L'Espagne et le Maroc peuvent beaucoup l'un pour l'autre. La visite de M. José Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement espagnol, offre l'opportunité de s'interroger sur les atouts d'un partenariat maroco-espagnol plus engagé. La coopération entre les deux royaumes doit (et peut) transgresser les canevas coopératifs traditionnels pour emprunter une véritable interdépendance socioéconomique, géostratégique, culturelle et technologique pour offrir à l'ensemble du pourtour méditerranéen un modèle de complémentarité organique entre l'Europe méridionale et l'Afrique du Nord. Focus. Pas de doute : l'Espagne ne peut plus être dissociée de l'édification du Maroc nouveau. Celui de l'Etat de droit, de la modernité et de la prospérité socioéconomique. Le Maroc s'est trop, trop longtemps, cristallisé sur l'axe Rabat-Paris. Madrid est à nos portes et nous n'avons plus le droit de négliger la cinquième puissance économique mondiale. Certes, la balance commerciale entre les deux pays a atteint un volume approchant les cinq milliards d'euros avec 2,43 milliards d'exportations et 2,56 milliards d'importations. En termes de valeur, l'Espagne nous achète aujourd'hui quasiment autant que la France (2,6 milliards d'euros). C'est dire l'ampleur croissante de nos échanges avec le voisin ibérique. Nos exportations vers ce dernier ont progressé de 15,7%. Mais, les chiffres disent-ils tout sur le rêve d'un destin commun aux deux co-gardiens du détroit de Gibraltar ? Rendent-ils compte du dessein quasiment civilisationnel que nous nous devons de restaurer et lubrifier à tous les étages de la concorde hispano-marocaine ? Le moment n'est-il pas venu de demander à notre voisin du nord de s'impliquer avec davantage de volontarisme dans l'édification du Maroc moderne, sa véritable profondeur géostratégique. Qu'elle continue à revendiquer la plus grande acuité sécuritaire de notre part quant aux pandémies du terrorisme et de l'émigration clandestine, cela n'est que de bonne guerre. Mais le voisinage tout à la fois géographique et historique n'engendre-t-il pas des devoirs d'assistance et même d'empathie ? Le Maroc a été fortement présent dans la confection de la nation espagnole elle-même, depuis l'équipée de Tarik Bnou Ziad jusqu'à la transition démocratique de 1976 vers la monarchie constitutionnelle sous l'égide du Roi Carlos 1er. L'Espagne a des devoirs historiques envers le Maroc qui l'a pénétrée et qu'elle a, à son tour, conquis. Ces deux vieilles nations ont connu l'un des âges d'or les plus lumineux de l'aventure civilisationnelle humaine. Elles ont connu également des périodes d'une grande férocité, telle que la guerre civile espagnole ait pu en offrir l'illustration la plus sanglante. Les Marocains se sont massivement et profondément impliqués dans la défense de l'intégrité territoriale espagnole, à maintes étapes du déroulé historique du pays de Cervantès. Un exemple majeur : Notre pays a protégé l'Espagne et même l'ensemble de l'Europe de l'hégémonie de l'Empire Ottoman durant cinq siècles. Déjà parvenue à lécher les murs de Vienne, la Sublime Porte aspirait à la vassalisation de l'ensemble de l'Europe en prenant le vieux continent en tenaille, du détroit de Gibraltar à la Scandinavie. C'est bien le Maroc qui a bloqué ce dessein hégémonique durant cinq bons siècles, étant, en cela, le seul pays arabe à avoir échappé à l'« ottomanisation » accrue de cette aire arabe. De ce point de vue, chacun des deux pays voisins a construit son identité grâce à son « frottement » empathique ou belliqueux avec l'autre. Le Royaume du Maroc, aujourd'hui plus qu'hier, a besoin de l'implication solidaire de l'Espagne. Les forces vives du pays de Juan Carlos sont appelées à prendre conscience du fait que la quiétude de leur démocratie passe par la bonne santé socioéconomique et, par conséquent, sécuritaire du Maroc. Aucune frontière, fût-elle barbelée et électrifiée, ne peut contenir l'envie d'accéder à un lendemain meilleur. On peut se féliciter de l'abolition par le gouvernement socialiste de M. Zapatero de l'approche viscéralement sécuritaire qui a marqué le passage d'Aznar à la tête de l'exécutif espagnol. Les attentats de Madrid sont riches en enseignements. Les responsables espagnols sont aujourd'hui conscients de la nécessité de s'impliquer plus efficacement dans la mise à niveau socioéconomique du voisin du sud. En cela, ils l'aideraient à contrer les « marchands du paradis céleste » qui promeuvent l'idéologie de la mort au sein d'un environnement toujours marqué par les privations. En termes d'aide publique au développement, l'Espagne reste très en recul par rapport à la France. Pourtant, il lui est tout à fait loisible de s'engager davantage à ce registre. La majorité socialiste actuelle n'a pas à redouter quelque blocage des Cortès à ce niveau. Pourquoi ne le fait-elle pas ? En tous cas, les huit ministres qui ont accompagné Zapatero lors de la 8ème rencontre hispano-marocaine ont procédé à des échanges profonds avec leurs collègues d'ici. Des accords de différents niveaux ont été signés. Mais cela reste loin du compte. Les attentes sont immenses. Des niches nouvelles doivent être identifiées. Des lignes de subventions et de crédits sont possibles. L'Espagne, qui vient de bénéficier de près de 90% des opportunités halieutiques de l'accord de pêche maroco-européen, se doit de plaider avec plus de vigueur la cause du développement multidimensionnel du Royaume auprès de Bruxelles. Par ailleurs, l'adhésion de l'Espagne au projet marocain d'autonomie interne constitue un minimum au vu de la culpabilité coloniale avérée sur le sol de nos provinces sahariennes. L'Espagne sait mieux que quiconque que ces provinces ne constituaient point une terra nullus. Les foudres d'Alger que semble craindre le gouvernement espagnol ne relèvent que du baroud mouillé. Magnez-vous M. Zapatero!