Le président, Abdelaziz Bouteflika, revient ces derniers temps à ses anciennes habitudes. Il menace, met en garde, tente de montrer à nouveau, qu'il est le seul maître à bord. Si les Algériens restent indifférents à ces gesticulations, la Grande muette, quant à elle, le laisse faire. Car, elle sait, mieux que quiconque, que le pays est déjà rentré dans une nouvelle transition. A la veille de cette année 2006, le chef de l'Etat algérien semble aller dans tous les sens. Il passe, tous azimuts, les messages aussi bien politiques qu'économiques. Il hausse le ton, gronde, rappelle à l'ordre. Le tout, pour prouver que les rumeurs concernant d'éventuelles marches arrière sur ses initiatives, sur ses chantiers demeurant toujours en cours, et, notamment, sur la révision de la Constitution, ne sont que des inventions montées de toutes pièces par ses détracteurs . Ceux-ci souhaitant le voir bientôt quitter le navire. Ils espèrent maintenant comme «ibliss au paradis», dit-il, en s'adressant à quatre ministres, dont il doute de leur loyauté. Ce, au moment où il prépare leur limogeage dans le prochain «lifting» gouvernemental, qui est apparemment déjà consommé. Les observateurs politiques à Alger remarquent que Bouteflika, fortement contrarié par les fuites d'informations des cercles rapprochés, ne se retient plus. D'autant qu'il refuse les conseils de ses proches lui suggérant de s'abstenir à ouvrir six fronts en même temps. Car la population peinera à le comprendre et, par là, à le suivre, comme cela a été le cas au début de son 2ème mandat. Cela, sans parler d'un mécontentement généralisé d'une classe politique alliée qu'il a fait tout pour marginaliser, voire l'affaiblir. Ni de son parti au pouvoir, le FNL, qui souffre d'un malaise interne dont son secrétaire général, l'actuel premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, n'arrive pas à atténuer ses ampleurs, malgré les privilèges dispatchés à gauche et à droite. Ce qui dérange Bouteflika le plus, en ce moment, ce sont les rapports qui atterrissent quasi-quotidiennement sur son bureau au palais d'El-Mouradia. Ces derniers reflètent les évaluations négatives émanant des chancelleries occidentales, concernant la gouvernance perturbée à tous les niveaux. Certains de ces rapports parlent d'un pouvoir qui commence de «naviguer à vue» ; d'autant qu'ils se posent des interrogations sur le net fléchissement de l'emprise du président sur les appareils de l'Etat. Raison pour laquelle celui-ci tient, en montant sur tous les créneaux ou presque, de prouver le contraire. Américains et Allemands- ces derniers assurant à l'heure actuelle, la présidence de l'Union européenne- laissent entendre que ni les revenus exceptionnels du pétrole, moins encore les réserves de change dépassant les 60 milliards de $, ne pourront changer le constat déjà établi sur les perspectives de la situation en Algérie. L'attaque du bus transportant les ingénieurs du groupe américain, Halliburton, ily a environ un mois, confirme cette évaluation. De plus, l'échec de la visite du premier ministre espagnol, Zapatero, à Alger, et la fermeté de sa position vis à vis de l'affaire du Sahara, n'a fait qu'accentuer les diatribes du chef de l'Etat algérien. Dernière «boutade» en date, expliquant l'état de perturbation dans laquelle vit actuellement Bouteflika, s'est traduite par le rassemblement des responsables au pouvoir, à différents échelons- on compte la présence de plus de 400 cadres- aux aurores (de 6h30' à 8h du matin), tenu le mardi 26 décembre au Palais des nations, pour prononcer un discours compliqué, dépourvu des grandes annonces tant attendues à la fin de cet exercice 2006, selon un député du FLN qui était présent. En effet, au lieu d'aborder un sujet de pleine actualité sur le plan politique, à savoir la fixation de la date du référendum sur la révision constitutionnelle, Bouteflika a choisi de s'attaquer à «ceux qui affirment qu'il est sur le départ». Leur répondant «je ne pars nulle part, je reste là», pour revenir à son dada , les chiffres sur l'économie nationale, les chantiers qu'il avait lancés et le remboursement de la dette avant échéance. Et, par là, retourner à ses convictions politiques pour rappeler à ceux qui les avaient oubliés qu'il «ne trahira jamais l'âme de novembre, ni ne bradera les richesses des générations futures». «Notre président n'arrive plus à sortir du cercle dans lequel il est volontairement rentré depuis sa maladie», laisse entendre, en privé, l'ancien premier ministre, Ahmed Ouyahia. Le fait de répondre sur ce ton aux rumeurs concernant son départ, signifie qu'elles le hantent. Ce qui laisse les observateurs conclure qu'il y a une partie de la réalité là-dedans. Bouteflika voulait-il, en faisant la mise au point qu'il n'ira nulle part, faire allusion à l'information ayant circulée récemment sur son éventuel départ en pèlerinage aux Lieux Saints, sur conseils de son cheikh venu de sa ville natale, Tlèmcène ? Ou bien, répliquer aux rumeurs sur une prétendue démission de sa fonction de chef d'Etat, et l'organisation d'une élection anticipée ? Quoi qu'il en soit, le discours du président algérien a été ambigu, avait plus qu'un sens. Au point d'être confus, difficile même à décrypter par les analystes politiques les plus avisés. Si une partie de l'assistance l'avait qualifié comme étant une sorte de fuite personnelle en avant, les proches des différentes ailes de l'armée, s'accordent à souligner qu'il n'avait rien à voir avec l'actualité prévalant aujourd'hui. Ce, sans parler de son «irréalisme politique». «C'était beaucoup mieux pour lui d'aller à la Mecque au lieu de réveiller les gens si tôt», disait à La Gazette du Maroc, un ancien général à la retraite. Signes de perturbation Les diplomates occidentaux en poste à Alger affirment que, depuis le retour de Bouteflika de ses longues vacances d'été (plus de deux mois), ils ressentent qu'il n'y a plus une ligne conductrice au sommet de l'establishment algérien. Les marches arrières sur les importantes décisions prises ainsi que les hésitations envers plusieurs dossiers importants, se succèdent. Ils sont devenus des choses banales et courantes au niveau de la gouvernance. Ils répètent devant les journalistes locaux comme étrangers qu'ils rencontrent, soit en privé ou dans les réceptions données, qu'aucun responsable gouvernemental, qu'aucun haut cadre de l'administration algérienne, n'ose prendre un quelconque engagement. Tout le monde vit dans le flou, alors que le pouvoir semble naviguer à vue. Côté armée, on tient à montrer une indifférence apparente envers ce cafouillage. On laisse même comprendre, soit à travers le silence des «i», soit par le biais de ses antennes réparties partout, que ce qui se passe ne concerne nullement l'institution militaire qui, depuis quelques années, ne se mêle plus de politique. Le président de la République est le seul qui est le plus apte à gérer les affaires de l'Etat. «Quant à nous, notre tâche consiste, d'une part, à transformer l'armée en institution de professionnels ; et, de l'autre, veiller à défendre le pays et la nation contre les dangers qui les menacent». C'est ce que répète, le général-corps, Ahmed Quaed Salah, chef d'état-major de l'armée algérienne, à chaque fois qu'il recevait un homologue occidental. Cela dit, la Grande muette n'a pas le moindre souci à l'égard de l'influence de Bouteflika. Aucune critique, depuis juillet dernier- date du deal conclu entre les trois symboles du pouvoir militaire et ce dernier- n'a été enregistrée. On ne commente même plus sa volonté de briguer un 3ème mandat. Pis encore, on assiste à ses côtés à toutes les cérémonies aussi politique que celles organisées à l'académie militaire de Cherchel. Ce, pour montrer au public et aux étrangers, que l'armée se range derrière lui. Pour les spécialistes des attitudes de cette institution, cette situation de «navigation à vue» lui convient parfaitement. Les généraux laissent apparemment les choses mûrir. Ils sont conscients que, pour une fois, depuis la mort de feu Houari Boumedienne, on n'accusera pas l'armée d'avoir participé à l'écartement d'un président, ni même tuer un autre. Allusion faite à l'assassinat de Mohamed Boudiaf. Sur le plan externe, les failles au niveau de la gouvernance sont aussi clairement recensées. On apprend que dans les réunions du Conseil du gouvernement, le chef de l'Etat algérien n'hésite pas à critiquer vivement certains pays. Il demande souvent à certains ministres, d'adopter la fermeté dans le traitement des dossiers. Ce comportement intervient, notamment, lorsqu'il recevait un rapport du «gouvernement parallèle» qui l'avait placé à la Présidence, évoquant l'existence d'un dysfonctionnement, ou bien des signes sur des concessions faites à l'interlocuteur étranger. Ceci a été le cas, apprend-on, au niveau du ministère chargé des privatisations. Ce qui explique la marche arrière faite par le ministre concerné, Abdel Hamid Temmar. Ce dernier ayant déclaré qu'une centaine d'opérations de privatisations ne seront concrétisées comme prévu. À la Sonatrach, par exemple, le P-DG, Mohamed Meziane, évite désormais de commenter en public la stratégie de la société qu'il dirige. Il n'ose plus parler d'éventuelles alliances, ou évoquer les préférences. Il se contente, depuis la marche arrière effectuée sur la loi des hydrocarbures, suivie par la «répression» du ministre de l'Energie et des Mines, Chékib Khélil, jadis chouchou du président, de faire le point sur les recettes qui dépasseraient les 52 milliards de $ en 2006. Ou de citer les noms des compagnies avec qui la Sonatrach a signé des accords. Dans ce même ordre de failles, des informations parlent des consignes données par la Présidence à tous les ministres, au gouverneur de la Banque centrale, aux directeurs généraux des administrations, de ne plus s'exprimer explicitement sur les actes de corruption, ni sur l'influence des barons du marché informel, ou de l'opacité du marché financier. Seul le chef de l'Etat a le droit de s'attaquer à ces fléaux ; ce, afin de ne pas laisser l'occasion aux «comploteurs», qui veulent entacher l'image du pays qui a réussi à retourner en force sur la scène internationale. Les décisions prises, notamment durant cette période, tardent à être mises à exécution. Car, il est devenu commode qu'on revienne très rapidement sur elles. Il est souvent arrivé que le frère du président, Saïd Bouteflika, qui est un de ses proches conseillers au palais, intervient au dernier moment pour bloquer une décision, sans pour autant en donner les raisons. Dans les coulisses du gouvernement, on parle des erreurs commises au niveau des décisions, qu'on n'arrive pas à les éviter avant qu'elles soient exécutées. Beaucoup d'indices, de décisions, montrent que la gouvernance de l'Algérie navigue à vue, et que l'armée est déterminée à rester, au moins pour l'instant, à l'écart. Car, d'après un des trois généraux les plus influents, le feu est très loin d'être dans la maison. Cela dit, il serait mieux d'attendre quelque temps, avant de mettre fin à cette étape de transition. Un mot que Bouteflika ne pourra entendre.