Aux premières années de l'indépendance en 1956, et jusqu'à la dissolution du parlement et l'instauration de l'Etat d'exception en 1965, Abdelkader Sahraoui se plaçait en animateur au cœur d'une vie politique marocaine mouvementée et tiraillée entre forces nationalistes, progressistes de gauche, ou encore les chouristes et les harakistes. Dans le premier parlement marocain, et lors des premières élections municipales et législatives, il savait toujours faire entendre sa voix. Portrait. Au mois de juin 1971, feu Abdelkader Sahraoui se présentait devant le siège de la RTM, sise Rue Dar El Brihi à Rabat, en vue de percevoir son cachet habituel sur les émissions et les articles qu'il écrivait régulièrement pour la radio et la télévision nationale. Fin juillet de la même année, il sera reçu en audience par feu le Roi Hassan II qui le nomma ministre de l'Information (aujourd'hui Communication) dans le premier gouvernement marocain nommé juste après le coup d'Etat avorté de Skhirat, le premier coup monté par un certain général Oufkir. Abdelkader Sahraoui est avant tout intellectuel, un homme de lettres et historien crédible et apprécié. Il forçait le respect de tous ceux qui l'ont connu ou accompagné, durant près d'un demi siècle en tant qu'enseignant et de militant politique qui fût de son temps l'une des figures de proue et l'un des plus brillants chefs de file de l'Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) qui venait de se démarquer du parti de l'Istiqlal de Feu Allal El Fassi. «Sire, le peuple veut du pain» Il était l'un des principaux animateurs d'une vie politique mouvementée, tiraillée entre les exigences maximalistes de la gauche progressiste et les réticences des représentants du capital, ouvertement hostiles à toutes ouverture démocratique et pluraliste. De la proclamation de l'indépendance en 1956, jusqu'à l'instauration de l'Etat d'exception en 1965, il s'est distingué par ses qualités d'homme qui ne mâchait pas ses mots. Il avait le verbe de l'orateur représentant l'UNFP au sein du premier parlement marocain. Il était de ceux qui militaient pour une authentique démocratie. Pour l'égalité, la justice sociale et l'avènement d'un socialisme made in Morocco. Ses compagnons de lutte, comme ses adversaires, étaient toujours impressionnés par sa franchise, par la force de son argumentaire, son langage direct et sans nuances sans compter son sens de l'humour. C'est à lui que l'on doit notamment cette phrase historique en réaction à un discours du défunt Roi Hassan II: «Sire, le peuple, votre peuple veut du pain.» Il commentait ainsi les événements sanglants générés par le soulèvement du 23 mars 1965. Un éducateur au service de l'authenticité J'ai connu Abdelklader Sahraoui lorsqu'il était encore directeur du collège Abdelkrim Lahlou à Casablanca. Lorsque l'UNFP avait été porté à la présidence du Conseil municipal de la capitale économique, en la personne de feu Maître Maâti Bouabid. L'UNFP décida alors purement et simplement d'annexer cet établissement qui rejoint ainsi le secteur de l'enseignement public après avoir été une simple école privée fondée par les cadres du mouvement national. Dans ce collège, nous étions, pratiquement tous, des fils des quartiers populaires de Casablanca. Des enfants de militants et de résistants de la première heure. Tous issus des milieux sociaux les plus défavorisés. A cette époque là, le parti des forces populaires, et plus spécialement Abdelkader Sahraoui, incarnaient l'image d'un Maroc nouveau, progressiste et ouvertement anti-impérialiste. Le premier ministre marocain issu du Sahara Plus tard, vers la fin des années soixante, Abdelkader Sahraoui irrité, abandonne progressivement son action au sein de l'USFP pour se transformer en social démocrate qui assume et s'assume. Ce qui fera de lui l'une personnalités les plus aptes à faire partie du gouvernement de l'après putsch militaire raté du 10 juillet 1971. En sa qualité de ministre de l'Information, il est aussi la première personnalité sahraouie a être nommée à un poste ministériel depuis l'avènement de l'indépendance. Ce que je garde de lui, depuis le collège Abdelkrim Lahlou, c'est non seulement le fait d'avoir encadré et orienté des centaines de jeunes marocains issus des quartiers les plus populeux et les plus déshérités, c'est surtout le fait d'avoir constamment milité pour l'instauration de l'arabisation et pour que cet établissement soit un exemple de réussite aussi bien pour les autres établissements scolaires, publics et privés, mais même pour les missions étrangères implantées au Maroc. Il était un fervent partisan de l'enseignement islamique, de la culture nationale, de l'identité arabo-africaine et de l'authenticité. Je garde aussi de lui l'image de l'enseignant responsable et innovateur. Celui qui n'hésitait pas à encourager ses élèves à éditer un journal de l'école, qui les poussait à publier leurs oeuvres poétiques et littéraires. C'est encore lui qui s'est déployé à fond pour doter ce collège d'une authentique bibliothèque pour encourager les élèves à lire et à étudier. Je garde encore en mémoire les passages d'un livre unique en son genre qu'il avait édité dès l'aube des années soixante et qu'il avait consacré à la personnalité du Roi Almoravide Youssef Ibn Tachfine. Un livre écrit avec une nouvelle vision, dans un nouveau style et une autre manière de décrire le Maroc, son histoire et les dynasties qui s'y sont succédées. Au lendemain de l'Intifada du 23 Mars et la proclamation de l'Etat d'exception, Abdelkader Sahraoui décide de démissionner de la direction du Collège Abdelkrim Lahlou pour se consacrer à l'écriture et à l'édition de livres et d'essais particulièrement révélateurs de sa personnalité . Un inspirateur de la libération du Sahara Il choisira alors son nouveau camp et eut le courage de défendre sa vision d' un Maroc attaché autant à ses traditions qu' à ses institutions sacrées et à son option démocratique et pluraliste. Cela se passait au moment où bon nombre de ses compagnons Ittihadis (Ben Barka, Fquih Basri entre autres) n'hésitaient plus à défendre des idées républicaines. Si feu Hassan II l'a désigné à la tête de ce département clef qu'est le ministère de l'Information, c'est qu'il tenait à signifier que le Maroc de l'après 1971 sera tout a fait différent de celui de la phase 1963-1971. L'histoire attestera par la suite que feu Hassan II plaçait toute sa confiance en son ministre de l'Information. Même s'il est amené à s'en débarrasser sous la double pression de la nomenclature militaire coiffée notamment par le généraux Oufkir et Dlimi … Au sein de ce ministère où j'ai longtemps travaillé en tant que journaliste du quotidien «AlAnbaa», je peux attester qu'il avait laissé un ministère restructuré, disposant de plus de moyens que par le passé et mieux disposé à s'assumer en tant qu'instrument au service de la démocratie, du pluralisme, et pour la défense de l'intégrité territoriale et la récupération des provinces sahariennes spoliées. Deux années après son départ du ministère de l'Information, c'est à dire en 1973, feu Hassan II décide en 1974 de lancer la campagne pour la libération du Sahara. Une option audacieuse qui allait changer la face du Maroc et préparer le terrain de la glorieuse marche verte. Après le ministère de l'Information, Abdelkader Sahraoui sera désigné au poste d'ambassadeur du Maroc à Beyrouth. Un pays au sein duquel il accomplit une action diplomatique d'envergure sans toutefois oublier sa vocation. Celle d'être avant tout un intellectuel. Il en profitera pour publier ses chroniques, ses poèmes ainsi que de multiples essais sur l'histoire du Maroc et du Grand Maghreb arabe. Hélas ! Juste après le deuxième coup d'Etat avorté du 16 Août 1972, il sera victime d'une surprenante hémorragie cérébrale. Il disparut dans des conditions pitoyables, en dépit des hommages qui lui avaient été rendus tant par ses compagnons de lutte que par ses adversaires . Traduit de l'arabe par Omar El Anouari