Les rapports des organismes économiques et financiers internationaux se suivent et se ressemblent mais les questions des marocains face à leur société et à leur économie restaient inamovibles. Nouvelle Californie, pays de paradoxes, pays d'immobilisme politique, pays de l'inachevé, Descartes n'est pas marocain... Autant de qualificatifs qui ont modelé l'image que l'on se fait du pays. Un demi siècle après notre indépendance, l'image devait être confectionnée par nous-mêmes en répondant à certaines question qui nous hantent : Pourquoi restons-nous un pays en mal de développement par rapport à nos potentialités et pourquoi la Tunisie par exemple se porte mieux sachant que son revenu par tête est le double du notre alors que le Maroc partait favori au lendemain de l'indépendance ? Qui sommes- nous ? Où en sommes nous ? Que voulons nous ? Et comment y parvenir ? C'est en somme sur ces questions que plus de 100 universitaires, chercheurs et experts nationaux, ont travaillé depuis avril 2004 en 13 groupes avec un comité directeur et un comité scientifique pour faire une sorte d'audit interne de notre pays et se projeter dans l'avenir. Mutations et déficits L'adhésion du rapport au concept « fédérateur » de développement humain fait de l'homme le moteur et la finalité du processus de développement. En effet cette vision globale touche non seulement les conditions matérielles mais aussi la culture, le politique, l'environnement, le mode de gouvernance et la qualité de la vie. L'une des mutations importantes de la société marocaine durant ces 50 ans est la transformation démographique qui a permis à la fécondité de reculer de 7 enfants par femme en 1962 à 2,5 en 2004, ce qui a permis une baisse de l'accroissement de la population mais aussi- grâce a certains progrès de la santé -de faire passer l'espérance de vie moyenne de 47 ans en 1962 à 71 ans en 2004. Mutation aussi au niveau de l'urbanisation dont le taux est passé de 29% en 1960 à 55% en 2004. De ce changement démographique découle le poids important de la jeunesse, qui n'a pas été véritablement intégrée dans le développement malgré un système éducatif efficace jusqu'à la fin des années 70. Système qui a dévié après, pour produire des jeunes sans diplômes et diplômés chômeurs et dont l'émigration clandestine et le désespoir témoignent de la profondeur de ce malaise. Marasme aussi au niveau du monde rural, victime d'une agriculture à production aléatoire et à faible productivité ainsi que de la faiblesse du niveau des infrastructures de base et du poids de l'analphabétisme. Il s'en est suivi, une forte émigration se traduisant par une ruralisation des espaces périphériques urbains. Mais cette pauvreté chronique, qu'une agriculture volatile enfonce davantage, met la pression -déjà excessive- sur les ressources naturelles au-delà de leur capacité de régénérescence et entraîne des nuisances écologiques et des dommages définitifs. C'est là, un des cercles vicieux du développement humain du pays que notre économie n'a pas pu dépasser malgré le succès réalisé sur le registre des équilibres macroéconomiques dans un contexte international difficile. Valeurs et mal gouvernance Ce lourd fardeau social, a entraîné la panne de l'ascenseur social qui n'a pas permis l'émergence d'une classe sociale moyenne consciente de son appartenance et qui aurait pu jouer un rôle dynamique dans le processus de développement. Ceci s'explique aisément quand on sait que, le nombre absolu de personnes pauvres reste en moyenne de 5 millions et dont près de trois quarts sont des ruraux et des jeunes mais aussi par la faillite du système de l'éducation et de la formation . Face à ce constat, les valeurs sécrétées par une stratification sociale composée, alternant une empreinte traditionnelle et valeurs de modernité, selon les milieux et les intérêts. Cette évolution touche aux valeurs de solidarité familiales qui se relâchent au risque de toucher au « bon » vieillissement de la population en dehors d'un système de protection sociale adéquat .En fait, ce système de valeurs en crise n'a pas encore réussi à se détacher du spécifique pour camper dans celui de l'universel .D'où ,malgré l'expérience démocratique relativement en avance , l'ouverture du champ politique , et l'existence d'une élite moderne ;le mode de gouvernance est défaillant. En effet, nonobstant la mise en place de la décentralisation /déconcentration territoriale et administrative à partir des années 60 et ses reformes, celle-ci a laissé dans l'ombre une grande partie du territoire et des populations créant des déséquilibres graves au niveau de l'aménagement du territoire, la persistance d'une tutelle substitutive de l'administration imprégnée elle-même d'une culture résistante au changement et renforcée par les échecs de la gestion communale. Les dégâts vont plus loin, puisque les arbitrages en matière de développement ont favorisé le court terme, la sectorialté étroite, l'inégale incompétence des personnels administratifs. Mais cette « culture » touche aussi des entreprises, des partis, des syndicats et des associations de la société civile où les leaders dominent les structures et les groupes, ce qui n'a pas manqué d'instituer la corruption, le népotisme et le clientélisme. En somme une cristallisation des mutations politiques due à un déficit transversal lié à une mal gouvernance aussi bien dans la sphère publique que dans l'entreprise. Economie, nœuds et avenir Si le Maroc dispose aujourd'hui d'atouts pour dépasser cette situation et préparer l'avenir , par l'initiation de plusieurs chantiers de l'espoir : Jeune monarque dynamique, acquis démocratiques , dynamisme de la société à travers le foisonnement des associations et le développement de la société civile, ouverture résolue sur le monde, initiative nationale de développement humain ; les défis d'un scénario souhaitable sont lourds car ils nécessitent de protéger les acquis et de faire face aux goulots d'étranglement. Déjà ,40% de la richesse nationale est condensée sur 1% de la superficie du pays. En outre ,77% du territoire participe uniquement pour 10% de la valeur ajoutée nationale .Ainsi le Maroc futur doit tout faire pour éviter le scénario cauchemardesque qui aggraverait tous les déficits pour conduire le pays à une situation insoutenable. A cette fin l'ensemble de la nation doit se mobiliser dans un élan salvateur, en faisant de notre société, une société de savoir couplée à une économie compétitive et créatrice d'emplois. Celle-ci doit être sous tendue par une croissance soutenue et indépendante des aléas climatiques et dont les fruits seront équitablement partagés. Mais ceci ne saurait se réaliser que si le pays marche sur ses deux jambes : D'une part adopter une nouvelle stratégie agricole et d'autre part intégrer pleinement la femme à ce processus de take off. Celui-ci, nécessite de recréer notre école pour lui faire jouer pleinement son rôle d'instruction et de socialisation, revoir notre gouvernance dans le cadre d'une nouvelle culture managériale et politique et surtout faire de l'option régionale la clé de voûte économique et démocratique de l'avenir. Cette option permettra nul doute, une exploitation rationnelle de nos ressources et particulièrement celles non renouvelables dans le cadre d'une vision à long terme. En conclusion, le rapport interpelle les Marocaines et les Marocains à avoir confiance en l'avenir, en faisant des jeunes, la locomotive qui devrait nous conduire vers le futur. Cependant, rétablir la confiance entre l'Etat et la société reste le garant même de la réussite et de la préparation d'un meilleur avenir « en nourrissant les hommes, en soignant les hommes et en instruisant les hommes » (François Perroux) mais aussi par « l'implication des citoyens, quant à la définition et au choix des valeurs qui permettront d'établir l'ordre des priorités « (Amartya Sen) Indéniablement, ce rapport à la fois rigoureux et patriotique, fera date dans les annales de l'histoire du pays, car pour la première fois les citoyennes et citoyens Marocains se voient dans un miroir dont le tain est conçu par leurs compatriotes. Alors, se taire face à cette image est un danger. Le rapport nous invite à débattre, à faire circuler la pluralité et la diversité de nos points de vue. C'est là un grand exercice de citoyenneté.