Alors que les Libanais du Sud retournent en masse dans leurs villages, et au moment où l'armée libanaise se déploie conformément aux termes de la résolution 1701, les pays occidentaux censés renforcer la FINUL traînent les pieds. En Israël, où l'on cherche des boucs émissaires pour justifier la défaite militaire, les responsables parlent déjà de la prochaine confrontation avec le Hezbollah. Au Quai d'Orsay, on s'abstient de donner des explications claires concernant la participation symbolique de la France dans la consolidation des positions de la FINUL. Après s'être engagé à envoyer 2000 soldats dans le cadre des forces onusiennes, Paris a fait rapidement marche arrière. Si le ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie s'est par la suite, très vite, rattrapée en déclarant à France 2 que le flou accompagnant la mission des troupes françaises pourrait aboutir à une «catastrophe», une source proche de l'Elysée laisse, en revanche, entendre que la détermination de l'Etat hébreu à recourir à une deuxième manche, est la véritable raison de cette réticence française. En effet, les Français, tout comme les Italiens, qui étaient presque les seuls parmi les Européens à annoncer que leurs soldats formeront l'essentiel du nouvel effectif de la FINUL, ne sont plus prêts à payer le prix au cas où les hostilités militaires reprennent pour une raison ou pour une autre. Ceci, malgré l'appel du président américain George Bush à partir de Camp David, vendredi dernier, dans lequel il encouragea Paris à ne pas se contenter des 200 soldats envoyés. Les inquiétudes des responsables de ces deux pays sont justifiées lorsqu'on sait qu'aucun pays arabe, même ceux qui ont signé des traités de paix avec Israël, ne veut envoyer des soldats au Sud-Liban. L'Egypte, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ahmed Abou al-Gheit, a indiqué que son pays ne participera pas aux forces onusiennes. Car elle «n'acceptera pas qu'un soldat égyptien soit tué par erreur par une main arabe ou israélienne». Cela veut dire qu'une nouvelle guerre au Liban demeure fort probable. Les Egyptiens savent mieux que quiconque dans la région que la trêve est fragile, et que l'Etat hébreu cherche, à tout prix, à prendre sa revanche. Pour preuve, la tentative d'enlèvement d'un des leaders du Hezbollah à Baalbek, Cheikh Mohamed Yazbek, samedi dernier, lors de laquelle un officier israélien et deux soldats ont été tués. La Jordanie, également signataire d'un traité de paix avec l'Etat hébreu, a fait savoir de son côté qu'elle n'est aucunement prête à rejoindre la FINUL. La déprime qui prédomine, à l'heure actuelle, l'establishment israélien qui se répercute négativement sur le projet sioniste qui jusque-là était le pilier essentiel de l'existence de l'Etat juif, devra pousser les dirigeants à accélérer les préparatifs de la nouvelle guerre. Lorsque le vice-premier ministre, Shimon Péres disait, il y a quelques jours, que la guerre au Liban n'était pas une guerre de frontières mais plutôt une guerre d'existence, il avait complètement raison. Il est le mieux placé pour mesurer l'impact de la défaite militaire face à la résistance islamique. Dans ce contexte, il faut suivre maintenant de près l'évolution des positions des uns et des autres à l'égard de la participation aux forces de la FINUL au Sud-Liban. Si cette réticence persiste, quelles que soient les explications données, cela veut dire que la résolution 1701 ne dépasse pas le cadre d'une trêve qui pourrait être violée pour une raison ou pour une autre. Ces alibis ne manquent toujours pas chez les Israéliens comme cela a été le cas, samedi dernier, lorsqu'un communiqué de l'armée israélienne, qui reconnaît la mort d'un officier dans le village de Boudaï près de Baalbek, justifiait l'opération par le fait de déjouer l'acheminement des armes en provenance de la Syrie. Ce dernier revers va consolider la détermination du gouvernement israélien à violer la trêve et montrer au monde entier qu'il n'a aucunement l'intention de s'arrêter là. Les dirigeants israéliens veulent, à tout prix, marquer des points, hausser le moral aussi bien de l'armée que de la société ; et, le plus important, tenter d'atténuer l'ampleur des scandales qui remontent à la surface et qui ont tendance à inciter Ehud Olmert, Amir Peretz et Dan Haloutz, le chef d'état-major, à démissionner. Mais, en tout état de cause, Israël aura besoin plus que jamais d'une opération militaire spectaculaire pour redorer, en partie certes, son blason. Cartes et paris Il n'y a aucun doute concernant les intentions des dirigeants israéliens de jouer à nouveau sur les contradictions existantes entre les Libanais. Et ceci, malgré la victoire réalisée par le Hezbollah. De sources concordantes à Beyrouth, on apprend que les Israéliens avaient essayé de renouer les anciennes relations avec certains leaders chrétiens maronites. Tentative qui avait été vouée à l'échec. Notamment parce que leurs alliés, dans le cadre de ce qui est appelé les forces du 14 mars, sunnites, représentés par le bloc parlementaire du fils Hariri, et Druzes, par Walid Joumblatt les avaient conseillé de ne pas répéter l'erreur de 1982. Néanmoins, Tel-Aviv ne cèdera pas surtout après les récentes déclarations faites par ce dernier dans lesquelles il a montré nettement qu'il était avec le désarmement du Hezbollah ; et les vives critiques formulées par Saâd al-Hariri à l'égard du régime syrien, plus particulièrement vis-à-vis de son chef, Bachar al-Assad. Cette fragilité du front interne libanais encouragera les Israéliens à jouer leurs cartes. Celles-ci pourraient aller des voitures piégées, passant par les assassinats des leaders de tout bord pour initier à nouveau une guerre civile, et finissant par les pressions de l'administration américaine sur certains chefs. Comme cela a été le cas durant la guerre ouverte avec le Premier ministre, Fouad Sanioura. Les prochaines semaines, voire les prochains jours, vont certainement permettre aux observateurs de voir plus clair. Cela, même si le Hezbollah n'as pas réagi aux «provocations» émanant de certains leaders chrétiens ni aux «remarques» faites à cheikh Hassan Nasrallah par Walid Joumblatt. Seuls les Syriens ont répondu avec virulence aux propos de Joumblatt et Hariri. Ce qu'a expliqué le premier par l'intention de Damas d'assassiner les symboles du 14 mars. Cette situation libanaise interne tendue favorisera une ingérence israélienne dans les affaires du pays du Cèdre. Les pressions américaines sur la majorité parlementaire pour poser la condition sine qua non du désarmement du Hezbollah pourra engendrer des clashs entre chrétiens des Forces libanaises de Samir Geagea- alliées à l'Etat hébreu en 1982- et druzes de Joumblatt, d'une part ; et, de l'autre, les Chiites du Hezbollah et du mouvement Amal, du président du Parlement, Nabih Berri. Quant aux sunnites, divisés, il est quasi-certain qu'ils resteront à l'écart. Cependant, force est de souligner que la sagesse de cheikh Hassan Nasrallah et l'habilité de Nabih Berri, sont capables de contrecarrer le pari des Israéliens et des Américains. La France, qui cherche à préserver ses intérêts au Liban, et par là, dans la région du Proche-Orient, ne peut, en aucun cas, cautionner un tel projet de guerre civile malgré les susceptibilités à l'égard du Hezbollah et la tension existante avec la Syrie. Paris qui a indiqué, à plusieurs reprises, qu'il faut discuter avec Damas et Téhéran, a fait savoir, tout comme l'Italie que la mission de leurs soldats dans le cadre de la FINUL n'englobera pas le désarmement du Hezbollah. Quoi qu'il en soit, les analystes politiques affirment que le projet français au Liban et dans la région du Moyen-Orient est différent de celui des Etats-Unis. Les tractations autour de la modification des articles de la résolution 1701, l'ont bien montré. Une réalité qui est en train de se confirmer avec la réticence de Paris à envoyer encore plus de soldats au Sud-Liban. Cette dernière, qui se contente d'une participation symbolique, conseillant les forces du 14 mars à éviter le piège israélien- même si ses sentiments sont anti-Hezbollah-, n'est pas prête à couvrir la guerre que prépare les Israéliens avec le consentement de Washington. Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a, lors de sa rencontre, la semaine dernière, avec le Premier ministre libanais, mis ce dernier en garde contre une soudaine fuite en avant d'Israël qui prendra le monde entier de court. Le responsable français a même fait comprendre que les généraux de l'armée israélienne n'arrivent pas à avaler l'humiliation qui leur a été faite par le Hezbollah. Cela dit, ils ne reculeront devant rien. Car ils misent à fond sur le soutien d'une minorité américaine devenue de plus en plus fasciste et raciste. Une expression qui se recoupe avec une déclaration dans ce sens de l'ancien conseiller américain à la Sécurité nationale, Zbignew Briginski. Ce dernier a souligné que si Israël et les Etats-Unis poursuivront leurs politiques agressives au Moyen-Orient, ce sera la fin de la présence américaine dans cette région, et le début de la fin de l'Etat hébreu. Le front du Golan Le dernier discours prononcé par le président syrien, Bachar al-Assad, après la décision du Conseil de sécurité de l'ONU de l'arrêt des hostilités militaires portait plusieurs messages, les uns plus significatifs que les autres. Lorsque le chef de l'Etat syrien disait qu'à la suite de toute guerre il y aura un congrès international, il voulait par là rappeler que Damas était prête à toute négociation de paix basée sur le document de Madrid 1991. Celui-ci mentionnait la théorie de la paix contre la terre que l'Etat hébreu avait niée après l'avoir accepté. En d'autres termes, Israël rendra dans ce cadre le plateau du Golan à la Syrie contre une paix juste et durable qui reconnaîtra un Etat palestinien. De sources concordantes dans la capitale syrienne, La Gazette du Maroc a appris que plusieurs émissaires occidentaux avaient discrètement visité, tout le long de la guerre du Liban Damas. Ils étaient porteurs de messages à la fois des Israéliens et des Américains selon lesquels le moment est aujourd'hui opportun d'ouvrir les négociations concernant le Golan. La contrepartie consistait à ce que la Syrie fasse pression sur le Hezbollah pour apaiser la situation ; et fermer ses frontières devant l'afflux des armes en provenance d'Iran. Les Syriens qui n'avaient pas fermé totalement les portes ont déclaré, en revanche, que leur armée était prête à riposter au cas où les Israéliens frappent leur pays. Ce qui a poussé les responsables israéliens à déclarer, à maintes reprises, qu'ils n'avaient pas l'intention de s'attaquer à la Syrie. D'autre part, ces mêmes sources ont fait savoir que deux pays arabes ont demandé à la Syrie de «réchauffer» le front du Golan alors que l'armée israélienne s'est enlisée au Liban et subit des pertes considérables. Ce qui, selon ces Etats arabes, obligera les dirigeants israéliens à opter pour des négociations avec la Syrie. Une idée qui, semble-t-il, a été soutenue par certains pays européens. Les Syriens sont restés cependant méfiants ; notamment après des consultations étroites avec l'Iran, la Russie et la Chine. Ces dernières ont vivement déconseillé leur ami syrien de ne pas se lancer dans une telle aventure tant que tous les facteurs d'une véritable négociation ne sont pas encore rassemblés. Dans le cadre de cette trêve fragile et inquiétante, l'ouverture du front du Golan demeure un recours pour déstabiliser encore plus l'establishment israélien. Cette ouverture prendra la forme de guérillas à l'instar de ce qui se passe au Liban. Une guerre classique sera exclue. C'est ce qu'a affirmé, dans un dîner restreint à Beyrouth, le ministre qatari des Affaires étrangères, Hamad ben Jassem ben Jabr Al-Thani. Ce personnage énigmatique à la fois ami des Américains et des Syriens.