Les révélations émanant du ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, concernant les menaces qu'il avait reçues dans le cadre du projet des auto-routes Est-Ouest, reflètent l'influence grandissante des lobbies internes liées aux groupes et consortiums étrangers. Ces derniers qui sont, semble-t-il, prêts à tout pour décrocher les gros contrats lancés par l'Etat algérien. "Comment voulez-vous qu'un pareil projet faramineux dont le coût est estimé à 11 milliards de $ ne pousse pas un consortium américain écarté au profit des Japonais et des Chinois, reste les bras croisés», disait à la Gazette du Maroc, un ancien grand responsable algérien ; et celui-ci d'ajouter : «en lançant des chantiers à gauche et à droite, en ouvrant les portes aux géants internationaux sans appliquer le contrôle nécessaire, et, en plus, en ayant du cash qui ne cesse de se multiplier chaque année, il faut s'attendre, sans surprises, à des guerres de lobbies roulant pour le compte de ces holdings». C'est ce qui se passe aujourd'hui en Algérie. Mis à part le secteur des hydrocarbures dont dépend à plus de 90 % l'économie algérienne, et le domaine d'achat d'armements, tenus de main de fer par l'institution militaire, tout le reste ou presque, notamment les infrastructures a été ouverts aux entreprises étrangères. Ceci, sans prendre en considération que l'establishment algérien n'est pas encore prêt à absorber un afflux de ces dernières portant risques et menaces. Les proches du Premier ministre et patron du FLN, Abdelaziz Belkhadem, laissent entendre, ces derniers temps, que le président Bouteflika, a découvert, sur le tard, les méfaits de sa politique d'ouverture tous azimuts qu'il avait adoptée dès son premier mandat. Ce qui explique maintenant les révisions de plusieurs décisions, dont la plus importante, la fermeture à nouveau du secteur des hydrocarbures à l'investissement étranger après le vote d'une loi, il y a quelques mois le libérant, sous conditions. L'affaire de Amar Ghoul est venue au mauvais moment pour le chef de l'Etat algérien qui tente de convaincre qu'il a repris tout en main. Ce dernier est conscient plus que quiconque que les groupes internationaux ont réussi à créer leurs propres lobbies algériens situés à tous les niveaux. Ceux-ci montrent au fil des jours leur puissance ainsi que leur capacité de nuisance. Là, les exemples ne manquent pas. En effet le sabotage qui avait accompagné la réalisation de la nouvelle aile à l'aéroport international de Houari Boumédiène a suscité la crainte de Bouteflika qui s'est dépêché avant les vacances d'été à rencontrer les figures de proue de l'armée pour leur exposer la gravité de ce danger ; et, par là, les associer à son prochain combat. Pour preuve, après son retour de vacances de plus de deux mois, le président algérien s'est concentré sur l'économie au point qu'il n'a plus évoqué ni s'est intéressé aux préparatifs de son 3ème mandat qui n'est apparemment plus en tête des priorités pour lui. En revanche, il a déclenché sa bataille contre les groupes internationaux en s'adressant aux gouverneurs des Banques centrales arabes par les propos suivants : « Il faut que les pays arabes et musulmans mettent fin à la spoliation de leurs richesses, de leur argent par les sociétés et les banques étrangères ». Message adressé, selon les observateurs, aux lobbies algériens qui font des percées graduelles au sein des ministères, des administrations publiques, et même au niveau du secteur bancaire et du marché financier. Bouteflika n'a pas réagi avec une telle acuité et une pareille urgence qu'après avoir ressenti le poids de ces lobbies et l'influence grandissante des groupes étrangers qui n'hésitent plus devant rien. Ces lobbies, apprend-on, jouent toutes les cartes pour renforcer leurs positions sur l'échiquier économique. Dans cet objectif, ils sont allés jusqu'à tisser des relations avec des groupuscules islamistes extrémistes pour les aider à faire des pressions sur des walis et des maires des grandes villes qui gèrent les dossiers des grands projets d'infrastructures. C'est la raison pour laquelle certains de ces hauts fonctionnaires ont été limogés récemment et qu'une loi sera promulguée portant sur la déclaration par les députés et les ministres de leurs patrimoines. Les conseillers à la présidence ne cachent pas que le plus grand souci qui perturbe le chef de l'Etat, c'est la dimension que prennent ces lobbies dont les réseaux ne reculent plus devant rien. « Nous ne permettons pas que notre pays se transforme en Chicago des années 30 pour les beaux yeux des partisans de l'OMC et la mondialisation», rétorque un député du FLN, proche de la sécurité militaire. Ce qui veut dire que la bataille contre les lobbies sera menée conjointement par la présidence et l'armée. Le président Bouteflika, après de larges consultations avec ses proches conseillers économiques, a fini par trouver qu'une diversification bien «dosée» entre les différents groupes internationaux, accompagnée par des deals à travers lesquels ces derniers se séparent de leurs lobbies, serait une solution à ce problème qui commence à peser lourd sur la situation interne. L'arme de la diversification C'est dans ce contexte qu'il faut placer les précisions faites par le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, un des plus proches du chef de l'Etat, à la veille de sa visite aux Etats-Unis, en juin dernier. Ce responsable apprécié aussi par Washington, a indiqué que dans les relations avec ce pays, comme avec ses autres partenaires, «l'Algérie cherche à établir et à consolider des relations d'amitié multiforme, dans le respect mutuel et l'équilibre des intérêts». Le chef de la diplomatie algérienne répondait ainsi aux lobbiyistes inquiets du développement croissant des relations économiques, notamment au niveau des infrastructures avec Pékin, énergétique et armement avec Moscou. « Il n'est nullement question de s'aligner sur un partenaire, plutôt que sur un autre», ajouta Bedjaoui. Et, de poursuivre : « Nous cherchons tout simplement à développer des relations confiantes et fortes avec tous nos partenaires, particulièrement les plus importants d'entre eux ». Cette dernière phrase résume tout car l'essentiel du message de l'Etat aux groupes internationaux les assurant que tout le monde sera servi selon son poids et son soutien politique à l'Algérie sur la scène et les instances internationales. Et, par là, il faut se débarrasser de l'idée portant sur l'exercice des pressions voire parfois des menaces pour atteindre les objectifs économiques. Et dans le but de contre attaquer sur ce train, les Algériens ont fait comprendre aux patrons de ces groupes internationaux qu'ils avaient rencontré dans différentes capitales occidentales, que l'Algérie a aussi bien les moyens financiers et les réseaux qualifiés pour riposter aux cas de dérapages «inexcusables». Au point de retourner au bon vieux temps du militantisme qui dérangera les intérêts de ceux qui choisissent de saboter l'essor économique de l'Algérie. Bouteflika n'a pas tardé à utiliser l'arme de la diversification. Il étudie personnellement, affirme son entourage, le pour et le contre concernant l'octroi de chaque projet à un groupe étranger ; faisant le plus souvent des efforts pour associer une ou deux autres sociétés à ce même projet. Ceci d'une part et, de l'autre, il a adopté une politique de dispatching bien étudiée afin que les meilleurs dans chaque domaine soient choisis. Ce, pour arriver progressivement au principe de donner les contrats aux plus spécialisés. De ce fait, si les Américains tiennent le haut du pavé depuis le temps de feu le président Boumédiène, ils le resteront mais auront d'autres rivaux comme les Italiens, les Russes et les Français dans le domaine du secteur gazier ; également, les Espagnols dans le secteur pétrolier. Ces derniers qui se montrent de plus en plus agressifs par le biais de leurs entreprises concentrent leurs activités sur la construction des logements, sur les projets de traitement de l'eau. A l'heure actuelle, le consortium Geida (constitué de Cobra, Codesa et Sadyt) traite deux grandes stations de dessalement de l'eau de mer à Skikda et Béni Saf. Dans ce même ordre de diversification équilibrée, l'Algérie achète depuis plus d'un an des avions de transport militaire et des armes à l'Espagne. Ce qui ne peut que réconforter les Américains qui voient que cette orientation prive les Russes d'une influence marquée, et réduit la marge de leur monopole dans ce domaine. De plus, Washington voit d'un très bon œil la réaction positive d'Alger aux propositions faites par ses hauts responsables dont, entre autres, le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, et David Welch, le vice-secrétaire d'Etat pour le Proche-Orient et l'Afrique du nord, portant sur la disponibilité de l'administration américaine de vendre des armes à ce pays qui est sur le chemin de devenir un partenaire solide en Afrique du Nord. Force est de souligner que la participation d'un nombre croissant, chaque année, depuis trois ans, d'entreprises américaines à la Foire internationale d'Alger, montre l'intérêt qu'accorde Washington au marché algérien. Quoi qu'il en soit, les analystes estiment que la bataille menée par l'Etat algérien contre les lobbies n'est pas gagnée d'avance ; et que la guerre entre ses lobbies est loin d'être exclue. Plusieurs indices donnent raison à ces analystes : en tête, l'épreuve à laquelle avait été confronté le ministre, Amar Ghoul qui est sorti de son mutisme pour évoquer dans une conférence de presse les «pressions qu'il a subi et remercie Dieu qu'il est encore vivant». A cela s'ajoutent les menaces que reçoivent quasi-quotidiennement certaines entreprises implantées en Algérie. Ce qui a incité les autorités à leur assurer la protection nécessaire. Les prochains mois seront décisifs quant aux moyens et cartes utilisés par le pouvoir algérien pour contre carrer les percées enregistrées par les lobbies fortement soutenus par les groupes internationaux. Ces derniers qui n'hésitent plus à faire pression sur leurs gouvernements qui, à leur tour, interviennent auprès des responsables algériens pour mieux positionner leurs entreprises dans les compétitions lancées. Les dés sont désormais jetés.