommes du Polisario. Il en est de même pour l'essence, les véhicules volés et, malheureusement, les armes. Cette réalité fait du Polisario d'aujourd'hui une puissante force de déstabilisation et de pourrissement régional. (*) Claude Moniquet est Président directeur général de l'ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center).