Si David Ben Gourion et Moshe Dayan conseillaient de transférer les guerres chez les ennemis arabes pour les déstabiliser en permanence, d'autres, tels que Raphael Etain, Ariel Sharon ou les stratèges du ministre des Affaires étrangères ont une vision et un projet différents. Jamais la situation sécuritaire de l'Etat hébreu n'avait été aussi clair comme aujourd'hui. Des accords de paix ont été signés avec l'Egypte et la Jordanie. Ce qui les a complètement neutralisés, les faisant sortir du conflit israélo-arabe. L'Irak, après la destitution du régime baâsiste, s'est effacé de la carte des Etats considérés comme menaçant de l'existence d'Israël. La Syrie, qui continue à tenir tête dans la région, s'est beaucoup affaiblie après la chute de son allié stratégique l'ex-URSS et son retrait forcé du Liban. Pour ce qui est des missiles du Hezbollah qui préoccupent toujours les Israéliens, ce mouvement est, à l'heure actuelle, l'objet de pressions internes et externes visant à le désarmer. Notamment, après que les officiers de la FINUL (Forces onusiennes) ont été convaincus qu'Israel avait retiré tous ses soldats jusqu'au dernier mètre. Ce, sans parler des fermes de Chebaâ. Les Palestiniens qui luttent depuis des années pour arracher des concessions à leur occupant sont aujourd'hui au point mort après la disparition de leur chef charismatique, Yasser Arafat. Ni les missiles artisanales Al-Kassam, moins encore les attentats-suicides ne constituent des menaces stratégiques pour l'Etat d'Israël. Leur situation interne n'a pas été aussi mauvaise avec les tiraillements sanglants entre le Fath et Hamas. D'autant plus que les embargos, aussi bien politique qu'économique, les repoussent des années en arrière. Il suffit de revenir aux rapports des différents comités britanniques et onusiens de l'année 1937 qui optaient pour un grand Etat palestinien et un autre petit pour les Juifs, et aux réalités d'aujourd'hui sur le terrain, pour imaginer l'aisance dans laquelle l'Etat hébreu et ses citoyens vivent maintenant. Quant à la République islamique d'Iran dont le président Mahmoud Ahmadinejad a menacé de rayer Israel de la carte, elle ne constitue pas un véritable danger comme le croient certains responsables à Téhéran. Le programme nucléaire lui a créé un problème à caractère international. Ce qui permettra à Tel-Aviv de s'occuper d'autres choses. A tous ces avantages, s'ajoute le soutien illimité des Etats-Unis. Egalement, la forte position économique et technologique de l'Etat hébreu qui laisse apparaître clairement la faiblesse de ses voisins et leur «sous-développement». En dépit de ce constat encourageant, les stratèges israéliens, aussi bien politique, diplomatique que militaire, ne se contentent pas de ce résultat. Ils veulent aller bien au-delà de ces réalisations. Ils réactivent le Plan de remodelage du Proche-Orient, mis en place en 1980, à travers les conférences, les articles qui paraissent souvent dans les revues religieuses, les bulletins de l'Action Familiale et Scolaires, distribués partout dans le monde. Dans son article intitulé «Stratégie pour Israël dans les années 80», Obed Yinon, ancien fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères, et publié dans la revue Kivunim (Orientations), ces dernières tracent les contours de ce plan soutenu par une majorité de l'establishment militaire. Cette majorité estime que d'immenses possibilités s'ouvrent aujourd'hui à L'Etat hébreu pour renverser totalement la situation. Ce qu'il faut accomplir dans les trois prochaines décennies, sous peine de disparaître en tant qu'Etat. Ce, même si les données sont largement en sa faveur. Les initiateurs de cette thèse de remodelage affirment que la paix avec les Arabes ne pourra se faire sauf si ces derniers sont totalement «à genoux», incapables de se lever au moins pour un siècle. Le temps nécessaire pour changer complètement les donnes, installer un rapport de force inchangé avec des Etats démantelés. Les sorts adaptés En tête de liste venait l'Irak qui constituait, jadis avec la Syrie, le cœur du «front oriental». Celui-ci qui ne devra jamais voir le jour. C'est dans cet objectif que les Israéliens avaient travaillé pendant de longues années pour que ces deux pays arabes complémentaires, dirigés par le même parti politique, deviennent des ennemis farouches. L'Irak qui possède d'énormes richesses en hydrocarbures, un nombre d'habitants qui atteint les 22 millions en l'an 2000, des cadres, et en plus de tout cela, l'eau que ses voisins du Golfe n'ont pas, pourra devenir un jour le danger le plus menaçant par rapport à l'Etat hébreu. C'est pourquoi, il faut le briser avant qu'il n'atteigne ses objectifs en matière de prospérité, de développement et de modernisation. Et, par là, acquérir l'arme nucléaire. Réalisant que l'anticipation avec le bombardement du site Tammouz n'était pas suffisant pour dissuader Saddam Hussein, le faire revenir sur ses projets nucléaires, Tel-Aviv a poussé les Etats-Unis à le piéger avec l'invasion du Koweït ; et à achever son régime douze ans plus tard. Néanmoins, le plan visant l'Irak ne s'arrêtera pas avec son occupation par les Américains et son infiltration par le Mossad via les zones kurdes. Ce pays devra s'appauvrir coûte que coûte, d'autant qu'il sera en permanence en proie à de graves dissensions internes. Ce qui est le cas aujourd'hui. Cette situation constitue un terrain de choix pour l'action d'Israël. Pour ceux qui ont mis en place ce plan, le démantèlement de l'Irak importe plus encore que celui de la Syrie. Ces derniers estimaient toujours qu'à court terme, Bagdad est la capitale qui menace le plus la sécurité de l'Etat hébreu. Une guerre désintègrera l'Etat irakien avant même qu'il puisse se préparer à une guerre contre Israël. Chose maintenant faite. En Irak, une distribution des provinces, selon ethnies et communautés religieuses, peut s'effectuer de la même manière qu'en Syrie sous la domination ottomane, souligne le plan. Trois Etats -ou davantage- se constitueront autour des trois villes : Bassoura, Bagdad et Moussol ; et les régions chiites du sud se sépareront des sunnites du centre et des kurdes du nord. Ce schéma, qui était dessiné en 1980, semble se concrétiser à la mi-2006. Pour la Syrie, le projet est presque semblable à celui de l'Irak. Il reste un objectif prioritaire d'Israël, à long terme, notamment sur son front-Est ; à court terme, l'objectif est la dissolution militaire de cet Etat. Le plan prévoit un éclatement de ce pays en plusieurs entités. Plus particulièrement, suivant les communautés de telle sorte que la côte et le Djebel deviendront un Etat alaouite chiite. La région d'Alep, celui des Sunnites, idem pour la capitale Damas. Les Druzes constitueront alors leur propre Etat qui s'étendra sur le Golan, annexé par Israël depuis 1967, au cas où ce dernier serait contraint à le rendre dans le cadre d'un accord de paix. Les pressions accentuées des Etats-Unis sur Damas depuis l'occupation de l'Irak seraient les conséquences du travail minutieux effectué par le lobby pro-israélien auprès des néo-conservateurs à la Maison Blanche. Les deux résolutions du Conseil de Sécurité 1959 et 1860 visant la Syrie pourraient aboutir à la chute du régime. Alors les scénarii seront presque identiques de ceux qui sont conçus pour l'Irak. Force est de rappeler que le lobby juif américain encadre une frange de l'opposition syrienne basée aux Etats-Unis. Il lui ouvre les portes de l'administration américaine et du Pentagone. Comme il l'avait déjà fait avec les opposants irakiens. En même temps, le lobby pro-israélien fait son travail auprès de l'Union européenne qui, à son tour, exerce des pressions complémentaires à celles de Washington. Néanmoins, les stratèges israéliens trouvent que l'axe Téhéran-Damas, qui s'est couronnée récemment par des accords de défense, pourraient perturber l'avancée du remodelage dans ce pays et le reporter. Surtout si les Occidentaux, et plus précisément Washington, arrivent à un compromis avec l'Iran concernant le dossier nucléaire. En dépit de l'accord de paix qui avait été signé depuis plus de deux décennies entre l'Egypte et Israël en vertu duquel ce dernier a réussi à faire sortir le plus grand pays arabe du cadre du conflit régional, les initiateurs du Plan estiment qu'il faut aller jusqu'au bout dans la réalisation des objectifs. En d'autres termes, démanteler l'Egypte, amener sa décomposition en unités géographiques séparées. Si ce pays se désagrège, on aura alors un Etat chrétien copte soutenu par l'Occident, un autre noubi du côté du Soudan. Il n'y aura plus ce pouvoir central de cet Etat nation. Et, par là, l'Egypte n'aura plus aucun rôle à jouer dans son environnement Moyen-Oriental, arabe et même islamique. Son poids politique sera alors perdu à jamais. Avec ce démantèlement, des pays comme la Libye, le Soudan et même des Etats plus éloignés - sans pour autant les désigner par le plan -, ne pourront plus survivre sous leur forme actuelle. Ils accompagneront l'Egypte dans sa chute et sa dissolution. Il faut noter, dans ce cadre, qu'Israël et ses services de renseignements avaient joué durant les dix dernières années un rôle important dans le soulèvement des rébellions chrétiennes du Sud. Des tentatives contrecarrées avec l'aide du Caire et de Tripoli au régime d'Ahmed Hassan al-Bachir. Par ailleurs, les Israéliens craignent toujours un changement du régime en Egypte. Ce qui pourrait faire basculer ce pays dans le camp anti-israélien et anti-américain. C'est pour cette raison que, son éclatement pour donner naissance à plusieurs mini-Etats religieux et ethnique est la seule garantie pour la sécurité de l'Etat hébreu. D'autant que les généraux à Tel-Aviv, n'ont pas confiance dans l'armée égyptienne qui profite de l'aide militaire américaine pour se moderniser. Le Liban est considéré par le projet israélien comme étant le maillon le plus faible. La guerre civile qui avait perduré entre communautés, qui a fini par donner l'alibi à l'intervention israélienne en la preuve. Le Plan prévoit une décomposition de ce pays en est cinq provinces. Cette configuration ressemble à ce qui attend tout le monde arabe, y compris ceux de la péninsule, souligne ce plan. Ce dernier estime que c'est déjà un fait accompli et que ce n'est qu'une question de temps. Israël n'a pas ici à déployer des efforts extraordinaires parce que les «ingrédients» de la répartition y sont présents. Les Israéliens misent toujours sur la communauté chrétienne maronite pour réaliser son objectif. Celui-ci a été déjoué par la Syrie qui avait aidé la résistance libanaise à chasser les Israéliens de la capitale Beyrouth en 1982, et du Sud par la suite avec le Hezbollah. Aux termes de ce Plan de remodelage régional, la Jordanie ne peut plus survivre longtemps dans sa structure actuelle. La tactique d'Israel, soit militaire soit diplomatique, doit viser à «liquider» le régime jordanien et à transférer le pouvoir à la majorité palestinienne. Ariel Sharon l'avait dit lors du siège de Beyrouth et après les massacres de Sabra et Chatila, effectuées par les milices chrétiennes des Forces Libanaises de Bachir Gemayel et l'encadrement de Tsahal. Propos repris, il y a quelques mois par des généraux israéliens sans pour autant qu'ils soient démentis officiellement par le Premier ministre, Ehud Olmert. Rayer le royaume hachémite de la carte pour être remplacer par un Etat palestinien continue à être un objectif fixe et définitif des Israéliens. Pour la Palestine, le changement du régime jordanien résoudra le problème des territoires cisjordaniens à forte population arabe. Par la guerre ou par les conditions de paix, souligne ce plan, il devra y avoir transfert des populations de ces territoires et un strict contrôle économique et démographique, seuls garants d'une complète transformation de la Cisjordanie comme de la Transjordanie. Pour accélérer ce processus, le projet appelle à rejeter le plan d'autonomie ainsi que toute proposition de compromis, de partage des territoires. Etant donné les projets de l'OLP et des Arabes israéliens eux-mêmes, il n'est plus possible de laisser se perpétuer ici la situation actuelle sans séparer les deux nations : les Arabes en Jordanie et les Juifs en Cisjordanie. L'idée maîtresse de ce plan, mis en place depuis plus de 25 ans, c'est de «balkaniser» le Proche-Orient en ayant partout des mini-Etats confessionnels, ethniques, dressés les uns contre les autres. Un projet encouragé ouvertement par les néo-conservateurs américains, principaux alliés d'Israël. La preuve, les deux exemples suivants. Le premier, la décoration faite au Comité des Affaires étrangères du Sénat américain par le secrétaire d'Etat, Condoleeza Rice, le 19 octobre 2005. Le chef de la diplomatie américaine avait dit textuellement : «Si nous ne nous engageons pas à changer la nature du Proche-Orient, je puis vous assurer que le peuple des Etats-Unis vivra dans l'insécurité pour beaucoup, beaucoup de dizaines d'années à venir». Le deuxième, l'extrait d'un texte d'un membre éminent du groupe néo-conservateurs américains : «D'abord, et surtout, nous devons en finir avec les régimes terroristes, à commencer par les trois grands : Iran, Irak, Syrie. Puis, nous nous occuperons de l'Arabie Saoudite. Une fois débarrassés des tyrans, il nous faut accomplir la révolution démocratique. La question n'est pas de savoir s'il faut déstabiliser mais comment le faire ?» Cela dit, les régimes arabes, sans exception, devraient, désormais, s'attendre à tout, notamment la poursuite de la réalisation de ce Plan de remodelage du monde arabe, même avec des effets rétroactifs.