Si l'avènement des véhicules flambant neuf de la société Alsa City Bus a soulagé nombre de citoyens aussi bien à Rabat, Salé qu'à Témara, et amélioré un quotidien devenu infernal avec l'ancienne société délégataire, il n'a pas fait que des heureux ! En effet, les grands taxis, communément appelés taxis blancs, en circulation dans la région estiment que les nouveaux bus « empiètent sur leurs plates-bandes » et leur font carrément de la concurrence déloyale. Hassan Dakkani, secrétaire régional de l'Organisation démocratique des professionnels du transport (ODPT), ne cache pas sa colère. « Il y a 150 bus qui circulent jusqu'à minuit, et nous sommes 4000 chauffeurs de taxi, comment pouvons-nous travailler ? Il faut prendre cela en considération », s'insurge-t-il au micro de Hespress FR. Que faut-il prendre en considération au juste ? Notre interlocuteur explique : « Au moment de l'établissement du cahier des charges, il fallait penser aussi à cette catégorie (taximen), en tant que partie prenante dans le secteur et qui représente quelque 4.000 taxis, soit 1.200 familles dont c'est le gagne-pain ». Il ne faut pas non plus oublier que ces chauffeurs sont, pour la plupart, engagés dans des crédits et ont des traites à honorer, nous dit Dakkani qui avance l'exemple de la ville de Salé, où sur les 1500 taxis en circulation, 800 sont des véhicules neufs, dont les propriétaires sont engagés dans des traites mensuelles allant de 2500 à 3000 dh. La commune pointée du doigt « Outre la traite, le chauffeur doit verser quotidiennement 300 dh au titulaire de l'agrément et payer 150 dh de carburant, alors qu'il voit sa recette journalière diminuer de jour en jour », poursuit le secrétaire régional de l'ODPT, qui accuse la commune urbaine de ne pas avoir pris en considération toutes ces données au moment de s'engager avec le nouvel opérateur du transport. « Nous payons des dettes qui se chiffrent par millions, mais notre sort n'est pas pris en compte alors que c'est notre gagne-pain même qui est menacé », déplore-t-il. Dakkani est bien conscient que le choix et le dernier mot sont laissés au citoyen pour choisir son moyen de transport, mais il plaide pour une égalité des chances pour l'ensemble des opérateurs dans le secteur. A ce niveau, notre interlocuteur fait état d'une autre problématique : « Les nouveaux bus ont changé d'horaire et restent circulation jusqu'à minuit, autrement dit, les taxis n'ont plus de plage horaire où ils peuvent exercer, et tous leurs clients sont +raflés+ par les bus », souligne-t-il. Et de poursuivre : « Il y a aussi la question de l'aéroport de Rabat-Salé où les bus d'Alsa arrivent à 9h00 et repartent à 20h00. Que laissent-ils aux 40 taxis qui travaillent sur cet axe ? Rien ! Avant, la société Stareo assurait des passages entre midi et 15h00, cela laissait une opportunité à chacun, mais aujourd'hui les taxis ne trouvent plus de clients ». Une situation qui risque de s'aggraver Se trouvant déjà dans une situation qu'ils jugent critique, les taximen redoutent qu'elle n'aille s'aggravant. En effet, les taximen de l'axe Rabat-Salé-Témara, « en situation de détresse depuis l'avènement des nouveaux bus, et dont l'impact a été perçu en si peu de temps, appréhendent la suite qui ne promet rien de bon », nous assure Dakkani. « Les chauffeurs de taxi prévoient que cette concurrence s'aggravera très prochainement lorsque la société recevra le deuxième lot de bus et raflera leurs clients, ou ce qui en reste », insiste-t-il. Pour tenter d' »arracher » tout de même un petit bout de marché, les taximen s'aventurent « hors de leur zone d'opération », mais se heurtent aux agents de circulation qui n'hésitent pas à sévir quand la loi est transgressée. « Nous avons actuellement une quinzaine de permis de conduire qui ont été retirés à leurs titulaires pour cette raison, et qui doivent s'acquitter d'une amende », nous explique le syndicaliste, qui assure que « la loi doit certes être respectée, mais les intérêts des taximen doivent également être pris en compte ». Il faut chercher les raisons qui les poussent à agir de la sorte, dit-il. Mais, assure-t-il, « nous ne comptons pas subir en silence, les bras croisés, nous ferons valoir nos droits par tous les moyens légaux disponibles, nous ne pouvons pas laisser 1200 familles se faire jeter à la rue, la commune est tenue de nous trouver une solution ». Photo Mounir Mehimdate Qu'en dit-on du côté d'Alsa ? Si les chauffeurs de taxi affirment que la société Alsa city bus a signé un contrat de gestion où ses lignes ne doivent pas être en compétition avec les taxis, le nouvel opérateur de transport urbain corrige : « bus et taxis doivent être complémentaires dans leurs services et c'est aux citoyens de choisir le transport qu'ils préfèrent ». Ramon Fernandez, DG de la société Alsa City Bus souligne dans ce sens qu' » Il y a une chose qui doit être très claire, dans notre contrat, il n'y a aucune close qui +menace+ le travail des taxis. Nous considérons que le taxi est un moyen de transport complémentaire à l'autobus, ce sont des transports complètement différents et des demandes complètement différentes ». Cette problématique en soulève une autre, d'autant plus grave et dont les retombées sont supportées par des familles entières, à savoir celle des agréments de taxis. Les professionnels du secteur des transports en commun dénoncent ce système comme étant une sorte d'esclavage, le chauffeur étant « tenu à la gorge » par le propriétaire, qui exige sa « recette » quelles que soient les conditions et les circonstances, et n'hésite pas à recourir à la justice pour faire valoir ses droits, faisant fi de toutes les contraintes auxquelles peut faire face le chauffeur. Affaire à suivre !