S. Sami était un jeune homme de 23 ans, il exerçait depuis deux ans la sainte et honorable fonction de chômeur. Il aimait bien cette place que l'Etat assurait à tous les jeunes diplômés, et aussi aux moins jeunes, mais il se plaignait du salaire qui, selon lui, était scandaleusement minime. A part ce petit détail, Sami aimait bien le train de vie qu'il menait. Il logeait chez ses parents, qui n'en trouvait rien à redire, puisque tous ces frères et sœurs étaient ou bien mariés, ou bien se trouvait de l'autre côté de la mer, et un peu de compagnie était toujours la bienvenue. Côté financement, notre ami ne manquait pas de ressources, et le salaire risible qu'il empochait était loin de le décourager. D'abord, il y avait ses parents, qui ne rechignaient pas trop à lui donner de l'argent, mais ils étaient d'une nature économe, et lui détestait les calculs ; mais ce n'était qu'une source parmi d'autres, mais une source qui ne tarissait jamais. De temps à autre, il se lançait dans le commerce avec quelqu'un de ses connaissances ; c'était généralement le genre de commerce qui ne demandait pas de gros fonds. Il avait par exemple fait le commerce de produits alimentaires de contrebande, des produis cosmétiques… de contrebande aussi. Mais tout cela était plus fait pour le plaisir et pour passer le temps que pour le bénéfice ; sa principale source de revenue était ce qu'il appelait sa “vache laitière”. Cette vache comme il aimait l'appeler était son amie, il prétendait qu'elle avait tout d'une vache, car je n'ai jamais eu le déplaisir de la rencontrer. Selon lui, elle avait le regard aussi stupide que celui d'une vache, elle avait une façon de parler qui rappelait le meuglement d'une vache, et puis, et c'était le principale, elle lui donnait de l'argent comme une vache donne du lait. C'était, toujours selon lui, la fille d'un analphabète qui était aussi riche qu'imbécile. Il était de ceux qui viennent d'on ne sait où et qui s'enrichissent on ne sait comment ; et comme il n'y a pas de mal à ressembler à son père, cette fille était la digne héritière de son père. Elle était presque analphabète, malgré son baccalauréat, elle était vantarde, têtue- comme tout imbécile qui se respecte -, romanesque, comme peuvent l'être les sots, et elle était farouchement avare, sauf quand c'est pour humilier les gens ou leur faire du mal, bref, c'était la fille rêvée pour notre ami. Il savait très bien lui soutirer de l'argent, en sacrifiant un peu de sa fierté, ou bien en jouant la comédie du souffrant. Comédie qu'elle affectionnait, d'abord, parce qu'elle était un peu sadique, et aussi parce qu'elle lui rappelait des scènes qu'elle voyait à la télé, dans des séries aussi sottes que ceux et celles qui les regardent. Bref, notre ami menait la belle vie, et il était abasourdi quand un jour je lui dis que des chômeurs s'étaient fait rosser en se manifestant devant le parlement. “Pourquoi se manifestaient-ils ?” me demanda-t-il, “Pour travailler avec l'Etat ?” lui répondis-je. Cette réponse n'était pas faite pour le convaincre, car selon lui, qui voudrait quitter l'état de chômeur pour travailler dans l'administration ; il n'y avait pas de travail aussi ennuyeux que celui-là. Un travail qui consiste à signer des papiers, écrire des papiers, cacheter des papiers, classer des papiers, et de plus, ça ne paye pas bien. Et on doit constamment supporter les plaintes, les critiques et les insultes des gens et des supérieures. Ces gens, selon Sami, méritaient la rosse qu'ils avaient reçue, car ils avaient complètement perdu le bon sens, et peut être que cette raclée le leur fera recouvrir. Epilogue : Aux dernières nouvelles, Sami avait lui aussi traversé l'océan, car, et il me le répétait souvent, il en avait assez de ce pays, et il voulait changer d'air. Il était toujours chômeur, car il affectionnait trop cet état pour le quitter, et puis ils sont mieux payés qu'ici à ce qu'il m'a dit…