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Satanas au Maroc : Politiques et faux-sataniques
Publié dans La Gazette du Maroc le 02 - 04 - 2007

À quelques encablures des élections, une nouvelle affaire de satanisme refait surface. Fait désormais presque habituel, avant chaque échéance électorale, les jeunes du Maroc doivent faire l'objet de jeux dogmatiques et de fausses idéologies politiques. Aujourd'hui, c'est à Benslimane que l'affaire prend corps. Plusieurs collégiens et lycéens se plaignent de la présence dans leurs établissements de «jeunes adorateurs de Satan». D'après les témoignages des élèves, les fous de Satan, égorgeraient (encore une fois) les chats, boiraient leur sang, seraient couverts de tatouages, s'habilleraient en noir et n'écoutent que du Heavy Metal. Pourtant, à Benslimane, il n' y a pas un chat pour apporter une preuve sur toutes ces déclarations, rejetées par la police locale, qui, en absence de preuves, ne peut procéder à aucune arrestation.
Chronique d'une rumeur aux allures politiques sur fond de sacrifice infantile.
Telle une traînée de poudre, la rumeur a grossi pour faire place à une réelle tornade au sein de plusieurs établissements scolaires de Benslimane. Depuis quinze jours, plusieurs élèves auraient déposé une série de plaintes auprès de leurs enseignants pour protester contre la présence au sein de leurs établissements scolaires de « plusieurs jeunes adorateurs de Satan ». Et les élèves se perdent dans des descriptions : «Ils sont tatoués, portent des t-shirts avec des inscriptions sataniques, ne s'habillent qu'en noir, tuent des chats et boivent leur sang dans le cimetière de la ville». C'est en substance ce que les services de la police ont appris par le biais des responsables des établissements scolaires où se trouveraient ses sataniques, jusque-là invisible.«Ils étaient là tous les jours et tout le monde laissait faire, explique un élève de 15 ans. Mais après les plaintes que nous avons déposées, ils ont changé de look ». Autrement dit, en dehors des témoignages non-corroborés de quelques élèves, personne n'a vu ces sataniques endimanchés qui circulaient, selon la grande rumeur, avec ostentation arborant fringues noires, tatouages et autres bijoux à tendances gothiques.
de bagues avec des têtes de morts, ni de croix au cou, encore moins de traces de sang sur les lèvres comme un vampire revenu d'un ébat nocturne. Bref, Brahim était une fausse piste, pourtant l'un de ses camarades l'avait bien désigné comme faisant partie de la bande qui suçait le sang des chats. Les responsables de la sûreté dans la ville de Benslimane sont formels : « en l'absence de flagrant délit et de preuves, nous ne pouvons procéder à aucune arrestation ». Une attitude intelligente et responsable de la part de la police qui ne peut pas verser dans les délires de plusieurs enfants qui se plaignent. La même police qui juge que c'est une affaire interne aux écoles, et qui peut être résolue dans l'enceinte des établissements scolaires. Certains enseignants sont même choqués par les échos épars qui ont été rapportés par quelques quotidiens : «Si cela s'est passé en dehors de l'école, je ne peux rien dire. Mais, ici, dans ce collège, et dans mes classes, je n'ai vu aucun comportement contraire à l'islam. Je ne vois pas comment cette histoire est née, mais elle est dangereuse, parce que cela aurait pu causer de graves ennuis aux élèves qui ont été accusés ». Et dans les familles de certains élèves « incriminés » par leurs camarades, on a frôlé la panique. Aziza, la mère d'une fille accusée de frayer avec les garçons soupçonnés d'adorer le prince des ténèbres, a cru que la police allait débarquer chez elle pour menotter la petite et l'emmener à l'interrogatoire : «C'est une honte ce que ces enfants ont fait. Ils sont inconscients et je plains leurs parents qui les ont laissés s'embarquer dans des histoires comme ça. Ils ne savent pas qu'avec ce genre d'accusations, ils peuvent ficher en l'air l'avenir des autres élèves ? Je pense que c'est aussi la responsabilité des parents et des enseignants qui doivent remettre à leurs places ces gosses qui ne savent même de quoi ils parlent ». Et Aziza n‘est pas la seule à avoir senti le vent mal tourner dans la direction de sa famille. D'autres familles se plaignent, et comptent même déposer plainte devant les autorités pour fausses accusations et volonté de nuire : «Heureusement que la police n'a pas pris au sérieux ces enfants. Imaginez le contraire, des arrestations, le passage par le commissariat et tout le reste. Vous voyez le traumatisme pour des gamins qui n'ont même pas quinze ans. » Oui, on se souviendra longtemps, que ces 14 jeunes de Casablanca (lire encadré) ont vécu était un réel calvaire mâtiné de peines de prison, d'humiliations et d'injustice. Et à Benslimane, on a frôlé le pire.
«Plus de chats à Benslimane»
À Hay Karima, Hay Lalla Meriem, à Jerradi, à Hay Hassani ou à Hay Mohammdi, les accusations des élèves de Benslimane sont allées jusqu'à attirer l'attention sur le fait que le nombre de chats qui sillonnaient la ville a sensiblement diminué. Comme s'ils étaient des scientifiques pour National Géographique qui tenaient un agenda à jour sur le nombre exact de chats de la ville, leurs déplacements, leurs modes de vie et l'hécatombe qui s'est abattue sur eux du fait qu'ils ont «été égorgés par les sataniques ». Mais la ville pullule de ces petites bêtes inoffensives qui ne se plaignent d'aucun mauvais traitement n'était-ce se faire courser par des bambins qui veulent effrayer. On a trouvé des chats partout. Près du marché, ils sont des centaines, dans le terrain vague qui jouxte ce souk mi-urbain, mi-rural, sous les voitures, près des cafés dans le grand et longiligne boulevard de la ville, près du jardin, dans les stations services à l'entrée de Benslimane, bref, il y en a partout. Mais si l'on en croit les déclarations des élèves outrés par la présence dans leur communauté de jeunes amoureux de satanas : «les chats ont été sacrifiés dans le cimetière et en grand nombre». Dans le fameux cimetière, pas trace d'un cadavre de chat, mais de deux rats, morts et décomposés. À moins que les fameux sataniques invisibles de Benslimane n'aient été jusqu'à se tromper de spécimen en bouffant des rats les prenant pour des chats ! Dans ce même cimetière, très rudimentaire du reste, près d'Aïn Addakhla, nous avons rencontré plusieurs clochards qui y ont élu domicile. Ils n'ont rien vu non plus. L'un d'eux a même été jusqu'à avouer que s'il trouvait un chat égorgé dans le cimetière, il en ferait un bon tajine, parce qu'il n'avait pas de quoi manger. «Oui, il y a des élèves qui viennent ici pour jouer au foot après l'école, mais on n'a jamais vu de gosses qui tuent les chats et boivent leurs sangs. D'ailleurs, à partir de six heures de l'après-midi, il n'y a plus un chat par ici sauf nous et quelques autres qui viennent picoler en cachette ». Pour ces habitués des morts, tout mouvement suspect aurait été détecté, surtout que de l'avis de beaucoup de voisins, les trois larrons SDF vivent presque dans le cimetière où ils dorment la nuit tombée.
Rap, Hip Hop
et Naïda
Pourquoi donc de telles allégations qui, selon toute vraisemblance, sont dénuées de fondements ? Certains parents d'élèves y voient une manipulation de la part de quelques candidats locaux qui voudraient créer une polémique de toutes pièces, pour asseoir quelques slogans électoraux. D'autres sont formels : «c'est un mensonge, autrement la police aurait déjà arrêté plusieurs élèves. » Et dans ce fatras d'avis divergents, une certitude se précise : la machination politique. Même les enfants mis en cause accusent, à leur tour, ouvertement les autres élèves d'être au service de plusieurs députés de la région qui veulent faire monter la sauce pour se faire valoir. Alors que « nous ne sommes ni sataniques ni rien d'autre. Il est vrai que nous aimons la musique, le Rock et le Hip Hop, nous écoutons des groupes marocains comme Awd Ellil ou Al Khasser ou Hoba Hoba Spirit, mais boire du sang de chat, il faut être complètement givré pour penser à un truc pareil. Il nous arrive d'écouter la musique en groupe, mais ici devant le lycée et pas dans le cimetière. Des fois, on va dans le quartier près de la forêt mais pour nous amuser et jamais nous n'avons égorgé de chats. Alors où sont les tatouages et les percings dont ils parlent ? » Nous n'avons vu ni tatouage ni oreilles percées ou arcade sourcilière, mais des adolescents, la tête dans le vent, qui aiment la musique (et c'est leur droit le plus absolu), des gamins qui aiment le Heavy Metal, apprécient le rap, qui écoutent Eminem, Snoop Doggy Dogg, Dr Dre, qui savent qu'il y a un mouvement au Maroc qui s'appelle Naïda, dont certains s'en réclament avec fierté ; des gosses qui découvrent la vie, leurs corps, qui ont envie de se bécoter avec des filles pas loin de la forêt, là où ils ne seront pas pris par d'autres puritains ; des jeunes qui affichent une certaine idée de la modernité, s'habillent branché, parlent argot, alignent quelques palabres anglophones, et ne pensent qu' à épater les filles. Et rien d'autres. Ils sont au stade où les poussées de testostérone leur dictent une foultitude de comportements où la religion, Satan et consorts n'ont pas de place.
Février 2003, une date à ne pas oublier
Quatorze Marocains, membres présumés d'une «secte satanique», sont passés devant les juges à Casablanca le 25 février 2003 pour «actes pouvant ébranler la foi des musulmans». Ils ont été également accusés de «détention d'objets contraires aux bonnes moeurs», et de «complicité et aménagement d'un local pour prostitution». Ecroués le 16 février 2003, ils risquaient des peines allant de six mois à trois ans de prison. Ils ont été condamnés à des peines entre un mois et un an avant d'être graciés par le Roi. Les pièces à conviction présentées à la justice étaient composées de squelettes, de crânes, de T-shirts frappés du signe du Pentagone, de cobras et de vipères rouges et «une série de CD diaboliques». Agés entre 20 et 28 ans, les prévenus, issus de la classe moyenne, n'étaient en fait que des amoureux de la musique, un certain type musical, du Metal très corsé. Et c'est sur la base de ce goût musical qu'ils ont fait les frais d'une grosse machination politique avec slogans à l'enceinte du Parlement, compromis idéologiques et fausses idéologies. « Dans la même veine politicienne, le quotidien islamiste Attajdid, avait annoncé que la «campagne» contre Abadat Al Chaïtane (Adeptes de Satan) était «vouée à l'échec dès le départ», car «elle est minée par d'autres campagnes qui encouragent toutes les formes de déliquescence, l'alcool et le libertinage, et qui sont ignorées par les autorités», avant de souligner que «la meilleure campagne consiste à réhabiliter l'éducation islamique équilibrée, modérée et réaliste». Pourtant, ce sont des députés proches du quotidien et du parti du PJD qui avaient mené de concert une cabale contre les 14 de Casablanca.


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