Répugnance des partis et dégoût De l' “ Océan au Golfe ”, les jeunes arabes ne veulent plus entendre parler de politique . Les grandes déceptions qu'avaient subi les deux générations précédentes en raison des échecs cuisants des partis politiques ainsi que l'émergence des pouvoirs, en majorité oligarchiques, poussent ces jeunes à prendre leurs distances envers ce domaine et ses milieux. Gagner rapidement de l'argent par tous les moyens, rêver à la création des starts-up, ou prendre le chemin de l'immigration, trois objectifs devenus l'espoir de cette jeunesse qui ne croient malheureusement plus en rien. “ Nous ne voulons plus une démocratie de participation ; nous ne pouvons pas nous contenter d'une démocratie de délibération ; nous avons besoin d'une démocratie de libération, une vraie ”. C'est la réponse, jeudi dernier, d'Abdel Kader Imam, étudiant égyptien, à son professeur de Droit constitutionnel à l'Université de la Sorbonne. Ce dernier évoquait alors la dimension et les retombées de l'action que compte mener très prochainement l'Administration Bush dans le monde arabe dans le but de promouvoir la démocratie et les réformes. Si la polémique a été évitée de justesse grâce à la sagesse d'autres étudiants arabes, cela n'a pas empêché la tenue d' une “ table ronde ” le soir même dans un café arabe du Quartier Latin ! Représentant une grande partie de ce monde arabe, les douze étudiants présents à ce “ Forum spontané et populaire ”, sont tous d'accord sur un seul point :“ la politique n'a plus aucun avenir chez eux et les politiciens sont tous des cas désespérés ”. Les étudiants algériens et syriens étaient les plus durs et les plus critiques. Méfiants à l'égard de la démocratie participative, inquiets de toutes les formes d'emprise des pouvoirs centraux sur les individus et l'opinion publique, hostiles aux appels du peuple, qui aboutissent toujours à donner à l'Etat une légitimité qui ne vient plus d'une élection libre, ils s'interrogent sur le contenu social et culturel de la démocratie aujourd'hui. Et, de là, se doutent des capacités des partis politiques qui “ n'ont même pas des programmes cohérents, ni une cause noble à défendre ”. Eviter le virus Même son de cloche ou presque est entendu dans la plupart des capitales arabes où les partis politiques tentent jusqu'ici, en vain, de sauver les meubles. Les changements de noms, de logos et même de programmes politico-économiques par certains partis historiques depuis la chute du Mur de Berlin, n'ont pas réussi à attirer la nouvelle génération vers la politique. “ C'est l'époque où tout le monde doit quitter les navires qui coulent ”, souligne l'écrivain et le membre du Parti Communiste libanais Karim Mroué ; et d'ajouter :“ Les jeunes ont parfaitement raison d'éviter d'être contaminés par ce virus ; de toute façon, la politique ne répond plus à aucune de leurs aspirations ”. Même constat en Libye, où les jeunes ne boudent pas seulement tout ce qui ressort de la “ politique jamahiriyenne ”, mais aussi les administrations étatiques, symboles, à leur avis, de l'échec du système. Le fait de s'éloigner de tout ce qui est participation à la vie politique- même si elle est interdite en dehors des structures du régime- et publique, les a conduit sans se rendre compte à former une génération de “ Haytistes ”, à l'instar de leurs voisins algériens. En Egypte, la situation n'est guère brillante malgré la naissance multipliée ces trois dernières années de partis politiques, toutes tendances confondues. Les efforts déployés par Jamal Hosni Moubarak, fils du Président pour rajeunir le parti au pouvoir et attirer les jeunes par tous les moyens, ne semblent pas donner leurs fruits. “ Il n' y a que les arrivistes, issus des milieux modestes, les fils des nouveaux riches de la période de l' Infitah de Sadate ou les progénitures de quelques ministres dans l'actuel gouvernement, qui ont accepté de s'engager politiquement aux côtés de Jamal Moubarak ”, affirme Ahmed Serajeddine, petit fils de Fouad Serajeddine, secrétaire du Parti historique libéral Al-Wafd. Parallèlement, les figures de proue des autres partis, tels que Khaled Mohieddine, secrétaire général du Parti Al-Tajamoh (gauche), Sami Charaf (Secrétaire général du Parti Nassérien), ou Maamoun al-Hodaïbi, (dirigeant de l'organisation des Frères musulmans), reconnaissent qu'ils trouvent d'énormes difficultés à convaincre les jeunes, étudiants, cadres et ouvriers, d'adhérer à leurs mouvements politiques. Pour “ décrocher ” un étudiant du secondaire ou à l'université, il faut un travail de fourmis, qui dépasse parfois un an. Les jeunes libanais, qui constituaient le laboratoire politique du monde arabe dans les années 50, 60, 70 et début 80, de par leur répartition sur plus de vingt cinq partis politiques, ne veulent plus entendre parler aujourd'hui de politique. Le pays arabe qui était jadis la Suisse d'Orient, de par son système démocratique, la liberté de son opinion et de sa presse et de son secret bancaire, n'arrive plus maintenant à retenir sa jeunesse, dont 40% a choisi d'émigrer. “ Ces jeunes n'ont plus aucune cause politique à défendre ici, pour eux, la déception est grande, d'autant plus que la raison d'être du pays qu'était la démocratie, est en train de se perdre ”, signale avec amertume, l'ancien premier ministre Sélim Hoss. Ce dernier rend responsable la classe politique qui ne cesse de négliger les simples revendications de ces jeunes, déboussolé après plus de 17 ans de guerre civile. La corruption politique Lors du Forum organisé par l'Union de la jeunesse arabe, tenu à Amman en juillet 2001, un des sujets de débats portait sur le rôle de la corruption politique. Les intervenants ont considéré que ce fléau est à l'origine de l'éloignement en masse des jeunes du monde politique. Certains papiers présentés ont montré que les partis politiques et l'Exécutif dans chaque pays arabe ont pris la fâcheuse habitude de se désintéresser des besoins de ces jeunes, de passer souvent outre leurs recommandations. Ils se sont mis à baigner dans l'anarchie, la paralysie, la politisation, le bourrage d'effectifs lié au clientélisme, la corruption sous toutes ses formes. Le virus a fini par contaminer tout le monde. Au cours de ces discussions, les jeunes arabes ont été si courageux en citant des noms, donnant des exemples concrets, dénonçant des pratiques courantes, pays par pays. Pour eux, le constat est flagrant. Les rapports qu'ils ont présentés, établis par des organismes de contrôle, tissent un sombre tableau de corruption souveraine, de pots-de-vin, de détournement de fonds, de mise en coupe réglée des départements, de gabegie, de gaspillage à tous les échelons. “ Sans le soutien politique et sans les politiques, de tels actes honteux ne pourront jamais se produire ”, rétorque l'émirati, Sameh Faraj, ingénieur en mécanique ; et de dire : “ Ils osent après tout nous demander pourquoi nous nous dérobons face aux responsabilités ? ”. En politique, plus particulièrement dans le monde arabe, l'esprit de la majorité dominante s'attaque désormais à l'éthique. De nombreux hommes politiques saisis par l'orgueil démesuré, quelques-uns poussés par la cupidité jusqu'à la malhonnêteté, trouvent toujours les moyens pour barrer la route à la jeunesse. Quant aux responsables politiques en charge de gérer les affaires du pays, ils ne sont désormais détenteurs que du “ ministère de la parole et des promesses ”. Ce qui rend ces jeunes de plus en plus réticents et …dégoûtés. Crise de représetnation politique Au cours d'un colloque ayant pour thème :“ La jeune femme arabe et la représentativité politique ”, organisé en février dernier à l'Université du Sultan Qabous à Mascate, les participantes, venues en majorité des six pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe), ont insisté sur le fait que dans beaucoup de pays arabes, on parle, depuis longtemps, mais de plus en plus avec obstination, d'une crise de représentation politique qui serait responsable d'un affaiblissement de la participation et de l'éloignement des jeunes, en général, de cet environnement. Les jeunes filles et femmes de la région ont osé, en s'exprimant publiquement, accordant des interviews aux médias. Pour elles, il n' y a pas de démocratie qui ne soit pas représentative, et le libre choix des gouvernants par les gouvernés serait vide de sens si ceux-ci n'étaient pas capables d'exprimer des demandes, des réactions ou des protestations, formées dans la société. “ On est bien loin, en tant que femme arabe, de la politique. Si quelques- unes sont devenues députées, membres des Conseils consultatifs (Majliss al-Choura), même ministres, cela ne veut pas dire que la crise de représentation politique est résolue ”, souligne Fatima al-Shanfari, sociologue omanaise. La Bahreïnie, Jamila Ibrahim, étudiante en Sciences politiques à l'Université américaine du Caire, est allée jusqu'au bout de ses idées. Elle considère que nul, aujourd'hui, n'appellerait démocratique un régime qui restreindrait celui-ci ; et que les femmes arabes ne peuvent plus accepter rétrospectivement une définition restrictive du corps électoral excluant les femmes. Elle finit par dire que si les femmes bahreïnies s'intéressent de plus en plus à la politique, les structures d'accueil font, jusqu'à présent, défaut. Toutefois, les jeunes arabes ne croient pas à la liberté du jeu politique. Ils estiment que les oligarchies qui ont émergé ces dernières années, dirigeant à la fois l'économique et le politique, ne cèderont jamais une part du pouvoir à une jeunesse qui n'est pas issue du même milieu socio-politique. Ainsi, il ne faut pas s'attendre à une métamorphose au niveau de la participation politique de ces jeunes dans un proche avenir. D'ailleurs, il n'y a aucun indice qui prouve le contraire. En Algérie, la jeunesse préfère intégrer le monde politique à sa façon. Elle s'exprime et tente de s'imposer par le biais des mouvements de contestation populaire. La classe politique, qui ne s'est jamais intéressée à ces jeunes, paye actuellement le prix de cette erreur. En effet, les partis politiques souffrent de l'absence de sang nouveau; d'autant plus, qu'ils les trouvent de l'autre côté de la barrière, allant parfois jusqu'à soutenir leurs adversaires islamistes. Pour conclure, il y a lieu d'affirmer que la jeunesse arabe n'a aucunement l'intention de porter son choix sur la politique. Elle trouve que ce créneau n'est plus porteur. Egalement, il ne fait plus partie des piliers du XXIème siècle. De plus, l'environnement politique dans le monde arabe ne s'est pas développé de manière à ce qu'il accompagne les innovations en la matière, intervenues partout ailleurs. Les jeunes Arabes estiment que les slogans parlant de démocratie, de transparence, de lutte contre la corruption, des changements d'attitudes et des pratiques de la part des leaders historiques des partis politiques, ne sont que des formalités jetant de la poudre aux yeux.