Profane et sacré ont depuis toujours cohabité dans l'imaginaire et les croyances populaires des Marocains, pour qui le religieux est intimement lié aux marabouts. À Casablanca, leur nombre dépasse la trentaine. C'est l'histoire de ces personnages réels ou imaginaires que nous avons choisi de vous retracer. De Sidi Belyout à Sidi Allal Al Kairouni, Lalla Taja, Sidi Bousmara, Sidi Abderrahman et bien d'autres, ont donné leur nom à de nombreux quartiers. C'est donc un autre aspect, et non des moindres, de l'histoire de toute une ville qui nous est contée. Honneur cette semaine à Sidi Belyout qui nous permet d'aborder notre si belle cité par la mer, lieu de naissance de Dar El Beida. Berger modèle, Sidi Belyout gardait ses chèvres et ses moutons en compagnie d'un lion. Ce même lion le guidera d'ailleurs plus tard quand il deviendra aveugle. Déçu par la médiocrité des hommes, il se creva les yeux pour ne plus assister à la déchéance humaine. Il quitta sa communauté pour aller vivre en ermite dans la forêt d'Aïn –Sebaa :« la source du lion ». La légende rapporte que Sidi Belyout avait un pouvoir de fascination sur les animaux sauvages. Il avait aussi un don d'ubiquité et se promenait en compagnie des fauves. La nuit tombée, les lions formaient un cercle autour de lui, afin de le protéger. À sa mort, ils auraient gardé sa dépouille jusqu'à son enterrement. C'est ainsi qu'on le surnomma Abou Louyout. Le nom de Sidi Belyout vient d'ailleurs de l'expression arabe « abou louyout » : le père des lions. Les Casablancais édifièrent à l'extérieur de la médina, adossé aux remparts, un sanctuaire. Dès lors, l'homme fut considéré comme le saint patron de la ville. Certaines versions racontent que les fauves, l'ayant sorti de la forêt, lui auraient creusé une tombe remplie de feuillage et l'auraient gardé jour et nuit. D'autres avancent que le lion qui lui avait servi de guide le prit entre ses crocs et l'emmena au cimetière. Il se mit à rugir jusqu'à ce que la population se rassemble autour du défunt. Une fontaine chargée de sortilèges, coule près du sanctuaire. Elle aurait, disent les fidèles la propriété merveilleuse de faire fatalement revenir à Casablanca tous ceux qui y ont goûté. Une légende farfelue raconte que l'avion d'un ancien pilote étranger s'est écrasé sur le lieu même du sanctuaire. Les Casablancais ont transformé pilote en « bilote » devenue plus tard Sidi Belyout. Cette histoire adaptée aux tonalités locales est bien entendue, dénuée de sens. Le saint existe bien avant le début de l'aviation et le terme belyout renvoie à un terme arabe clairement identifié « louyout » pluriel de « layth » qui désigne le lion en arabe. La koubba actuelle a été construite en 1881. On a même aménagé un trou dans le dôme pour que les rayons de soleil puissent pénétrer. Aujourd'hui, la tombe de Sidi Belyout reste isolée de la médina. Attenante au boulevard Houphouët Boigny (ex Quatrième Zouave), elle est visitée par les Casablancais de souche, mais aussi par de nombreuses jeunes filles désemparées. Tous viennent chercher refuge, face aux difficultés de la vie. Ils y trouvent quiétude et soulagement. La tradition voulait également que les petits garçons effectuent une visite à Sidi Belyout, avant leur circoncision. Aujourd'hui, le saint est de moins en moins loué ou imploré. Mais sa légende demeure. La remettre en question recevrait pour toute réponse "Astaghfirou Allah Al Aadim" (que Dieu vous pardonne) de la part des plus âgés. Nous reprendrons tout simplement l'expression consacrée "Wallahou aâlam" (Dieu sait mieux que quiconque).