Agé actuellement de 75 ans, Benjamain R. est un homme qui est venu au Maroc investir dans le domaine du forage. Il rêvait de voir rejaillir l'eau dans le désert et se faire de l'argent. Il a beaucoup souffert à cause de manœuvres dilatoires de part et d'autres. Une acrobatie judiciaire qui dure depuis plus de douze ans et qui n'est pas près de finir. Le 26 avril 1993, il conclut un contrat d'une société de fait avec des Marocains. Moins de deux ans après, il fut expulsé du dépôt. Ses associés se sont accaparés le matériel d'une valeur de plus de 12 MDH lui signifiant de courir dans les enceintes des tribunaux. Il y a juste deux mois, après des dizaines de jugements et arrêts en sa faveur, le plus vieux touriste forcé de Marrakech a pu récupérer une partie de son matériel, mais sous forme d'épaves. Triste histoire d'un investisseur étranger qui s'est vu tout perdre, y compris 12 ans de sa vie. Benjamain. R arrive un beau jour du mois de mars 1993 à Casablanca, en provenance de Bordeaux, à bord d'une Citroën XM. Il était tellement heureux d'explorer le marché marocain, en matière de forage, qu'il n'avait pas consommé plus de 14 heures pour faire le trajet. D'origine italienne, naturalisé Français, il gardait encore cette vivacité méditerranéenne. Ainsi, après exploration du terrain et rencontre avec des partenaires marocains, il fit venir le matériel chargé sur quatre porte-chars, directement de Bordeaux où il avait une société du nom de E.F.F. La capacité de forage du matériel importé en admission temporaire, pour une période de 24 mois, n'était pas encore connu par les sociétés marocaines du même type. Le 26 avril 1993, un contrat d'une société de fait a été établi et signé par sa société E.F.F. s.a.r.l et Agrifor s.a. appartenant à deux frères, Brahim et Jamal El Amiri, précisant que les deux sociétés exploitent le matériel de forage importé. Une mention soulignait que «le matériel restera la propriété exclusive de E.F.F. jusqu'à la régularisation de la situation juridique de l'opération et du crédit supporté par E.F.F. envers Capitol Location (France)». Malversations et rupture Les forages commencèrent et l'argent commençait son entrée. Les fêtes n'arrêtaient pas non plus, au point que le mariage de Benjamain avec sa femme française aussi a été refait à Marrakech, à la marocaine, avec « Ammaria » et danses folkloriques, méchoui et pastilla. Le tout enregistré sur des cassettes vidéo au milieu de youyou. L'Eldorado ! Au fur et à mesure que les travaux avançaient et que les factures étaient payées, que les chantiers abondaient et que l'avenir se dessinait en rose, des irrégularités voire des malversations surgissaient. Engueulades suivirent demandes d'explications. Les frères dessaisissent leur associé français du matériel et le licencient en l'éjectant tout simplement du dépôt sis aux Oudayas, à une vingtaine de kilomètres de Marrakech. Il décida alors de s'adresser à la justice, mais ne savait pas ce qui l'attendait. Il déposa une plainte pour abus de confiance, escroquerie et disposition de biens communs avec mauvaise conscience. Ainsi, au Maroc, Benjamain n'avait plus que sa voiture. Fatigué, déçu et indigné, il chercha à mieux respirer et décida de retourner, le temps d'une semaine en France se ressourcer et demander conseil. Au poste frontière de Sebta, il fut interpellé par la police. Un avis de recherche était lancé contre lui par la police judiciaire de Marrakech. Il était obligé de passer deux nuits en garde-à-vue en attendant qu'on vienne le chercher. Une fois à Marrakech, il se rendit compte qu'il était recherché pour avoir « volé » sa propre voiture, suite à une plainte déposée contre lui par ceux qui l'ont dépossédé de tout son matériel : ses associés. Premier élément de la force et du pouvoir de ses adversaires. Le bol d'air se transforma en rage. Il en prit un coup et reprit la route. Condamnations avec sursis L'arrestation de Benjamain à Bab Sebta n'était que le début d'un long malheur. Il revint de France et devait faire face aux audiences et aux reports…On connaît le cirque ! Des mois passèrent et, comme ses sources financières s'épuisaient, il devait prendre une chambre dans un modeste hôtel à Casablanca, où il bénéficiait de facilités de paiement en attendant l'arrivée de sa pension de retraité en France. Mais, tête fendue, il avait peur de rater des audiences où rien ne se passait pour la plupart du temps. Un petit réconfort vint trois ans après. Ses adversaires ont été condamnés à six mois de prison ferme et à restituer le matériel. Les frères El Amiri firent appel et voilà une autre course qui se traçait encore à l'horizon. Trois autres années après, le 10 avril 2000, la Cour d'appel de Marrakech a confirmé le jugement de première instance, mais a ouvert une brèche vers le civil. Les magistrats ont également ordonné une expertise judiciaire devant évaluer les dommages subis par E.F.F et son représentant, Benjamain. Les accusés, pour mieux hausser le ton et laisser le temps au temps, décidèrent de porter le dossier devant la Cour suprême. Le Benjamain devait donc habiter Casablanca, se rendre à Rabat pour revenir à Marrakech et rentrer bredouille. Nous sommes en 2001 et voilà que le jugement civil tombe comme une foudre. Le juge y mentionne en toutes lettres que «le sieur Benjamain Ravanini est arrivé au Maroc pour s'enrichir sur le dos d'autrui» alors que la Cour suprême venait de confirmer l'arrêt des condamnations rendu par la Cour d'appel confirmant le jugement de première instance. Le plus vieux «touriste forcé» de Marrakech a commencé à se faire connaître. Il a tapé à toutes les portes et du ministère et des responsables des tribunaux au point qu'un juge lui dit une fois, en pleine salle des audiences : «Allez encore à Rabat pleurer !» Et Benjamain devait réellement pleurer son sort. Pour comprendre ses malheurs et ce qui se tissait autour de lui, il devait non seulement brûler des citernes de gasoil et user ses méninges et ses pneus, mais avait à faire face aussi aux frais des traductions des jugements et arrêts, se noyer dans un gouffre de dettes pour finir par vendre son bateau de plaisance accosté à Arcachon. Son épouse demanda, elle aussi, le divorce en ouvrant un procès et ses créanciers, à savoir la société française de crédit «Capitol Location», ne voyant plus les traites honorées, mirent sa maison à Bordeaux en vente, aux enchères publiques. Benjamain n'était donc plus en possession de quoi que ce soit, excepté des jugements et des arrêts en sa faveur, certes, mais qui valent du vent. Quant à leur exécution, cela constituait une autre paire de manche. Lettres de protestation, plaintes contre magistrats, allers-retours à Rabat et Marrakech et retours répétitifs à Bordeaux en vue d'expliquer sa cause pour la énième fois. Reconnaissance bancale Ainsi, par exemple, le 24 octobre 2003, dans une note de contestation adressée au ministre de la justice, concernant l'arrêt de la Cour d'appel de Marrakech n° 9042/97 et 368/200, Benjamain contestait l'expertise dont il dit qu'elle a été confectionnée de sorte que rien n'a été accordé aux parties civiles, sa société et lui. Le tribunal a, en effet, ordonné une expertise pour la période de fin 1993 à l'année 1996. Or, le même arrêt n'a été rendu que le 10 avril 2000, date à laquelle le matériel était encore détenu par ses ex-associés, condamnés à le restituer. Il écrivit : «Cette mission ne répond à aucun sens logique ni légal. Mes contestations devant la Cour sont restées lettre-morte. Toutes les étapes de l'expertise, qui ont duré un an et 3 mois, montrent combien la combine était claire entre experts, magistrats et adversaires. Une indemnisation totale de 3.112.421,22 DH, pour une période de neuf ans, ne prend aucunement en considération la réparation du matériel tenu de force et sérieusement endommagé, les impayés de E.F.F vis-à-vis du créancier «Capitol Location», l'augmentation du chiffre d'affaires et la croissance raisonnable de la société,…» Benjamain se conformera quand même à l'arrêt de la Cour qui ordonne aussi la contrainte par corps en cas de non-paiement des indemnités par ses adversaires. Il s'adressera au Parquet de Casablanca-anfa où il déposera une plainte à cet effet sous le n° 109/202. un avis de recherche est lancé contre le principal accusé par message n° 35.687 PPC du 25.06.2003. Il engagera aussi une saisie conservatoire sur un appartement à Casablanca, quartier des hôpitaux, appartenant à son adversaire. Il a fallu monter des surveillances de jour comme de nuit pour mettre la main sur Brahim et l'immobiliser. Présenté devant le Parquet, on lui a accordé un délai de 10 jours pour qu'il verse la somme ordonnée par le tribunal de Marrakech, mais on ne lui saisit ni passeport ni carte d'identité. Brahim s'en alla s'adonner à ses activités. Pire, sur la base de fausses déclarations de perte de cartes grises, les frères arrivent à vendre le matériel, pourtant sous saisie conservatoire et la victime était encore en possession des cartes grises originales des engins ! Le rapport d'un huissier confirmera cette vente en date du 1er octobre 2003 sous le n° 666/2003. Un autre délit, vive le défi ! Le 26 mai 2002, la machine foreuse et le compresseur sont vendus par les condamnés à une société dénommée Deltafor. Ainsi, encore, après avoir vidé la société de ses principaux équipements et encaissé la somme de 1.200.000 DH suivant chèque n 700.405 de Wafabail, les frères El Amiri demandent à la justice, sans crainte aucune, le redressement judiciaire de leur société Agrifor dans le cadre de la loi 15-95. Cette demande est introduite le 22 novembre 2002, soit 10 mois après l'ordonnance de la saisie conservatoire et 6 mois après la vente du matériel placé sous saisie conservatoire. Qui fait mieux ? Le tribunal ! Répondant à la requête du redressement judiciaire, la Cour, par jugement n° 4 daté du 22 janvier 2003 (deux mois seulement), ordonne la liquidation judiciaire sans chercher pour autant à savoir où est parti le matériel, non plus les milliers de dirhams, fruit de la vente illégale des deux principaux engins. Aucun expert n'a été désigné pour chercher d'éventuels éléments constituant le délit de banqueroute, simple ou frauduleuse qu'elle soit. D'ailleurs, il faudra à la victime plus d'un an encore pour trouver le restant du matériel. Et c'est dans un dépôt bien caché à Taroudant qu'il en repèrera une partie, dans un état de dégradation avancée. Au mois de mars 2005, Benjamain Ravanini devait se rendre en France et voilà que son avocat, Me Abdeljalil Berbale, reçoit une information faisant état de l'arrestation dans un hôtel à Agadir de Brahim El Amiri, recherché dans le cadre de la contrainte par corps, conformément aux dispositions de l'article 640 du C.P.P, depuis le 25 mai 2002. Lui, qui avait bénéficié deux ans auparavant d'un délai de 10 jours et n'était plus revenu. Le 31 mars, Brahim a fait le voyage en C.T.M en compagnie des policiers, d'Agadir jusqu'à Casablanca. Alors qu'il était encore en cours de route, entre les mains de la police, ses avocats ont présenté une requête écrite visant l'annulation de la contrainte par corps. Brahim n'était pas encore auditionné dans un procès verbal. Il n'a pas encore été présenté au Parquet conformément à la procédure normale. Pourtant, le tribunal a accepté la requête et a ouvert un dossier qu'il a consigné dans les registres du référé avant même que l'accusé n'arrive à Casablanca. Ce qui constitue une violation grave. Arrivant en fin d'après-midi, harassés par le voyage, les policiers ne savaient pas pourquoi ils devaient ouvrir un procès verbal et auditionner Brahim. Ils l'ont fait. Brahim est présenté au Parquet et les magistrats étaient prêts pour statuer en début de soirée. L'avocat de la défense s'y est opposé. Le 1er avril, l'audience a été tenue et le dossier a été considéré en l'état. Le 4 avril 2005, le tribunal rend un jugement n° 1778/04 du dossier n° 1250/1/5.Les attendus libèrent l'accusé qui n'a pas versé un sous à la victime. Benjamain, disent les avocats de l'accusé a procédé à la mise sous saisie conservatoire d'un appartement de 195 m2. Or, le même appartement est hypothéqué à hauteur de 1.175.000 DH au profit de la B.M.C.I, en plus de l'indivision à raison de 50% entre Brahim et son épouse. La créance de la victime est de 3.112.421,22 DH sans compter les intérêts de retard ordonnés par le tribunal à hauteur de 6% depuis 2001. Une main levée de la banque a été présentée devant les juges du référé. Elle a été retirée du dossier après le prononcé du jugement, parce qu'aucune trace de ce document n'existe à la conservation foncière. Le greffier a attesté par écrit le retrait de cette main levée qui s'avère être un faux. Cette nouvelle tournure dans l'affaire Ravanini a fait l'objet d'une autre plainte adressée au Cabinet royal en date du 13 juillet 2005. Au mois de juin dernier, Benjamain a pu exécuter, dix ans après, le jugement ordonnant la restitution du matériel. Il n'a retrouvé que des épaves dans différents dépôts entre Marrakech et Taroudant. A la place de l'huile des moteurs, il a trouvé de l'eau. Même les deux chiens qui gardaient le dépôt de l'Oudaya ont été empoisonnés et en sont morts.