Il y a des périodes où les politiques deviennent fiévreux et réclament à corps et à cri une révision de la constitution. Même les politiques les plus sages, toujours satisfaits de tout. D'autres périodes enregistrent un calme plat. Comme en ce temps pré-électoral. Révision, réforme ou modification de la constitution on ne sait où se trouverait la différence. En vérité, depuis quelque temps il y a eu une réforme constitutionnelle dont tout le monde parle sans le dire. C'est le fruit de notre exceptionnalité qui s'exprime même dans la violence. Tous les médias écrits ou audio-visuels s'adressent aux Marocains en les qualifiant de citoyens. C'est devenu une formulation tellement courante que personne n'y prête plus attention. On pourrait l'appeler une réforme transparente. Il y a même une honorable association, fort utile, qui diffuse chaque jour des spots d'éducation citoyenne, curieusement sponsorisés par un jeu de hasard. La question est de savoir à quel moment le Marocain sera déclaré «bon pour la citoyenneté». En Angleterre la constitution n'est pas écrite alors que les Anglais y croient dur comme fer. Comme en toute chose, il faut savoir ce que recouvrent les mots. On dit en politique qu'il ne faut pas se tromper d'adversaire. De mot non plus. Il semble que «citoyen» et «citoyenneté» seraient considérés comme les pendants français de «mouwatin» et «mouwatana». Il y aurait là peut-être comme une confusion. «Mouwatin» et «mouwatana» ont pour origine Al Watan, qui veut dire patrie, laquelle est constituée de patriotes. Il va de soi qu'on ne trouverait pas un seul Marocain qui ne soit patriote. Comme dans tous les pays du monde. Le citoyen ou la citoyenne pourraient être définis comme des habitants de la cité, de la ville. Dans ce cas, que sont les Marocains habitant les campagnes? Le citoyen marocain serait peut-être le sujet d'un vaste débat pour les constitutionnalistes. Restent les acquis informels, comme l'économie du même nom. L'argent n'a pas d'odeur et le noir n'est pas une couleur. Cette question de citoyenneté est abordée d'une manière assez étonnante. C'est comme si on voulait convaincre subrepticement les Marocains qu'ils sont des citoyens, alors qu'ils ne demandent pas mieux. Certains affirment que la citoyenneté recouvrirait quelques spécificités. Peut-être. En tout cas, on dit toujours de quelqu'un qui n'a pas un comportement conforme que c'est un drôle de citoyen. Sous le protectorat, le Mouvement national était composé de «watanis»-patriotes- qui luttaient pour recouvrer l'indépendance «Al Watan», la patrie. Par contre, l'autorité occupante réprimait les nationalistes. Quand un indicateur, rémunéré ou simplement hostile à son voisin, vendait aux autorités du protectorat un «Watani», celui-ci devenait un nationaliste. Malgré l'existence d'un pouvoir légitime et populaire, il n'était pas question de citoyen. Peu de temps avant de nous quitter, le regretté Saïd Saddiki avait intitulé une de ses chroniques publiées par LGM : «Sommes-nous des sujets ou des citoyens»? Il aurait été particulièrement heureux de connaître aujourd'hui la réponse. Est-ce une question d'identité ? On ne sait. On peut constater qu'un peut partout dans le monde, c'est un vrai sujet que chaque pays aborde en fonction de sa culture et de son histoire. En France, par exemple, c'est devenu une préoccupation pendant la campagne électorale. Il a même été recommandé aux Français de disposer d'un drapeau tricolore à leur domicile, sans autre précision. La France étant une démocratie, chaque famille française pourra, selon son choix, poser le drapeau sur le manteau de la cheminée, sur le buffet ou sur une sellette à l'entrée. Ceux qui se préoccupent de l'avenir de la planète l'auront probablement planté près du géranium sur le balcon. Il est naturel qu'on se préoccupe de l'avenir de ce pays qui est lié au nôtre par tant de liens, et qui continue de nous inspirer. C'est dans ce sens qu'on note qu'il n'y a pas eu une voix pour reprendre l'appel lancé jadis par le marquis de Sade : «Français, encore un effort», alors que la France d'aujourd'hui se veut l'héritière des «lumières». C'est parfois les gens simples qui trouvent les réponses aux interrogations les plus difficiles. A la question de savoir pour qui elle allait voter, une électrice française a eu cette phrase cruelle : «Je prendrai ma décision définitive quand je serai dans l'urne».